Extrait de << Chasseurs au-dessus de la Finlande >> De Eino LUUKKANEN

Eino LUUKKANEN dans le cockpit de son Fokker XXI

 

J'avais déjà agrippé mon casque et ouvert la porte avant même qu'il ait fini sa phrase. Je courus vers les avions. Les mécanos, qui avaient compris intuitivement ce qui se passait, avaient déjà fait démarrer les moteurs. Hurlant mes ordres aux autres pilotes, je grimpai sur l'aile de mon Fokker et m'installai aux commandes de mon appareil. Moins de cinq minutes après le coup de feu du colonel Lorentz, nous étions en formation au-dessus du lac d'Immola, nous dirigeant vers Viipuri. Je jetai un mit rapide autour de moi pour m'assurer que tous mes pilotes se trouvaient en formation et ce fut seulement à ce moment que je compris que je menais la première mission de la guerre.

Pouvions-nous atteindre Viipuri à temps ? Nous volions juste sous la base des nuages, à six cents mètres, à quelque 300 km/h et, selon mon estimation, nous devions atteindre notre objectif dans vingt minutes. Mais 20 minutes, c'était plus qu'il n'en fallait pour que les bombardiers russes aient pu larguer leurs bombes et rentrer chez eux. A 09 h 45, J'aperçus cette vieille ville qui m'était si familière et mes craintes se révélèrent, hélas, fondées. Des fumées s'élevaient près de la gare de triage de Maaskola. Les Russes avaient déjà largué leurs bombes et s'en étaient retourné. La formation vira vers le sud et j'aperçus dans le lointain deux bombardiers disparaissant dans les nuages. Il était trop tard !

Nous grimpâmes au-dessus de la couche de nuages, vers 1500 mètres, où le soleil nous aveugla, mais nous ne trouvâmes aucune trace de l'ennemi. Nos adversaires avaient fait le meilleur usage de cette couche nuageuse pour disparaître. Pendant une heure, nous continuâmes notre patrouille au sud de Viipuri, jusqu'à Kuolemajarvi, sans rien apercevoir que quelques appareils finlandais et comme notre carburant diminuait, nous ne pûmes rien faire d'autre que rentrer à la maison, déçus de n'avoir pu rencontrer Ivan.

Le retour s'effectua dans des nuages de neige qui s'épaissirent au fur et' à mesure de notre approche, jusqu'à ce qu'une tempête nous contraignit à descendre au ras des cimes des arbres, avec une visibilité ne dépassant pas huit cents mètres. De retour à Immola, notre déception fut d'autant plus grande lorsque nous apprîmes que Viipuri avait été bombardé à 09 h 42, soit trois minutes avant notre arrivée ! La tempête de neige s'intensifia de telle sorte qu'il fut impossible de décoller à nouveau. Notre premier jour de guerre s'acheva dans le noir, nous dispensant de demeurer en alerte.

Après dîner, au mess, nous étions, pour la plupart, absorbés dans nos pensées. La situation de notre pays n'était guère brillante. L'avenir n'était pas rose car l'ennemi disposait de forces cinquante fois supérieures aux nôtres, mais aucun d'entre nous ne succomba au découragement. Nous avions le bon droit pour nous, mais il nous aurait été agréable de disposer de quelques escadrilles de plus pour nous permettre de défendre notre bon droit ! Ce premier jour de cette " guerre hivernale " avait été très décevant, mais nous espérions que le jour suivant nous permettrait d'en découdre avec Ivan.

Le matin suivant, le second jour de la guerre, je fus debout vers 05 h 30 et, le temps d'enfiler mes fourrures, sans même attendre mon petit déjeuner, je me retrouvai dans la nuit noire me dirigeant vers les alvéoles où se trouvaient les avions, encore protégés par des draps blancs de camouflage. Mon D.XXI, qui portait le numéro de série FR-104, se retrouverait peut-être en combat aujourd'hui, aussi l'inspectai-je soigneusement, détaillant particulièrement son armement. Mes pieds sur les pédales actionnèrent le gouvernail, mes mains basculèrent le manche à balai et je fis un signe au mécanicien. Le starter siffla, le Mercury toussa, actionnant l'accélérateur à main je réglai son régime jusqu'à ce qu'il émit un ronronnement réconfortant. Je vérifiai les instruments, puis, satisfait, je coupai les gaz.

Commença alors une période d'attente, si familière aux pilotes de chasse du monde entier. Petit à petit, le ciel devint gris puis d'un rose orangé à l'est. Le téléphone retentit dans la " tente d'alerte ". Une patrouille de deux avions devait être maintenue en continu au-dessus de Vuoksenlaakso. Je décidai de conduire personnellement la seconde patrouille, avec Vic Pyötsiä, un pilote chevronné et très sûr, comme ailier. Nous primes la relève au-dessus de Immola. La première patrouille n'avait aperçu aucun signe d'activité de la part des Russes en 90 minutes. Le ciel était abondamment couvert de nuages à partir de quatre cents mètres d'altitude et notre patrouille débuta à une altitude de 300 mètres, suivant une route triangulaire entre Imatra, Enso et Jääskki.

Alors que nous survolions Enso, deux bombardiers apparurent. Ils volaient nord-est à mille mètres, un peu sur notre droite. Je fis signe à Vic, ouvris les gaz plein pot et tentai de me retrouver en bonne position derrière la queue du plus proche des deux bombardiers. Nos victimes présumées, deux bimoteurs aux lignes élancées, avaient deviné notre présence et virèrent brutalement en direction du Sud-Est, mais ce fut une grossière erreur car cette manœuvre nous permit de nous rapprocher plus vite.

Rapidement, le plus proche appareil se mit à grossir dans mon viseur. Quatre cents, trois cents, deux cents, cent mètres. Jamais mes pieds n'avaient été plantés si fermement sur le palonnier, mes mains si serrées sur le manche et mes yeux si fixés sur le collimateur qu'à ce moment précis. J'appuyai sur la détente et vis une gerbe de traceuses filer vers le bombardier. Simultanément, des éclairs d'un orange très vif se mirent à danser devant mon pare-brise. Le mitrailleur arrière me tirait dessus de toute son âme. La cible emplit mon champ de vision et je dus rompre pour éviter la collision. Je fis un tour et revins me placer derrière le bombardier à nouveau. Le mitrailleur tirait toujours, ses obus sifflant autour de mon avion, mais dans l'excitation du moment, je ne me rendais absolument pas compte du danger. Je m'approchai au maximum pour assurer mon tir.

Notre altitude ne devait guère être supérieure à cent cinquante mètres et tout à coup quelque chose tomba du bombardier. Le pilote avait décidé de larguer ses bombes pour alléger son avion et le souffle des explosions lança mon Fokker en l'air comme un fétu de paille dans la tempête. Une fois encore, je me retrouvai dans le sillage du bombardier. Encore un peu plus de gaz et il se trouva dans mon collimateur. Là, il m'était impossible de le manquer ! J'appuyai sur la détente, mais alors que mes obus ravageaient son fuselage, le pilote du bombardier abaissa son train d'atterrissage en guise de frein aérodynamique, ce qui ralentit brutalement sa vitesse, m'obligeant à tirer sur le manche pour éviter de le percuter. Sans nul doute, le pilote connaissait son affaire. Je n'avais nulle intention d'être piégé une seconde fois et je retournai à l'attaque, actionnant la manette des gaz pour calquer ma vitesse sur la sienne. Je lâchai une longue rafale sur son moteur droit à moins de cinquante mètres et une vilaine fumée grise s'échappa du capot. L'hélice tourna encore sur sa lancée puis s'arrêta et le bombardier piqua du nez, évita de justesse un bosquet d'arbres et se retourna comme une crêpe dans un petit champ.

Je pouvais à peine en croire mes veux. Ma première victoire. J'avais agi purement instinctivement tout au long du combat, sans m'attarder sur la tactique ou l'angle de tir. En fait, il m'apparut qu'aucune pensée ne m'avait traversé l'esprit et que mes réactions avaient été automatiques. Tout à coup je pris peur. Avais-je bien abattu un avion russe ? Je n'avais pas cherché à m'assurer de la nationalité ni même du type de l'avion que je venais d'abattre. J'avais seulement pensé qu'il devait s'agir d'un appareil ennemi. J'effectuai une passe au-dessus de l'épave et, à mon soulagement, je reconnus un Tupolev SB-2 portant l'étoile rouge de l'Union soviétique. Les trois membres de l'équipage étaient en train de s'extraire de leur appareil lorsque je passai au-dessus d'eux. Ils agitèrent des chiffons blancs, craignant que je ne leur administre le coup de grâce en vidant mes munitions sur eux.

Jusqu'à ce moment, il ne m'était pas venu à l'esprit que des hommes se trouvaient à bord de cette machine qui gisait, le dos brisé, sur quelque champ de patates d'un pauvre fermier. Un combat aérien est quelque chose d'impersonnel et de détaché. On n'entend aucun cri de douleur, on ne voit pas le visage d'un mourant désespéré, pas de sang, pas d'agonie, pas de déchéance humaine. La vue d'un avion frappé à mort ne stimule que l'orgueil. Ses occupants humains sont si éloignés et la compassion que l'on peut éprouver pour eux ne trouble pas l'esprit du vainqueur. Une idée pusillanime traversa mon esprit. Pouvais-je me poser à côté de ma victime et faire prisonnier l'équipage ? Je commençais même perdre de la vitesse pour mon approche lorsque je me rendis compte de la stupidité de mon idée et repris de la hauteur.

Dans la chaleur du combat, je n'avais eu aucune possibilité de noter ma position et je n'avais plus qu'une très vague idée de la direction d'Immola. Je vis une ligne de chemin de fer et une minuscule gare quelques kilomètres plus loin. Passant à basse altitude, je pus lire le nom de " Koijola ". Plusieurs personnes me regardaient et j'effectuai quelques manœuvres au-dessus de la gare, tentant de leur montrer la direction du bombardier abattu. Sans savoir s'ils avaient compris mes signes, je mis le cap au Nord, pressé de retrouver la terre ferme sous mes pieds et de raconter mon aventure à mes amis.

Mon premier combat devait être une des plus importantes expériences de ma vie. Par la suite, les luttes plus difficiles ne devaient pas avoir un effet si durable que cette expérience a la fois si exaltante et si grave.

Perdu dans mes pensées, je me retrouvai à nouveau au-dessus du lac d'Immola et je commençai mon approche pour l'atterrissage. Mon excitation était si grande que ma vitesse était trop importante et je dus refaire un nouveau tour comme un bleu ! Mon Fokker roula jusqu'au groupe des pilotes de mon escadron rassemblés autour de leurs avions et, tout en coupant les gaz, je tentai de masquer mon exaltation en m'extrayant de mon habitacle avec nonchalance. Mais il n'y avait rien à faire et, quelques secondes plus tard, mes camarades et les mécaniciens me portaient en triomphe. Oui peut garder sa dignité dans ces conditions ? Ils étaient aussi excités que moi. Après tout, n'était-ce pas un événement historique ? C'était la première victoire aérienne remportée par un Finlandais et ce fut seulement plus tard que je compris que cet honneur me revenait tout entier. Vic avait effectué deux passes sans grand effet et son bombardier lui avait échappé en se réfugiant dans les nuages,

Voracement, j'attaquai mon petit déjeuner tandis que mon Fokker était réarmé et ravitaillé. Je me promenais tranquillement sur le terrain lorsque l'alarme se déclencha. Presque simultanément on put entendre un bruit puissant de moteurs d'avions et plusieurs bimoteurs firent leur apparition, à basse altitude, trappes à bombes ouvertes. Le bruit des explosions et le crépitement des mitrailleuses ajoutés au rugissement des moteurs étaient assourdissants, mais il devint vite évident que les aviateurs russes chargés de larguer les bombes n'étaient pas des experts en la matière, car la plupart de celles-ci tombèrent à l'extérieur du périmètre du terrain et celles qui tombèrent à l'intérieur n'infligèrent du dégât qu'au toit et aux fenêtres d'un hangar vide ! Cette attaque à basse altitude entreprise par 10 SB-2 avait pris par surprise notre réseau de guet et seul le quatrième escadron avait réussi a prendre l'air. Néanmoins, il parvint à rattraper les Russes et quatre d'entre eux furent abattus. Nous fîmes même un prisonnier qui était l'illustration vivante du manque d'entraînement dont faisaient preuve les aviateurs soviétiques. Arrivé au-dessus du terrain, son pilote lui avait donné le signal de larguer les bombes, mais, ayant mal interprété ce signal et croyant que les choses tournaient mal, il avait tout simplement sauté en parachute ! Heureusement pour ce jeune lieutenant, son parachute s'ouvrit immédiatement en dépit de la faible hauteur à laquelle il avait sauté et il atterrit tranquillement prés d'un hangar.

Le SB 2 M100 du 41 BAP le 1/12/1939 abattu par Eino LUUKKANEN

retour