Les guerres préhistoriques, Lawrence Keeley

 

Si bien des bandes de " paisibles " chasseurs-cueilleurs ont, en réalité, connu et pratiqué la guerre, s'en trouvent-ils de véritablement pacifiques ? L'exemple le plus frappant se rapporte peut-être aux Esquimaux polaires de Thulé peuplant le nord-ouest du Groenland. Au début du XIXe siècle, ils formaient de petites bandes fortes d'environ deux cents personnes et dont les conditions de vie auraient pu relever d'un scénario de science-fiction post-apocalyptique ou d'une impitoyable expérimentation réalisée à des fins sociologiques. Leur isolement avait été si complet et duré si longtemps qu'ils ignoraient l'existence de toute autre population dans le monde jusqu'à leur rencontre avec un explorateur européen en 1819. Cette minuscule société, dont les membres tiraient une existence précaire d'un désert glacé, se gardait de manière bien compréhensible de tous règlements de comptes et de conflits armés, bien que le meurtre n'y ait pas été totalement inconnu. Lorsque d'autres Inuit du Canada et du sud-ouest du Groenland les rencontrèrent quand les Européens leur en signalèrent l'existence, leurs relations avec ces étrangers, comme avec les Européens rencontrés ultérieurement, furent toujours parfaitement amicales. Les Esquimaux polaires de Thulé fournissent donc un contre-exemple à la récente théorie selon laquelle tout contact avec la civilisation occidentale et ses biens matériels transforme inévitablement des tribus pacifiques en fous furieux hobbesiens. Çà et là existent encore d'autres sociétés de chasseurs-cueilleurs pacifiques. Ainsi, les Pygmées Mbuti des forêts tropicales du centre de l'Afrique et les Semang de Malaisie semblent avoir renoncé à toute forme de violence et peuvent être légitimement tenus pour pacifiques. Cependant, les pasteurs pygmées se trouvaient aussi bien politiquement qu'économiquement subordonnés et dépendants des fermiers qui les environnaient. Bien que souvent engagés dans des conflits violents, non létaux mais avec emploi d'armes, les Mardudjara -petit groupe " sauvage " d'aborigènes du désert occidental australien -ne laissèrent jamais de tels affrontements dégénérer en tuerie ( du moins en présence d'ethnographes ). Bien que disposant de boucliers et d'instruments de combat spécialisés, ils ne possédaient aucune expression dans leur dialecte désignant explicitement les notions de règlement de compte ou d'activité guerrière. Précédemment mentionnés, les groupes de Paiutes et de Shoshone du Grand Bassin n'ont apparemment jamais été des agresseurs et ne furent eux-mêmes que très rarement attaqués, la plupart d'entre eux préférant la fuite à toute tentative de résistance. Mais ces quelques groupes réellement pacifiques sont exceptionnels. Toutes les enquêtes et études multiculturelles indiquent que l'immense majorité des autres chasseurs-cueilleurs s'adonnaient bel et bien à la guerre et qu'il n'existe aucun facteur intrinsèquement pacifique ni dans la chasse et la cueillette, ni dans la société clanique.

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