Extrait de << Pilote de stuka >> De Hans Ulrich RUDEL

 

 

Ce repos forcé m'énerve terriblement. Voilà huit jours que je suis en traitement, et mon état ne s'est toujours pas amélioré. Au contraire, j'ai l'impression que l'immobilité et le régime très sévère m'ont plutôt affaibli. Par-dessus le marché. Je m'ennuie à mourir ; mes camarades ne peuvent évidemment pas venir me voir le trajet est vraiment trop long.

Malgré la proximité de la mer, il fait déjà assez froid ; un brise g1ace passe par les fenêtres dont les vitres sont en grande partie remplacées par des planches.

Le toubib est un brave type qui prend son travail très au sérieux. Il me fait presque sortir de mes gonds quand, le matin du neuvième jour, il m'annonce avec un bon sourire :

- Mon lieutenant, après-demain, un train hôpital part en Allemagne ; je ferai le nécessaire pour que vous puissiez en profiter.

- Mais il n n'en est pas question, voyons.

- Mais, mon Lieutenant, il faut absolument continuer le traitement. Pour vous guérir tout à fait, je ne vois qu'une possibilité : votre évacuation en Allemagne.

- Allons, je ne peu tout de même pas rentrer à cause d'une maladie aussi ridicule. Je ne veux même plus rester Ici ; cet hôpital est charmant. tout le monde charmant, mais j'en ai assez. J'en ai même plein le dos.

Comme je vois qu'il commence à se mettre en colère, j'ajoute d'un ton sans réplique :

-D'ailleurs, toute cette discussion est inutile. Il faut que je rejoigne immédiatement mon escadrille.

A présent, le médecin est vraiment fâché. Il ouvre la bouche, se ravise, ravale ce qu'il allait dire -comme il n'est' que sous-lieutenant. il n'ose quand même pas engueuler un supérieur -et déclare finalement, d'un ton indigné :

- Je décline toute responsabilité, vous m'entendez bien, toute responsabilité. Je ferai d'ailleurs une lettre dans ce sens que je vous prierai de transmettre à l'état-major de votre unité.

Dès qu'il sort, je me lève, m'habille, descends au bureau où l'on me donne la fiche de sortie qui indique en toutes lettres que je ne suis pas guéri et quitte l'hôpitaI contre l'avis du médecin traitant et me fais conduire à l'aérodrome. Je sais qu'il y a un atelier volant qui a déjà réparé plusieurs appareils de mon escadre. Une fois de plus, le hasard m'est favorable. Les mécaniciens viennent de remettre en état un appareil qu'il faudra amener à Karpowka, à l'état-major de l'escadre. On cherche justement un pilote, eh bien, me voici ; décidément, je tombe à pic. A vrai dire, je n'ai pas précisément l'impression d'être rétabli : je marche comme un somnambule, mes jambes flageolent, la tête me tourne. C'est sans doute l'effet du grand air, me dis-je et, aidé par les mécaniciens, je grimpe dans le poste de pilotage.

Deux heures plus tard, je me pose sur le terrain de Karpowka, à 15 kilomètres à l'Ouest de Stalingrad. C'est un aérodrome immense, mais sans aucun camouflage ; toutes les pistes sont encombrées de Stukas. Si jamais Ivan s'avise de lancer vingt ou trente bombardiers sur cet embouteillage, ne puis-je m'empêcher de penser, ça fera du joli ! D'autant plus qu'il ne semble pas y avoir énormément de D. C. A. Par contre ; le terrain est abondamment doté d'écriteaux qui signalent tous les services, installations, baraques, etc. La Luftwaffe a toujours fait une grande consommation d'écriteaux, c'est sans doute une marotte de quelque grand manitou. Je me souviens d'avoir atterri sur des terrains auxiliaires où rien, ou presque rien, n'était préparé pour le repos des pilotes ou le réapprovisionnement des appareils, mais il y avait un nombre respectable d'écriteaux.

Je trouve assez rapidement le quartier généra! de l'escadre, installé dans un vaste entonnoir à la lisière du terrain. Quelques planches en guise de toit, et deux ou trois marches creusées dans la terre en font un abri à la rigueur habitable. Pour l'instant, .le commodore est absent; il vient de partir avec le lieutenant Kraus, un de mes camarades de cours, pour une petite mission au-delà des lignes ennemies. Dès son retour, je me présente; il est visiblement étonné de me revoir si vite.

- Comment ? Déjà ? Mais vous en avez une drôle de bouille, jaune comme un Chintoque, on ne vous voit même plus le blanc des yeux I Cette fois, je suis bien obligé de mentir. Seul, mon culot proverbial peut me tirer de là.

- Si je suis de retour, mon colonel, c'est que l'hôpital m'a renvoyé, comme parfaitement guéri.

Le commodore lance un coup d'oeil au médecin-chef de l'escadre qui se détourne en haussant les épaules. Alors, le << vieux >> secoue la tête.

- Si Rudel est guéri, grommelle-t-il, je me demande quelle gueule il faut avoir pour être considéré comme malade. Vous avez votre fiche de sortie?

Je suis terriblement embêté. Sur le terrain de Rostew, j'avais eu besoin, de toute urgence, d'un bout de papier, pour une utilisation assez... comment dirais-je... personnelle; et comme ma fiche de sortie était, de toute façon, très compromettante, je m'en étais servi. Heureusement, je ne perds jamais le nord; d'un ton assuré, je déclare :

- Mes papiers n'étaient pas prêts; l'hôpital les fera suivre par le prochain courrier officiel.

- Ah ! bon, marmonne le commodore. Bizarre. tout ca. très bizarre. Enfin, je suppose que vous voulez prendre, dés aujourd'hui, le commandement de la première escadrille, comme nous en avions convenu, il y a dix jours.

Pardi ! Je pense bien, c'est même uniquement pour cela que j'étais tellement impatient de quitter l'hôpital.

Pour l'instant, les missions stratégiques sont rares. Une seule fois, nous partons dans la région d'Astrakan pour bombarder un port sur la Volga. Nous sommes surtout chargés d'intervenir continuellement jour après jour, dans la bataille pour Stalingrad. Les Soviets défendent ta ville avec un acharnement incroyable ; ils en ont fait une véritable forteresse.

Bien entendu, ma vieille escadrille a, elle aussi payé son tribut à la guerre. Parmi les rampants. Il n'y a guère eu de changements ; en ce qui concerne le personnel volant par contre on a du faire appel, dans une certaine mesure, aux pilotes et mitrailleurs de l'escadre de réserve, pour combler les vides creusés par la D.C.A. et la chasse russes, les accidents et les maladies. Cependant, les remplaçants se montrent dignes de leurs aînés ; tous ont d'ailleurs été mes élèves au cours d'instruction de Graz. L'existence que nous menons n'est pas des plus faciles ; tout est souterrain, les logements, le mess et jusqu'au bureau de l'escadrille. Une vraie vie de troglodytes. Mais on s'y habitue.

Nos attaques contre Stalingrad sont rendues difficiles par le fait que les deux tiers de la ville sont occupés par nos troupes. Quant au dernier tiers, les Russes s'y accrochent avec un fanatisme quasi religieux. Stalingrad est la ville de Staline, et Staline est le Dieu vénéré des Kirghizes, Usbèkes, Tartares, Turkmènes et autres Mongols. Ils se battent comme des forcenés pour la moindre ruine, le moindre pan de mur. Pour Staline, ils se sont transformés en tigres qui crachent des flammes ; et si jamais les tigres refusent de se laisser massacrer, les balles bien ajustées des commissaires politiques les empêcheront de fuir le combat. Dans cette cité bouleversée, l'Union de ces disciples asiatiques du communisme intégral et des commissaires politiques forcera l'Allemagne et le monde entier d'abandonner cette croyance commode d'après laquelle le communisme est simplement une conception politique comme toutes les autres. Ils prouveront, aux Allemands d'abord, aux autres peuples ensuite, qu'ils obéissent à un nouvel évangile. Ainsi, Stalingrad sera le Bethléem de notre siècle, mais un Bethléem de guerre et de haine, de destruction et d'anéantissement.

Impossible de chasser ces pensées pendant nos attaques continues contre la forteresse rouge. La partie encore tenue par les Russes s'appuie sur la rive occidentale de la Volga, ce qui permet au commandement soviétique de transporter chaque nuit, à travers le fleuve tout ce dont les défenseurs ont besoin. Des combats sanglants se déroulent pour la possession d'un pâté d'immeubles, d'une cave, d'un mur d'usine. Nous, devons lâcher nos bombes avec une précision mathématique, car quelques mètres plus loin, dans une autre cave, derrière un autre mur, se trouvent nos propres soldats.

Sur des photographies aériennes qui permettent de distinguer chaque maison on indique, au moyeu d'une flèche rouge, les objectifs à atteindre. Nous nous envolons avec ces plans à portée de la main, et avant de piquer, chaque pilote doit vérifier l'emplacement de sa cible. Lorsque nous survolons la partie occidentale de la ville, nous sommes frappés par le calme et l'animation presque normale des rues. Civils et soldats se promènent comme s'ils étaient à des centaines de kilomêtres du front. Ies combats se centralisent dans la partie orientale, où la rive de la Volga est littéralement farcie de nids de résistance qu'il faut réduire les uns après les autres, ou plus exactement, qu'il faudrait réduire, chacun car nos troupes piétinent, clouées sur place par la défense à vrai dire admirable des gardes rouges.

Souvent la D.C.A. russe ne maintient ses barrages que jusqu'à midi ; sans doute les munitions amenées au cours de la nuit sont-elles épuisées au bout de quelques heures, de sorte que, l'après-midi nous pouvons nous promener sans courir trop de risques. Quant à la chasse russe, elle décolle des terrains situés de l'autre côté du fleuve pour essayer d'intercepter nos attaques. En général, les chasseurs russes restent au-dessus des quartiers tenus par leur infanterie ; presque toujours, ils font demi-tour dès qu'ils arrivent au-dessus de nos lignes. Malheureusement, notre terrain est si près de là ville qu'après le décollage, nos formations doivent décrire deux ou trois grandes boucles afin d'atteindre une hauteur suffisante. Et cette manœuvre dure assez, longtemps pour permettre aux guetteurs soviétiques d'alerter leurs chasseurs.

La situation est si confuse, si grave, que je ne veux absolument pas aller me reposer à l'arrière, ne serait-ce que pour vingt-quatre heures ; l'enjeu de cette terrible mêlée est trop important, nous le sentons tous, quoique personne n'ait le courage de formuler cette pensée à haute voix. Pourtant, mon état de santé devient franchement mauvais, pour ne pas dire catastrophique ; mais je n'ai pas le droit de tomber malade, il ne le faut pas, à aucun prix. Sans compter que je ne veux pas perdre le commandement de mon escadrille. Pendant une quinzaine de jours, j'ai l'impression de vivre un véritable cauchemar ; puis, lentement, je commence à me rétablir. Une fois encore, ma carcasse a tenu le coup. A présent, nous attaquons surtout le verrou nord, à l'endroit où le front avance jusqu'au Don. Dans cette région, aux environs de Beketowka, la D.C.A. russe est particulièrement puissante, les missions sont dangereuses et, parfois mortelles. Par les interrogatoires de prisonniers, nous savons que les canons antiaériens sont servis uniquement par des femmes. Alors, un plaisantin a baptisé ces missions de << visite aux moukères>>. Ce n'est pas par dérision, car tous ceux qui y sont allés ont dû se rendre compte que ces moukères visent rudement bien.

Tous les deux ou trois jours, nous attaquons également les ponts sur le cours supérieur du Don. Le plus important de ces ouvrages se trouve près du village de Kletskaja; les russes y tiennent une tête de pont sur la rive occidentale, et dans cette position, ils ont concentré une D.C.A. formidable. D'après les prisonniers, cette tête de pont est aussi le siège d'un quartier général de corps d'armée. Lentement, mais inexorablement, la tête de pont s'étend, les Soviets y amènent sans cesse des renforts en hommes et en chars. Nous avons beau endommager le pont, nous ne pouvons lutter de vitesse avec le génie russe qui construit, en une nuit, un ou même deux pontons. Nous avons reçu l'ordre d'interdire l'acheminement des troupes et du matériel ennemi, et nous arrivons tout juste à le ralentir.

En face de cette tête de pont menaçante, notre front est tenu surtout par des unités roumaines. La VIe armée allemande occupe uniquement la ville de Stalingrad proprement dite. C'est cette disposition qui sera la cause essentielle -ou tout au moins une des causes essentielles - du désastre.

Un matin, on nous demande de partir immédiatement, sans perdre une minute, vers cette tête de pont. Le temps est infect. des nuages bas, il neige, la température doit atteindre 20 degrés au-dessous. Nous volons en rase-mottes. Tout à coup, je sursaute : qu'est-ce que c'est, ces masses d'hommes -qui, sur le sol gelé, se hâtent vers nous ? Nous sommes tout au plus à mi-chemin entre notre terrain et la tête de pont. Des Russes ? Non, des Roumains Certains jettent même leurs armes individuelles afin de pouvoir courir plus vite ; c'est une image déprimante; déjà, je dois me défendre contre un sombre pressentiment. Remontant tes colonnes en fuite, nous volons vers le nord; bientôt, nous arrivons au-dessus des positions d'artillerie de nos alliés. Les canons sont abandonnés, mais non détruits ; nous distinguons même des caisses de munitions. Bien plus loin seulement, nous apercevons les premières vagues d'assaut russes. Elles pourront s'emparer des positions roumaines sans même tirer un coup de fusil. Bien entendu, nous attaquons aussitôt, à la bombe et à la mitrailleuse, mais à quoi bon, du moment qu'au sol, toute résistance a cessé ? Je sens monter une rage impuissante et, en même temps, une épouvante qui me paralyse. Que faire pour enrayer cette catastrophe ? Bientôt, j'ai épuisé mes munitions, sans avoir réussi à arrêter l'avance de cette marée, cette avalanche humaine venue des confins asiatiques de l'immense Russie. Il ne me reste même plus une bande de mitrailleuse pour me défendre contre l'attaque éventuelle d'un Chasseur soviétique. En hâte, nous faisons demi-tour pour nous réapprovisionner en munitions et en essence ; contre cette masse qui déferle à perte de vue, nos bombes feront tout au plus l'effet d'une goutte d'eau dans la mer, mais pour l'instant, je ne veux pas penser à tout cela, pas penser du tout.

Durant le trajet du retour, nous survolons les longues files de Roumains en pleine fuite; une chance au fond. de ne plus avoir de munitions, je serais bien tenté de tirer dans le tas pour essayer de mettre fin à cette ignoble débandade: Sans combat, nos valeureux alliés ont tout abandonné : des posi-tions solides. leur artillerie lourde, d'immenses quantités de munitions; ils n'ont pensé qu'à s'enfuir. Déjà, nous voyons les premières conséquences de cette défection. Irrésistible, foudroyante, l'offensive russe progresse jusqu'à Kalatsch. Avec la prise de cette ville, les Soviets établissent un demi-cercle autour de la partie de Stalingrad que tiennent nos troupes.

Assiégée dans Stalingrad même la VIème armée, soumise au marmitage incessant de l'artillerie lourde russe repousse encore les assauts continuels des vagues rouges. Mais. déjà. la VIème armée est saignée à blanc; elle se bat, le dos contre un mur qui s'effrite lentement; pour l'instant. elle s'accroche désespérément, et trouve même la force de riposter.

Au sud de Stalingrad, le front longe une succession de lacs et, plus bas, forme un saillant qui s'avance dans la steppe. Dans cette immensité, une sorte d'oasis, à plusieurs centaines de kilomètres de Stalingrad la ville d'Elista. Le front passe à l'est d'Elista. Dans la ville est installée une division allemande d'infanterie motorisée qui surveille la steppe. Mais entre cette division et Stalingrad, notre front est tenu uniquement par des unités fournies par nos alliés. C'est là que l'Armée rouge a flairé le talon d'Achille; elle attaque. en direction de l'ouest, surtout dans le secteur nord des lacs. Elle attaque, et, bien entendu, elle perce. Les Russes veulent atteindre le Don ; quelques jours après le début de leur offensive, ils y parviennent. Puis, ils se ruent vers le nord-ouest, pour atteindre Kalatsch. Déjà, le destin tragique de la VIème armée se dessine. Dans la région de Kalatsçh, les deux armées soviétiques font leur jonction, fermant ainsi le cercle autour de Stalingrad. Et cette immense manoeuvre se déroule avec une rapidité terrifiante: de nombreuses unités allemandes sont prises entre les deux branches de ta tenaille. écrasées, exterminées, sans même avoir compris ce qui leur arrivait. Des milliers de tragédies, mais aussi d'actes héroïques, marquent ce bref laps de temps. Aucune unité allemande ne se rend avant d'avoir lutté jusqu'à la dernière balle, la dernière grenade, -jusqu'à la fin.

A présent, nous volons, à l'intérieur de la poche, pour intervenir aux endroits les plus menacés. La pression soviétique contre la VIème armée augmente de jour en jour, mais la VIème armée tient encore. Chaque fois que les russes réussissent une percée locale, nos troupes verrouillent la pénétration et, le plus souvent, rejettent l'ennemi par une contre-attaque. Complètement encerclées, elles résistent avec une détermination farouche.

L'agressivité d'Ivan ne se limite pas à la guerre sur terre. Continuellement, chasseurs et bombardiers soviétiques attaquent notre terrain. Nos pertes en hommes et en matériel sont, certes, assez sensibles, mais elles pourraient être bien plus lourdes si les pilotes soviétiques soignaient davantage leur travail. Cependant, nous sommes bientôt tellement à court de bombes et d'essence, qu'il paraît indiqué de retirer plusieurs escadrilles; il est, en effet, inutile de laisser dans la poche des appareils qui, quelques jours plus tard, seront immobilisés par le manque de carburant. Nous évacuons donc progressivement le terrain et nous installons à Oblivskaja, à quelque 17 kilomêtres à l'ouest de Stalingrad. A présent, les troupes terrestres ne peuvent plus compter, en ce qui concerne l'appui aérien, que sur le groupe spécial du lieutenant Jungklausen qui, avec quelques appareils et une poignée de pilotes, reste dans ta poche pour soulager la défense, Jusqu'à la dernière goutte d'essence.

Cependant, le haut commandement tente encore de libérer la garnison encerclée. Partant de la région de Salsk, des unités d'élite, épaulées par deux divisions blindées, s'efforcent de briser l'étau soviétique. Il s'agit de réaliser une profonde pénétration dans le dispositif russe, d'y enfoncer en quelque sorte un coin en direction du nord-est, afin de rétablir la liaison avec la VIème armée. Notre escadre est chargée d'appuyer cette opération. Chaque jour, de l'aube jusqu'au crépuscule, nous combattons au-dessus de nos pointes avancées. Tout d'abord, nos divisions avancent de façon satisfaisante ; en quelques jours, elles réussissent à prendre et à dépasser la localité d'Abganerowo, située à seulement 30 kilomêtres au sud de la poche. A partir de ce point, la résistance russe se raidit, mais notre progression continue, quoique au ralenti. Pour que l'opération puisse aboutir rapidement, il faudrait que la VIème armée puisse, de son côté exercer une forte pression pour venir à notre rencontre. Mais elle n'en a plus la force ; depuis des semaines sa résistance physique est pratiquement anéantie, seule, une volonté de fer lui permet encore de résister. D'ailleurs, les unités groupées sous le commandement de Paulus manquent maintenant de tout : pas de ravitaillement, pas de munitions, pas d'essence. Le froid impitoyable -la température se maintient entre -20°C et -30°C -paralyse tout. Peut-être l'opération pourrait-elle encore réussir si l'aviation parvenait à approvisionner, tout au moins dans une certaine mesure, l'armée encerclée; les plans élaborés au G.Q.G. prévoyaient d'ailleurs des parachutages massifs. Malheureusement, le climat hivernal joue contre nous, une fois de plus. Décidément, la météo n'est pas avec nous. Une longue période de mauvais temps rend impossible l'exécution du programme de ravitaillement. Jusqu'à présent, nous avions toujours réussi à libérer, souvent au dernier moment, les unités encerclées par l'ennemi. Cette fois, il n'y a rien à faire; une partie minime seulement des quantités prévues atteint la ville assiégée. Plus tard, nos avions ne peuvent même plus atterrir, et les quelques colis parachutés tombent souvent entre les mains des Russes. Avec une angoisse croissante, nous nous demandons combien de temps Paulus pourra encore tenir.

Puis, tout à coup, nous parvient une nouvelle catastrophique : dans le secteur de Bogoduchow, tenu par nos alliés, les Russes ont réalisé une percée énorme. Si nous n'arrivons pas à les arrêter, l'ensemble du front sud risque de s'effondrer. A tout prix, il faut verrouiller immédiatement cette trouée. Or le haut commandement ne dispose plus de réserves ; les seules divisions utilisables sont celles qui s'efforcent de se frayer un passage jusqu'à Stalingrad. Le G.Q.G. doit donc de prélever, sur ce groupe, les unités les plus fraîches et de les jeter dans la brèche. Et c'est ta fin de l'opération destinée à sauver la VIème armée.

Mieux peut-être que les généraux, nous autres, pilotes, savons à quel point l'abandon du grand projet est tragique. Nous qui volions jour après jour au-dessus de nos pointes avancées, nous sommes en mesure d'évaluer la force exacte de la résistance qui restait à briser. Résistance tenace, certes, mais nullement insurmontable. Pour ma part, je suis persuadé que les divisions venant de l'extérieur auraient pu atteindre la poche et briser l'encerclement. Du moment qu'on leur retire le gros de leurs forces offensives, elles sont réduites à l'impuissance. La VIème armée ne sera pas sauvée. L'Allemagne a perdu une grande bataille, une belle armée, et aussi la ville de Stalingrad. C'est-à-dire que nous avons perdu la possibilité de paralyser définitivement le vrai centre vital de l'Armée Rouge.

 

A propos de la bataille de Stalingrad je peux vous conseiller quelques autres lectures qui permettent de situer les évènements décrits par Hans Rudel en associant les dates aux actions allemandes et soviétiques,et tempérer son avis sur les alliés italiens et roumains :

Stalingrad de Anthony Beevor

Le chaudron infernal de James Walsh

Opération Barbarossa de Paul Carell

La bataille de Stalingrad de François de Lannoy

Vaincre ou mourir à Stalingrad de William Craig

D'autres livres notament ceux consacrés à la Luftwaffe à la page livres donnent une idée du rôle de la Luftwaffe dans cette bataille.

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