Extrait de << Le Messerschmitt diabolique >> de Mano ZIEGLER

 

Deux heures plus tard Albert, notre premier mécanicien, m'aidait à boucler la sangle du parachute et tenait la petite échelle, me permettant d'escalader les ailes du 163 et d'entrer dans la carlingue. Pitz n'avait pas volé, mais avait vérifié le fonctionnement du groupe moteur au banc d'essai et m'avait assuré que tout était parfait. Lorsque Albert eut serré la bretelle et passé rapidement une dernière inspection des instruments, Pitz vint près de la carlingue et donna -comme à chaque novice -ce qu'il appelait la dernière onction.

-Tout est compris, Mano? Tenir le manche à balai légèrement contre toi et observer attentivement les indicateurs de pression. Si la pression est insuffisante, ramener le levier de poussée immédiatement en arrière afin de perdre de la vitesse. Si tu t'aperçois que tu dépasses la piste, sauter en dehors. Sinon dès l'envol tenir tranquillement le manche sans donner d'avance. Puis à cinq ou dix mètres de hauteur, larguer le train; surtout ne pas l'oublier. Ensuite en dépassant les limites de l'aérodrome, pousser la vitesse jusqu'à huit cents km/h et prendre de la hauteur. Au cours de la montée ne pas donner d'avance et l.aisser monter jusqu'à l'arrêt du groupe moteur. As-tu tout compris? Encore une question ?

-Tout est bien clair, Pitz !

-Bonne chance. Merci !

Pitz ferma la carlingue, je la verrouillai de l'intérieur ; de la voiture de démarrage Albert me donna le signal qu'il était prêt; puis je pressai sur le bouton du levier de poussée pour lancer la turbine. La turbine fit entendre de légers vagissements, puis hurla plus fort et une vapeur blanche entoura la carlingue, car il n'y avait pas de vent. Alors, pendant une seconde la peur à nouveau se mit à ramper vers moi; pendant un moment il me sembla que les instruments grimacèrent de façon sarcastique, puis tout s'effaça. Deux fois encore la turbine poussa des hurlements, puis je plaçai le levier de poussée sur l'allumage qu'indiqua une légère détonation et l'aiguille du manomètre sauta sur 5 atü. Puis je plaçai le levier sur la poussée maximum, l'aiguille glissa sur 24 atü et pendant une seconde je me félicitai du bon fonctionnement du groupe moteur, car d'autres atteignaient difficilement 21 atü. Mon train passait sur les petits sabots de frein; le groupe moteur qui en dehors donnait un concert infernal ne se faisait entendre de la carlingue que comme un fort bruissement, tandis que mon oiseau, malgré ses quatre tonnes, prenait de la vitesse. Toujours plus vite et plus vite. Mes yeux étaient accrochés à l'aiguille de pression qui bravement restait à 24 atü puis -catastrophe! -rétrogradait à 22 mais tout aussitôt repartait sur 23 1/2. L'indicateur de vitesse marquait déjà 200 km/h, puis 250, mais les quatre tonnes ne quittaient toujours pas le sol. J'avais oublié depuis longtemps qu'il y avait autre chose que moi et l'oiseau crachant le feu, que le monde avait d'autres composantes que moi-même, un indicateur de vitesse et la direction toute droite d'une piste que je devais tenir strictement et qui défilait toujours plus vite sous moi. L'indicateur marquait 300 km/h; je sentais que le M e devenait plus léger que les roues, à une folle vitesse, caressaient juste encore le sol. Maintenant il décollait, nous étions en l'air ! Le manomètre marquait toujours 23 1/2 et le groupe moteur crachait comme un dragon sifflant ; j'étais bien à six ou sept mètres d'altitude et je poussais le levier qui faisait rentrer les patins et larguait le train. Débarrassé des lourdes roues d'acier, le Me faisait un bond en avant que je ressentais violemment dans le dos, et en même temps je donnais une forte pression sur le manche à balai. Je manœuvrais la roue du fletner qui, pour le décollage, avait placé la charge entièrement vers l'arrière et qui, pour la montée, devait la faire passer sur l'avant, faute de quoi on allait, sans résistance possible, à un énorme looping. Personne ne serait capable de tenir en vol à la verticale jusqu'à 800 km/h un avion centré arrière. J'étais à cinquante mètres d'altitude ; l'indicateur de vitesse était déjà à 750 km/h, juste au-dessus des premières maisons de Zwischenahn ; quelques secondes après il était à huit cents. J'avais fini de régler le fletner et je ramenais lentement le manche en arrière ; aussitôt nous montions en flèche haut, très haut. Je diminuais la poussée d'un pouce jusqu'à la pression 22 et alors seulement je commençai à respirer. La terre avait disparu ; je montai et je montai dans le bleu infini au-dessus de moi et qui devenait toujours plus foncé. Brusquement j'entendis une voix dans le casque : " De campanule à chauve-souris, que deviennent les chariots à ridelles ? " Mon Dieu, je l'avais oublié. " Campa nule ", c'était le poste à terre qui de mille mètres en mille mètres devait recevoir l'indication de la hauteur de vol. Un regard sur l'altimètre m'apprend que je suis déjà à quatre mille cinq cents mètres et, en bégayant presque, je fais entendre : " De chauve-souris à campanule : je suis à quatre et demi maintenant à cinq mille mètres. " -" De campanule à chauve-souris ", la réponse vint : " bonnet de nuit ". Et selon les instructions je répliquai : " De chauve-souris à campanule " "victor, Victor ! " Ce qui signifiait "compris ". Entre-temps, mon ascenseur à fusée allait bon train et je continuais à faire connaître mes altitudes ; lorsque mon vaillant groupe moteur s'arrêta à huit mille cinq cents mètres et que l'effet de freinage me souleva dans la carlingue je ne pus me retenir de jubiler dans le microphone : " De chauve-souris à campanule, je lâche un pet ! Je m'informe de Victor. " Et d'emblée la réponse montait : " De campanule à chauve-souris : ça ne se dit pas, tout au plus peut-on le penser ! Victor, Victor. Fin. " J e lâchai rapidement le commutateur radio afin de ne pas laisser entendre un rire trop bruyant, tandis que ma chauve-souris, portée par son élan, dépassait les dix mille mètres, avant d'atteindre, à son apogée, la ligne de vol.

Trop de choses ont été écrites sur le décollage des fusées et plus encore sur l'arrêt du groupe moteur ! On vous serre la sangle au point de vous faire perdre la respiration, au décollage le pilote est poussé contre le dossier au risque de tomber en syncope ; à l'arrêt du groupe moteur la sangle, cédant à la secousse, vous marque de stries sanglantes dans la chair -sans parler d'autres sottises ; alors que hormis en cas d'une grève du groupe moteur, rien ne se passe si ce n'est l'envahissement par un sentiment débordant qui vous fait jubiler à gorge déployée...

A huit mille mètres l'avion glissait tantôt lentement, tantôt plus vite, grâce à une poussée légère ; j'étais si éloigné de la terre que je n'avais plus l'impression d'en faire partie. Il me semblait approcher d'une étrange étoile avec ses drôles de maisonnettes et ses serpentins noirs qui fumaient dans le paysage bariolé, avec des puces qui bondissaient par-dessus les routes et des mares, si petites qu'il paraissait possible de les franchir d'un trait. Plus loin, c'était l'océan des maisons de Brême et plus loin encore la bande bleue argentée de la côte de la mer du Nord. Ah ! Oui, c'était bien beau là-haut. Je cherchai l'aérodrome et, tout d'un coup, je devins inquiet ; Je ne le voyais nulle part. Saperlipopette, si je ne le découvrais pas ? Rien à droite, rien à gauche ; pas de trace de la mer de Zwischenahn. Je devenais nerveux, j'inclinais à gauche puis à droite ; je réfléchissais d'où j'étais venu et je cherchais partout. Enfin je l'aperçus, tout à fait au fond, à côté de cette mare et tout petit avec ses hangars qui donnaient l'impression de taupinières. Je ne le perdais plus de vue. Je descendais en d'amples lacets : huit mille, sept mille, six mille mètres. Je voyais maintenant la voie ferrée d'Oldenbourg sous moi et la ville où Helga travaillait quelque part dans un bureau ; je pensai subitement à Beethoven et au blaireau noyé dans la gelée de pomme. Seigneur ! Comme tout était beau et riant ? Une ombre cependant. Worndl avait été sûrement joyeux et heureux, lui aussi, en regagnant la terre avec des réservoirs vides, sans penser à la mort. Peut-être avait-il été trop heureux ? s'était-il réjoui trop longtemps au point d'oublier un peu le retour. Instinctivement j'empoignai avec plus d'énergie le manche à balai et à la hauteur de quatre mille mètres je commençai à me préoccuper sérieusement de mon atterrissage. C'était absurde car je pouvais encore évoluer au-dessus de l'aérodrome comme je le voulais et cela ne devenait sérieux qu'à quinze cents mètres; et maintenant j'y étais. Lentement, je me dirigeai vers l'étendue de forêts; j'avais encore trop de hauteur et il me fallait allonger mes lacets. Je suis maintenant à mille mètres par le travers de l'aérodrome au-dessus de la pointe est, et je reviens par l'autre côté du lac. Sept, six, cinq cents mètres. Je prends le dernier virage, puis la ligne droite pour l'atterrissage... Bon! me voici à trois cents mètres et la croix d'atterrissage est là-bas. Je sors les patins et je manœuvre les volets d'atterrissage " peu à peu " , progressivement. Trop haut, il faut ouvrir les volets davantage; le tachymètre indique 250 km/h, trop vite il me faut ralentir à 230, 220 km/h. Hop là, l'oiseau tombe maintenant comme une pierre, il me faut céder un petit peu, la croix d'atterrissage est là-bas... je la dépasse un peu trop haut, mais maintenant, pouf, l'avion se pose et en touchant terre le freinage tire puissamment sur les sangles, les patins aplanissent le sol en le raclant, le Me cahote et brinquebale plusieurs fois comme une charrette paysanne sur des pavés, puis il dérape en douceur, s'arrête et s'incline sur l'aile droite. Mon Dieu, je vis ! J'arrache le masque à oxygène du visage, je retire les lunettes, je décroche le parachute et les sangles, je soulève le toit de la cabine -ça, c'était assez difficile -et je saute à terre. La voiture de dépannage m'amenait Pitz et d'autres camarades, Fritz et Werner, naturellement. Pitz me serra la main :

-Comment c'était? Je vis à ses yeux qu'il était heureux de me revoir sain et sauf avec le Me.

-Epatant, Pitz, merci. Je sens que je suis prêt à recommencer tout de suite !

-Dommage, disait Fritz, je m'étais inscrit pour ton dessert. Il y a des biscuits à la crème au chocolat.

-Cela me fait de la peine, Fritz, mais de toute façon je te cède mon dessert.

-Alors je te félicite, mon lieutenant. Mais trêve de plaisanteries, ton atterrissage était de première classe.

-Seulement un peu trop loin.

-Sornettes, parfaitement dans les limites. Tu t'es posé à vingt mètres derrière la croix d'atterrissage.

-Je pensais qu'il y en avait cent.

Herbert me prenait sous le bras.

- Où allons nous ce soir ?

Je réfléchis un instant .

- Je vais te dire : avec trois bouteilles de champagne dans ma chambre que nous remettrons en ordre avant la fête.

Et c'est ainsi que celà se passa.

 
Mano Ziegler et Rudolf Opitz ( Pitz )

Herbert Langer

Il se tuera en essayant un Komet

Fritz Kelb

Il sera le seul pilote à abattre un avion en utilisant le Jägerfaust, système de tir vertical expérimental le 10 avril 1945.

Il trouvera la mort au combat dans les derniers jours de la guerre en pilotant un Me 262.

 

 

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