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Jeudi 28 Février 2008

Après plusieurs semaines de beau, le temps s'est mis au gris, la bruine menace. c'est en méditant sur le caractère ombrageux du beau temps qui me fuit lorsque je le souhaite, me punissant ainsi de tous ces jours où enfermé du matin au soir je ne lui prette aucune attention, que du parking du vieux Craonne je prends un chemin qui mène à la pointe Est du plateau. La pente est raide et le sol glissant, mais je peux prendre mon temps et nul ne me vise pendant l'ascension. Les pentes sont recouvertes d'arbres et de buissons. Le paysage calme n'évoque pas celui d'un champs de bataille dénudé. En vue du sommet, un cube se dévoile sur la crête; il s'agit d'un blockhauss dont l'embrasure me fait face. Cette vision sinistre me ramène à la réalité du lieu, je m'arrête un moment songeant à tous ceux qui durent faire face aux armes que contenait cet abri bétonné. Un chemin droit mène à travers bois vers le centre du plateau de la Californie. Son sol plat contraste avec celui du bois traversé de vestiges de boyaux et de tranchées. A l'extrémité rectiligne du sentier des tranchées profondes plantées de hètres sont celles conquises et retournées vers le nord, vers la vallée de l'Ailette. Des formes mouvantes que j'avais prises pour des chevreuils au loin ne sont que des visiteurs qui viennent du parking du plateau et s'en retournent à leur véhicule après avoir lu les panneaux informatifs. A mon tour je rejoins le parking. De nombreux panneaux expliquent les différents aspects de la bataille, de la vie des soldats, des armes, etc. Tout cela avec une belle vue sur la vallée de l'Aisne et la campagne en direction de Reims qu'on apperçoit au loin. Malgré le temps gris, la vue porte à des kilomètres. Avec des jumelles rien ne peut échapper à la sagacité d'un observateur posté au sommet du plateau. Par la route je regagne le parking du vieux Craonne. Je tente une ascension vers la crête du plateau là où la pente semble forte. Après plusieurs essais infructueux et forces glissades je laisse tomber et poursuis sur la route. Le village de Craonne a comme bien d'autres disparu dans la succession de bombardement en provenance des deux côtés du front. Aujourd'hui un arborétum à pris la place des rues et des maisons dont quelques ruines subsistent.

Du parking du vieux Craonne je me dirige vers le village reconstruit. La pluie commence à tomber doucement, plus question de dessiner. Le village semble désert. Quelques maisons récentes parmi celles de la reconstruction. L'église est ouverte aux passants qui peuvent venir méditer dans le silence et la pénombre. Un cahier est mis à la disposition de qui souhaite laisser un message. Dans la sacristie abandonnée, un tableau d'écolier et d'autres messages de paroissiens de passage écrits depuis plusieurs mois déjà. L'église ne sert plus guère qu'à une ou deux messes par an, ainsi que l'affirme un planning placardé sur la porte d'entrée. D'église elle semble être devenue chapelle, consacrée à la prière ou la méditation des pélerins des champs de bataille. La pluie tombe maintenant à verse, je regagne piteusement mon véhicule m'abriter.

 
 

 

De Craonne je passe dans quelques villages alentours, puis devant la persistance de l'ondée, je décide d'aller à Reims au fort de la Pompelle, avec un peu d'avance sur le programme. A partir de Berry au Bac la route s'élargit et draine un traffic de camions qui semble important. Passé la Côte 108 je longe une partie du front dont les noms de lieus souvent cités dans les études sur la guerre prouvent son activité. C'est à la hauteur de Hermoville que Roland Dorgelès découvrit la guerre . Engagé à 29 ans malgré sa faible condition physique, il rejoint le 39 RI et participe à plusieurs combats près de là, puis en mai et juin 1915 près de Notre Dame de Lorette. De ses expériences de soldat il construit la matière d'un des romans les plus connus sur le sujet : << Les croix de bois >>. Son expérience fut mise en doute quelques années après la guerre, notamment par celui que Pierre Mac Orlan appelait le << grenadier sceptique >> : Jean Norton Cru. Un livre de correspondance de guerre de Roland Dorgelès parut assez récemment lui rend justice si c'était nécessaire. La lecture en parallèle des deux livres montre combien l'expérience de l'écrivain a nourri celle de l'écrivain. << Les croix de bois >> est plus qu'un récit, c'est un véritable témoignage.

A quelques kilomètres de là apparait à droite de la route un vaste cimetière militaire. Il s'agit de la Nécropole Nationale de Cormicy. Première étape ici. Parmi les 14.416 sépultures se trouve celle d'un homme de mon village natal : Saint Thégonnec dans le département du Finistère, un de ses 149 tués à la guerre. Guillaume Créac'h 25 ans, artilleur au 111ème Régiment d'Artillerie Lourde rattaché au 11ème corps d'armée trouve la mort le 5 mai 1917, jour de reprise générale de l'offensive infructueuse du 16 avril. L'historique du 5ème groupe du 111RAL indique que cette unité occupe depuis mars 1917 le secteur près de Berry au Bac nommé le bois de la marine et le bois des geais. Soutenant de ses canons les attaques menées par la 40 ème division , puis la 4 ème et la 17 ème contre la côte 108 et le mont de Sapigneul. Des explosions aux 11 ème et 12 ème batteries entraînent des pertes. Le cimetière abrite les corps des soldats morts sur le front proche ainsi que ceux morts dans les ambulances du secteur.

Pendant que je cherche la tombe de Guillaume Créac'h, une camionette vient se garer près d'un batiment attenant à l'entrée. Trois hommes en sortent et se rendent dans la batisse. L'un des trois en sort bientôt et s'approche alors que je me dirige vers la sortie. << Vous l'avez trouvé ? >> me demande-t-il. Je ne sais pas si ce l' désigne la croix et la plaque qui la singularise, ou bien de la personne qui se trouve dessous. Nous discutons un moment de l'entretien du lieu dont s'occupe mon interlocuteur, des différents façons de procéder, selon la nation qui s'occupe du cimetière et des autres cimetières militaires du secteur. Aimablement il me propose de me faire un plan sur mon carnet, pour m'aider à trouver un des cimetière de Reims où je me rends ensuite.

 

   
La distance a parcourir ne semble pas trop importante, mais je ne connais pas la région et aller << en direction de ... >> ou << revenir sur ... >> ne me dit pas grand chose. Je finis par arriver à un cimetière ... le seul probablement du département qui ne compte aucune tombe militaire ! Un passant me remet ans le droit chemin. Lorsque j'arrive au cimetière Ouest, l'après midi est déjà bien entamée. Je trouve très rapidement la tombe d'un probable cousin ( proche, éloigné ? ) de mon grand-père. Né en 1892 à Guiclan, Jean François Guillerm porte le même prénom et Nom que mon arrière grand père né dans le même village. Il appartenait au 410 ème régiment d'infanterie. Les régiments portant les numéros de 401 à 421 furent créés en 1915 et composés de très jeunes hommes. le 410ème régiment formé en mars 1915 au camp de Coetquidan est ensuite de toutes les batailles : le bois français dans la Somme, l'offensive de Champagne en septembre 1915, Verdun en 1916, le Chemin des Dames en avril 1917, secteur de Souain, SommePy en septembre 1918. Il partagea probablement le terrain avec les unités américaines engagées dans l'offensive Argonne-Champagne. Jean François Guillerm y contracta une maladie qui le conduisit à l'hopital de Reims et dont il mourrut le 9 novembre 1918. Etait-ce la grippe espagnole alors à l'apogée de la pandémie ?
   

Je me lance ensuite à la recherche du fort de la Pompelle. La direction repérée, j'hésite à franchir une ligne continue devant deux motards de la police installant un radar; et me voilà parti pour une longue errance à travers les quartiers du sud de Reims. Je finis cependant par revenir dans le droit chemin, et atteri enfin sur le parking du fort. Il occupe une position au sud de Reims qui resta solide jusqu'à la fin de la guerre en dépit de nombreuses tentatives allemandes de le déborder et d'encercler Reims. Ses alentours sont restés dans l'état dans lequel la guerre les a laissés. De nombreux trous d'obus, de boyaux, de ferrailles au milieu des ronces et des arbustes, font sous le ciel gris de cette fin d'après midi un tableau bien déprimant.

Un musée dans le fort évoque la guerre autour de Reims. Plusieurs tableaux expliquent le rôle des brigades russes engagées sur le front français. Une salle rassemble de nombreux mannequins vétus d'uniformes alliés, maquettes et armes diverses. Une autre rapelle l'action de l'aviation, et d'un pilote de chasse en particulier, René Dorme de la même unité que George Guynemer : la Spa 3 du groupe des Cigognes. Il remporte 23 victoires homologuées, avant d'être abattu dans le secteur du fort de la Pompelle le 25 mai 1917. Une impressionante collection de couvre-chefs allemands constitue le clou de la visite ( pour les collectionnneurs et les spécialistes d'effets militaires ). Un groupe disparate d'officiers en termine la visite et se photographie à l'infini en tentant de constituer toutes les combinaisons de groupes possibles. Encadrés par un officier français il y a là plusieurs continents représentés par des militaires venus probablement se former à l'usage d'un outil dont nous seul français connaissons tous les rouages. Le G.O. du club est absorbé par l'observation d'un insigne porté par un shakot : une tête de mort aux tibias croisés. Il demande sur le ton de la confidence à un guide qui accompagne le groupe << c'est la même que celle de la Totenkopf ? >> ce à quoi le guide répond en l'entrainant vers un autre galurin porté par des hussards prussiens et affichant le même insigne que celui des casquettes et calots SS. Je termine la visite par le tour complet des douves, et suis tenté un moment par une bouffée d'incivisme qui m'aurait conduit sur le toit du fort. La nuit approche, et la peur du loup étant la plus forte je quitte cet endroit lugubre pour revenir vers le Chemin des Dames.

 
La nuit est presque tombée lorsque je termine cette journée par la visiste des cimetières militaires de Soupir français allemand et italien. Les italiens sont une des nombreuses nations venues combattre sur ce petit bout de front, parmi des français des russes, des polonais, des allemands, quelques autrichiens, des danois, et bien d'autres encore, soldats des régiments de marche de la Légion Etrangère. Les cimetières militaires ont chacun leur style national : ouverts à tous les vents et dépouillés de tout embellissement pour les français : des régiments de croix alignés dans une prairie, très singuliers et arborrés pour les allemands, protégés d'une enceinte et propice au recueillement et au respect pour les britanniques, grandiose et presque pompeux pour les américains. Ce cimetière italien cloturé ressemble à un cimetière civil. Seul l'uniformité des tombes, l'absence de fleurs et le portail rappelle à son usage. Le sol de l'allée centrale est recouvert de petites pierres extraites d'une rivière, parmi lesquelles on distingue quelques éclats de silex, improbables déchets de taille d'outils antédiluviens, clin d'oeil involontaire de l'architecte du lieu à l'éternité. La pente qui s'élève vers le plateau fut très disputée du début à la fin de la guerre.
Suite du Vendredi
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