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Mercredi 27 Février 2008

Au terme à nouveau d'un long voyage d'un seule traite, j'arrive en début d'après midi dans le Tardenois, au sud du département de l'Aisne. Je fais une halte pour compléter mes illustrations de sites liés à la préhistoire à Coincy - l'Abbaye au lieu-dit La Sablonnière. Ici furent découverts au 19ème siècle des outils de pierre appartenant à une époque charnière entre le paléolithique et le néolithique : le mésolithique, subdivisé en plusieurs périodes dont le Tardenoisien, dont La Sablonnière est le site éponyme, c'est à dire celui découvert et publié avant les autres sites de la même période.

Ceci étant fait, je peux maintenant placer le curser de la machine à voyager dans le temps vers une période plus proche et plus dramatique. Direction Nord, vers Soissons, puis vers l'élévation située au nord-est de cette ville. Le Chemin des Dames est un plateau peu large formé par l'écoulement de l'Aisne au sud et l'Ailette au nord. Cette élévation de terrain placée dans une région souvent fréquentée par les armées ennemies de la France, fut le lieu de plusieurs batailles d'importance : en 57 avant Jésus Christ Jules César y combattit les armées gauloises, plus tard en 1814 Napoléon y remporte sa dernière victoire contre une coalition européenne. En 1914, sa possession fut âprement disputée, mais l'Allemagne eut le dernier mot et s'y installa largement, aménageant la surface et l'intérieur du massif. Les soldats français eurent la lourde tache alors de chercher à déloger leurs ennemis.

1917. Après deux ans et demi de guerre, plusieurs offensives françaises et anglaises conduisant toute au même résultat : peu de changement de la forme du front, et des centaines de milliers de morts, de blessés, de prisonniers. Lorette, Perthes, Tahure, Le Linge, La Somme, etc; le temps est venu pour le nouveau généralissime, Nivelle, de lancer avec les anglais à Arras, à nouveau l'offensive qui va amener la fin de la guerre. Le lieu choisi est un endroit relativement calme du front : du plateau du Chemin des Dames au nord-ouest de Reims au Monts de Champagne à l'Est, l'armée française doit rompre le front allemand et rejoindre les anglais venant d'Arras. Mais ainsi que l'a dit le Général Patton, qui entrera dans cette guerre un peu plus tard : << Les plans c'est très bien jusqu'au premier coup de feu, ensuite ... >>

Le 16 avril 1917, à 6 heures du matin, puis à 9 heures, les soldats français sortent de leurs tranchées et montent à l'assaut des objectifs qui leurs ont été attribués. Comme lors des précédentes offensives de 1914, 1915 et 1916, l'assaut succède à plusieurs jours de bombardement des lignes allemandes. Ce bombardement ne doit pas permettre aux fantassins allemands d'opposer de résistance, il ne doit laisser aucune batteries intactes et doit empêcher les renforts d'arriver en temps utile en première ligne. Cette fois-ci la durée et l'intensité du bombardement est inouïe, les fantassins monteront vers les lignes allemandes sans rencontrer de résistance. Du moins c'est ce qu'on leur dit. Mais les mêmes recettes donnent souvent les mêmes résultats, et dès la sortie des tranchées, tout comme dans la Somme l'été précédent, ou en Champagne en Septembre et en Février 1915, tout comme à Lorette, ou à Verdun, c'est le grand massacre qui recommence. En quinze jours l'armée française perd 30 000 morts ( 2 000 morts par jour, 1 000 le matin et 1 000 l'après midi ) sans parler des disparus les oubliés de la guerre, des dizaines de milliers de blessés, laissés souvent sans soins dans des postes de secours insuffisamment nombreux, en plein air, sous la pluie ou la neige. Pour avoir la chance de survivre il faut une blessure peu grave qui permettra l'évacuation, à pied d'abord, à condition de ne pas être blessé aux pieds ou aux jambes, puis en train qui n'a de sanitaire que le nom, vers une destination inconnue souvent à plusieurs jours de distance. A l'arrivée une blessure qui aurait pu se soigner avec des soins appropriés et administrés rapidement se transforme en gangrène qui entraîne au mieux une amputation, au pire la mort.

C'est en ressassant ces idées moroses, que je dépasse Soissons. Le temps est plutôt au beau, et après quelques semaines de préparation, de consultations, de lecture, de notes prises, je touche au but. J'ai un peu l'impression, par le ciel, d'arriver au bord de la mer, et qu'au delà du Chemin des Dames il n'y a rien, puisque c'est là qu'était la frontière, celle qui m'a amené ici. Impression étrange, j'ai regardé beaucoup de photos, récentes et anciennes, l'imagination a rempli les blancs, mais non, décidément comme à chaque fois la première impression en m'approchant au plus près du but n'est pas celle à laquelle je m'attendais. Les photos sont des visions suggestives, le photographe choisi ce qu'il ne veut pas mettre dedans. J'ai écouté un jour le dessinateur Joan Sfar faire l'éloge du dessin en expliquant la supériorité du trait et de la couleur sur la photographie. Le dessin choisi, la photo doit tout prendre. Et bien que je soit d'accord avec lui ( car cela flatte mon ego de dessinateur ) je doit reconnaître que ce n'est pas vrai, et que parfois la photo en donnant un bout pour le tout dépasse le dessin en laissant imaginer le reste dans la tonalité du bout.

Bon tout çà n'est pas très clair, alors illustration : Premier lieu visité, le plateau de Laffaux et son monument dédié aux artilleurs de tranchée et leurs machines, les crapouillots. Je suis les indications des panneaux routiers et arrive sur le parking d'un restaurant routier aux dimensions plus que respectables. Je me gare à l'écart des camions. Quelques monuments sont posés là, le long d'une route tronquée. A droite des arbres sont abattus, un panneau retourné ne tenant plus que par un seul rivet indique la destination de ces monuments. Monuments d'unités et individuels. Pas de trace du monument des crapouillots. Vers la droite un chantier semble balisé et entouré de barrière. Je m'approche et consterné, constate que c'est tout ce qu'il reste ici du monument en question. Il a été démonté après avoir été sérieusement atteint par la foudre il y a quelques mois. Bref, aucune trace des images aperçues sur les sites consacrés à ces lieux.

 

 

Du parking je rejoins le monument des fusilliers marins qui se sont battus près de là pendant la contre offensive alliée de 1918, des noms de batailles auxquelles ont participé ces unités sont gravés à la partie basse.

Je parcours maintenant le Chemin des Dames qui s'avance sur un plateau aux champs labourés et plats couleur terre de Sienne. La perspective fuit vers une ferme au bord de la route au loin. A l'horizon le ciel bleu pale s'élève vers d'énormes nuages, gris perle cerclés de blanc lumineux. Le tableau est calme et déserté d'humain. J'ai de la peine à imaginer ici les trous d'obus qui se chevauchent, là les boyaux et les tranchées qui ondulent sur la pente. Pourtant c'est bien sur ces coteaux qu'autant n'eurent d'autre choix que d'attaquer ou se défendre.

Je laisse le fort de la Malmaison, le cimetière allemand qui le jouxte, sur la gauche et me dirige fermement vers la caverne du Dragon. Ce plateau calcaire pour partie est comme une fourmilière, percé de galerie plus ou moins larges. Aménagés pendant des mois de tranquilité relative par les soldats allemands, les tunnels servaient d'abris, de casernement, d'hopitaux et de chapelle, et certains permettaient comme celui du Dragon d'amener depuis le versant nord des soldats en nombre pour contre attaquer les unités françaises montées sur le plateau.

Aménagée il y a plusieurs années d'une manière plus << moderne >> en espace muséographique, la Caverne du Dragon surplombe la plaine d'où sont arrivés les soldats français. Le panorama donne le vertige lorsqu'on s'imagine avancer sous un déluge de balles et d'obus vers ce beau point de vue. Le batiment d'accueil spacieux abrite un espace consacré aux expositions temporaires, suivi d'un bar avec terrasse et boutique aux livres et souvenirs. La visite est guidée. A l'heure convenue un guide acceuille les visiteurs et les mène vers les étages inférieurs. Notre guide se nomme Yves, c'est indiqué sur une étiquette. Quelques mots à son sujet. Généralement le guide est discret et s'efface devant le monument qu'il montre; se contentant au mieux de décrire d'une voix neutre sans beaucoup d'intonations, ajoutant au pire quelques considérations personnelles qui ne font sursauter que les spécialistes. Je m'y suis habitué, et peut-être même résigné. Mais aujourd'hui je vais découvrir qu'il est possible de présenter un tel lieu d'une autre manière. Notre guide nous amène devant une vitrine où sont rassemblés divers effets d'uniformes, des armes. Il nous saisi aussitôt par un ton incisif et un débit rapide, pointant les vérités qui ne font pas plaisir à entendre sur les uniformes français inadaptés, l'efficacité des armes allemandes pour ne pas dire leur supériorité, joignant les gestes aux paroles il avance d'un pas, recule, se penche, se redresse vivement, écarte ses bras, les asemble, compte sur ses doigts. Nous sommes cinq visiteurs, je lis sur la figure de chacun de l'étonnement, de l'amusement et puis peu à peu une très grande attention. Bravo l'artiste. Nous descendons plusieurs marches et pénétrons dans cette caverne tenue un temps par les allemands et les français, une barricade matérialisant le front. La visite dure environs une heure, nous passons de salle en salle, certaines aménagées, décorées, d'autres quasiment nues. Toutes les explications données de la manière décrite plus haut nous permettent de nous rendre compte de la dureté de la vie menée par ceux chargés de conquérir ou de garder ce lieu sombre et humide. Nous regagnons la surface après avoir remercié et félicité notre guide. A l'extérieur de grandes statues symbolisent les soldats africains sacrifiés après avoir conquis le plateau.

Suite du chemin vers le Mémorial de Cerny dépassé plus tôt. La chapelle érigée en 1951 borde un cimetière militaire, où chaque passant attentif peut trouver plusieurs noms de famille de son entourage.

 
   
Je reprends la direction de l'Est, passant le long du plateau de la Californie et rejoins Corbeny en fin de journée
 
 
Suite du Jeudi