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LA REPRIMANDE POLONAISE !

Ils n'étaient pas nombreux pendant la Deuxième Guerre mondiale, ceux qui exécutèrent quatre tours de patrouilles opérationnelles et ceux-Ià le doivent surtout à leur quotient de chance. John Iverach (le commandant J.A. Iverach), navigateur canadien, fait partie de ce groupe. Il était en train d'effectuer son quatrième circuit d'opérations quand se termina la guerre en Extrême-Orient et dans le Pacifique.

En mai 1940 après avoir suivi au Canada le second cours d'entraînement pour l'aviation du Commonwealth, il fut alors affecté aux hydravions. (Les escadrilles d'hydravions étaient dépourvues de l'exaltation qui régnait dans le Bomber Command mais il y avait des compensations: d'abord on y vivait plus longtemps et en outre on voyait davantage de pays.) Alors chacun à son tour et après qu'il eut passé plusieurs mois à l'hôpital les Dakotas et les Liberator le réclamèrent en Extrême-Orient. C'est ainsi que l'Islande, la Russie, Gibraltar, Malte, l'Égypte, les Indes, Ceylan la Birmanie, les îles Coco, Java, Sumatra, et l'Australie devinrent les étapes de son itinéraire. Mais aucun de ses engagements ne fut aussi bizarre et aussi dangereux que les neuf mois qu'il passa en 1942 dans les services secrets du Ministère de l'Air. Outre mes missions de routine, je me trouvais être l'officier navigateur de l'escadrille 240 et j'en étais excédé! C'est alors que je me portais volontaire pour un travail de deux semaines qui avait été qualifié de " très intéressant ". Je fus absolument stupéfait quand je découvris de quoi il s'agissait: cela consistait à voler sur un Heinkel 115, un grand hydravion bimoteur à flotteurs, l'un des quatre appareils que les Norvégiens avaient pris aux Allemands et qu'ils avaient ramenés en Angleterre. La R.A.F. les avait transformés en vue de missions de ramassage et de parachutage, en liaison avec les agents secrets tout au long des côtes ennemies...

L'une de ces expéditions a laissé de profondes traces dans la mémoire d'Iverach. En mai 1942, nous étions en train d'opérer partant de Calshot sur le SoIent et en grande partie pour nous rencontrer avec les bateaux de pêche français dans la Baie de Biscaye. Chaque fois que nous devions partir, nous devions soumettre quarante-huit heures à l'avance un plan de vol et en présenter un nouveau après révision au moment du décollage. Pour ce vol en particulier, il était entendu que nous allions revenir aux premières heures de l'aube et par mesure de précaution, il était prévu qu'un appareil viendrait à notre rencontre au-dessus de la Manche pour nous escorter sur la voie du retour . La patrouille fut longue mais sans incidents, jusqu'au moment où nous approchâmes de la côte sud de l'Angleterre, où notre avion escorteur dessinait des cercles en nous attendant au lieu dit. Je fus assez surpris de voir le genre d'appareil qu'on nous avait envoyé: un bombardier Hampden qui, à première vue, ressemblait étonnamment à un Dornier allemand. Mais au moins nous savions que c'était un ami et nous volions gaiement en formation en direction de Calshot qui n'était qu'à 15 ou 20 kilomètres de là.

J'étais très occupé dans mon compartiment avant à rédiger quelques dernières apostilles sur le journal de bord et soulagé à l'idée d'avoir derrière moi une mission bien terminée, quand soudain mon journal de bord fut percé d'un petit trou, juste à côté du crayon. Au même instant, l'un des instruments de conduite automatique placés sur le fuselage à côté de moi passa en sifflant au ras de ma tête pour s'écraser ensuite contre le plexiglas. Je me retournai pour connaître la raison de tout ceci, juste à temps pour apercevoir un objet qui ressemblait à une araignée et qui tournoyait devant nous. C'était notre hélice tribord! Et puis ce fut notre aile tribord qui explosa dans une gerbe de flammes! Knut, mon pilote norvégien, se mit à hurler dans l'intercom : " Ça, ces sont de f..us Spitfire! Johnny, tire donc un signal de reconnaissance! " Tout en parlant il manœuvrait pour faire un piqué en direction de l'eau au-dessous de nous. Je saisis le pistolet lance-fusées et le fis fonctionner avant de réaliser que j'avais oublié d'enlever les panneaux de signalisation allemands pour les remplacer par les nôtres! Pendant ce temps, notre avion escorteur Hampden se montrait prudent point de ne pas faire preuve d'un bien grand courage; son pilote ouvrit les gaz et s'enfuit comme un chat qu'on a ébouillanté. Nous avons amerri ensuite sans dommage sur une mer calme, tout en réussissant à éteindre l'incendie pendant que les deux Spitfire passaient à nouveau au-dessus de nous, heureusement sans cette fois nous mitrailler. Nous n'étions alors qu'à huit kilomètres de l'île de Wight. Il nous fallut alors demander de l'aide par radio et ensuite subir l'humiliation de nous laisser remorquer jusqu'à Calshot par une vedette de sauvetage sous les sarcasmes de son skipper.

L'enquête qui fut menée par la suite révéla qu'un des membres du Fighter Command avait simplement tardé à communiquer notre plan de vol à toutes les escadrilles de la région et la dernière à avoir été prévenue était une unité polonaise de Spitfire. Lorsque l'officier de renseignements de cette escadrille reçut l'information, deux de leurs pilotes étaient déjà partis en patrouille et il négligea de les en avertir. Quand ils eurent repéré l'appareil, qui indiscutablement était un Heinkel 115, ils avaient tout naturellement supposé que celui qui l'accompagnait était un Dornier et, piaffant d'impatience, ils voulaient les attaquer dare-dare. Quand on demanda à l'officier qui commandait l'escadrille s'il avait pris des mesures disciplinaires à la suite de cet incident il répliqua: " Bien entendu c'est ce que j'ai fait! J'ai mis les deux pilotes aux arrêts dans le camp pour deux semaines avec réprimande! " Et lorsqu'on lui demanda pourquoi il avait fait cela puisqu'il savait très bien que les deux malheureux n'avaient pas été mis au courant de la présence du Heinkel, il expliqua que la réprimande ne concernait pas le fait d'attaquer mais bien le fait de n'avoir pas réussi à descendre le Heinkel et d'avoir laissé échapper l'autre appareil!

John A. Iverach, Winnipeg, Manitoba, Canada, 1984

 

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