Extrait de << Stalingrad >> Du Maréchal André Ivanovitch IEREMENKO

 

Notre aviation au cours des combats pour Stalingrad eut à lutter dans des conditions extrêmement difficiles. Ces difficultés s'expliquent par la nette supériorité de l'adversaire au début de la bataille, ce qui peut être confirmé par les chiffres suivants. Au mois de septembre, l'ennemi disposait de 900 appareils de première ligne (500 avions de bombardement et 400 chasseurs) ; à la même époque nous ne disposions que de 192 appareils en état de servir (le parc d'aviation comportait en tout 494 appareils). A la date du 1er octobre, l'ennemi avait 850 avions, nous en avions 373.

L'action de l'aviation ennemie avait un caractère massif. Elle portait des coups aux troupes qui défendaient Stalingrad, aux aérodromes et à certains objectifs de l'arrière. L'aviation ennemie détruisait sans pitié tous les objectifs d'importance vitale, pour les troupes comme pour la ville. Elle s'efforçait de même de paralyser nos transports en direction de Stalingrad et d'empêcher les mouvements de nos réserves vers la ville.

Profitant des conditions favorables, notamment en ce qui concerne les bases, elle menait une action soutenue et effectuait dans certains cas plus de 2 000 raids en une seule journée.

La supériorité numérique de l'aviation germano-fasciste, et tout d'abord de l'aviation de bombardement, obligeait nos forces d'aviation à engager sans cesse des combats aériens, pour repousser les raids des groupes de bombardement, qui opéraient sur une vaste échelle, sous la protection des chasseurs. La pénurie de l'aviation de chasse au sein des forces aériennes des 8e et 16e Armées, et l'activité fébrile à laquelle elle était obligée de se livrer, limitait pendant le jour l'action efficace de notre aviation de bombardement, la réduisant à une action de soutien des secteurs défensifs.

Privée du soutien des chasseurs, elle subissait des pertes pénibles. Seule l'excellente préparation, acquise au cours des combats, et le moral élevé de nos aviateurs leur permettaient d'engager une action de jour et de nuit.

Pour se faire une idée de l'activité de notre aviation, il suffit de rappeler que les équipages des appareils de chasse effectuaient souvent jusqu'à 6 ou 7 raids au cours d'une seule journée, pour repousser les raids ennemis, tandis que l'aviation d'assaut, les avions de bombardement de jour et de nuit, portaient sans arrêt des coups à l'adversaire. Il est à noter que, malgré la supériorité de l'ennemi et la meilleure répartition de ses bases, le chiffre total des raids effectués par notre aviation dépassait celui de l'ennemi, et nos bombardements étaient devenus les plus efficaces.

L'aviation de nuit a joué un rôle particulièrement important, surtout les petits appareils PO-2. Ils restaient suspendus tout au long d'une nuit au-dessus des positions de l'adversaire et de ses arrières, leur infligeant des pertes sensibles. L'activité nocturne de notre aviation obligeait l'ennemi à une surtension permanente, et ainsi l'épuisait au moral comme au physique. Les avions PO-2 partaient des aérodromes les plus rapprochés de la ligne du Front, effectuant 3 ou 4 vols de nuit. Chacun d'eux emmenait deux bombes de 100 kilos ou quatre de 50 kilos. Ils opéraient d'une manière variable, selon un plan strictement conçu, comme s'il s'agissait de vols de jour. Le pointage de ces avions de nuit était facile, ce qui contribuait à la bonne exécution des tâches. Comment obtenait-on cette exactitude du pointage ? Tout d'abord par l'excellente organisation des services de signalisation. On se servait de projecteurs, lesquels éclairaient le but à atteindre, tantôt par un seul rayon, tantôt en croisant leurs rayons au-dessus de l'objectif, ou au moyen de rayons parallèles, délimitant cet objectif.

Pour la signalisation, nous employions des signaux lumineux électriques, des bûchers de bois, des fusées; les divers signaux alternaient. La tactique même des raids nocturnes subissait des modifications. Le poids total des projectiles divers lâchés par l'aviation de nuit est de 20 000 tonnes. Cette action nocturne fut une véritable calamité pour les rangs ennemis. Voici leurs témoignages :

" La nuit est devenue un véritable enfer, les avions nous bombardent d'une faible altitude et font chez nous des ravages. "

" Les raids de l'aviation soviétique s'effectuaient par vagues successives, à faible comme à haute altitude. Ces raids tout au long de la nuit ne laissaient pas un instant de répit à nos unités, sans parler des pertes en personnel et en moyens techniques. "

Voici quelques exemples parmi les plus frappants des missions accomplies par notre aviation.

Le 10 août, le commandement du Front lui avait confié une tâche de haute responsabilité : il fallait protéger un convoi de navires pétroliers, chargés de carburant, remontant la Volga d 'Astrakhan à Stalingrad.

L'exécution de la mission fut confiée au chef de la 268e Division de chasse, le colonel B. O. Sidnev, qui forma à cet effet un groupe de 12 équipages avec des appareils YAK-1. Au cours de l'opération, le colonel Sidnev prit une initiative intelligente : considérant que le commandement allemand était au courant de la situation de nos aérodromes, il disposa son groupe en embuscade, sur quatre terrains d'atterrissage de campagne, inconnus de tous.

La caravane de pétroliers quitta Astrakhan le 14 août. Le lendemain les Junkers-88, l'ayant découverte, cherchèrent à la bombarder. Contre les 9 Junkers, en deux groupes, sans chasseurs, les aviateurs du colonel Sidnev s'élancèrent, en partant de deux des quatre terrains d'atterrissage. Ils attaquèrent l'ennemi, ne lui permettant pas d'atteindre la Volga. Au cours de ce raid, un Junker fut abattu par le lieutenant aviateur Plakhov j les autres appareils, s'étant débarrassés de leurs bombes, rejoignirent à toute vitesse leurs bases de départ.

Le 17 août les hitlériens lancèrent des reconnaissances aériennes, tout au long de la journée, afin de repérer l'emplacement de nos bases-embuscades, mais ils ne purent y parvenir, car nos chasseurs, bien camouflés sur le terrain, ne décollèrent pas pour donner la chasse à des avions de reconnaissance isolés.

Le 18 août, au cours de l'après-midi, un convoi de péniches fut attaqué par 7 Junkers. Nos chasseurs décollèrent aussitôt de leurs terrains-embuscades et les attaquèrent. Le camarade Sidnev et le sergent-chef Yolkine abattirent encore 2 Junkers.

Le 19 et le 20 août, les Allemands s'efforcèrent d'envoyer nos péniches par le fond, grâce à des forces importantes d'aviation. Mais chacune de leurs tentatives coûta la vie à des aviateurs allemands, et le carburant fut apporté à stalingrad.

L'action des chasseurs du groupe du camarade Sidnev, partant de terrains d'embuscade ou d'aérodromes bien camouflés, apporta une précieuse contribution à la tactique de nos avions de chasse.

Voici un autre exemple de la brillante maîtrise de nos aviateurs. Le 11 août, la 5ème Armée de l'air reçut du Haut-Commandement du Front l'ordre de détruire les appareils ennemis chasseurs et bombardiers (ils étaient près de 200) dont les terrains d'atterrissage se trouvaient à Oblivskaia, Olkhovsky et Sourovikino.

En général, ces aérodromes disposaient de pièces de D.C.A. nombreuses. Le 12, les avions d'assaut des colonels Stepitchev, Sryvkine, Porlatchenko, avec accompagnement des chasseurs du colonel Outine, de Sidnev et de Larouchkine ( 62 appareils au total ), lancèrent un premier raid sur chacun des trois aérodromes. Les commandants Sporychev, Zotov et le commissaire politique principal Skliarov commandaient les groupes d'assaut. Grâce à la soudaineté de l'attaque, menée à l'aube ( alors que les aviateurs et les techniciens ennemis étaient en train de déjeuner ), nos appareils, volant en rase-mottes et revenant plusieurs fois à la charge, détruisirent plusieurs dizaines d'avions fascistes; un Messerschmitt 109 fut abattu alors qu'il décollait de l'aérodrome d'Oblivskaiya.

Des actions de même genre, mais sur une plus vaste échelle, eurent lieu par la suite à plusieurs reprises.

Fin octobre la situation demeurait menaçante. L'aviation ennemie, comme toujours, collaborait étroitement avec les troupes de terre. Son activité se renforçait au moment des offensives. Ainsi, le 27 septembre, l'aviation allemande, par groupes de 30 appareils de bombardement, protégés par de nombreux chasseurs, menait une action ininterrompue contre nos troupes dans le secteur de Stalingrad et près du bac de la Volga. Nos aviateurs (de chasse) durent lancer une attaque énergique. Grâce à leurs habiles manoeuvres, 5 Junkers et 2 Messerschmitts furent abattus. Au cours de ce combat se distinguèrent le colonel Danilov, le sergent Litviak88les lieutenants Choutov et Nina Belaieva, le lieutenant Dranistchev (1), qui abattirent chacun un avion (les autres appareils furent détruits en combat de groupe).

Cet épisode me fut conté par le général M. S. Choumilov, commandant de la 64e Armée, témoin de ce combat.

Les héroïques aviatrices, qui s'étaient battues à l'égal des hommes, sortaient plus d'une fois victorieuses de ces combats aériens. Dans les batailles pour Stalingrad, Lidia Litviak abattit 6 avions, Nina Belaïeva, 4.

Le même jour, la 288e Division d'avions de chasse livra 6 combats aériens, en protégeant les unités de la 62e Armée. A 8h 50, un groupe de 12 avions YAK-7 , sous les ordres du lieutenant-colonel Konovalov, commandant de la division, rencontra à l'altitude de 4000 mètres, au nord-est de Stalingrad, un groupe d'appareils de bombardement ennemis, protégé par 22 avions de chasse. Après la première attaque, 2 Ju-88 piquèrent au sol, le reste reflua en désordre en direction de l'ouest. Dans le combat qui s'ensuivit avec les appareils de chasse de l'adversaire, dont les forces étaient deux fois supérieures aux nôtres, le colonel Konovalov, le capitaine Niakouchev, et le lieutenant Golovtchinsky abattirent 4 Me-109.

Vers la fin du mois de septembre eut lieu un autre événemont mémorable. A cette époque, l'aviation ennemie pratiquait la tactique suivante: dès l'aube, les groupes d'avions de chasse faisaient leur apparition, étendant un barrage aérien au-dessus de Stalingrad et des berges de la Volga, afin d'empêcher nos avions d'assaut et de chasse d'approcher de la ville. En même temps les appareils de bombardement déversaient leurs bombes sur nos troupes défendant Stalingrad. Pareille tactique avait pu servir l'ennemi à ses débuts. Cependant, au fur et à mesure que notre aviation de chasse se renforçait, grâce aux avions YAK-1 et LA-5, qui valaient les meilleurs appareils ennemis, l'adversaire ne put plus se permettre de patrouiller impunément dans le ciel de la ville. De rudes combats aériens devenaient de plus en plus fréquents. C'est pourquoi les Allemands amenèrent à la rescousse l'escadrille de leurs as " UDE " (2) .

Cette escadrille fit son apparition au-dessus des berges de la Volga. L'escadrille de chasse de la 8e Armée de l'air, qui avait sa base à l'aérodrome d'Akhtouba, décolla aussitôt pour prendre en chasse les pirates. Un couple de Me-109 allemands s'abattit sur nos appareils au moment même du décollage.

Nos " mouettes " étaient, certes, moins rapides que le Me-l09, mais plus maniables. Au cours du combat aérien au-dessus de l'aérodrome d'Akhtouba, une de nos " mouettes I -une IL-15- fut attaquée par un Me-l09. La " mouette " exécuta une manoeuvre rapide et l'attaque ennemie se solda par un échec. Un aviateur allemand, pour sauver sa vie, dut se poser sur notre aérodrome d'Akhtouba. L'officier de service, l'officier de liaison et l'instructeur-infirmier se trouvaient dans un abri blindé près de la piste de lancement. S'étant aperçu qu'un avion venait de se poser, l'officier de service envoya l'infirmier demander si l'aviateur avait besoin de soins. L'aviateur allemand, pistolet en main, s'avança vers lui. L'infirmier ne s'affola point, parvint à désarmer l'adversaire et à l'amener auprès de l'officier de service, ce qui lui valut une décoration.

L'aviateur prisonnier fut amené en toute hâte à l'État-Major de la 8e Armée aérienne, où le colonel Seleznev, chef d'État-Major l'interrogea, et me fit un rapport sur cet incident. Le prisonnier faisait partie des fameux as, ceux de l'escadrille " UDE ", équipée de Me-l09, qui, à l'époque, étaient les plus rapides et les mieux armés de toute l'aviation allemande.

Un rapport fut aussitôt envoyé au G.Q.G. Par ordre du commandant en chef, avion et aviateur furent expédiés à Moscou.

Il faut citer ici les noms de ceux qui commandaient les forces de l'aviation soviétique devant Stalingrad, à savoir les majors généraux Timothée Timoféevitch Khroukine, Serge Ignatiévitch Roudenko, le colonel Nicolas Georges Seleznev. Ces chefs de l'aviation, excellents organisateurs, dirigeaient habilement les forces aériennes, apportant ainsi une aide inestimable aux troupes de terre défendant Stalingrad. L'aviation à grand rayon d'action apporta également son concours à l'écrasement des troupes allemandes.

A la demande du Haut-Commandement des Fronts du Sud-Est et de Stalingrad, le G.Q.G. les autorisa à se servir de cette aviation, dans l'intérêt de leurs Fronts respectifs.

L'aviation à grand rayon d'action n'opérait que la nuit, parce que les avions dont elle disposait n'étaient pas assez rapides (des JB-3, IL-4, LI-2, PE-8, EP-2), et parce que l'aviation ennemie détenait encore la maitrise de l'air. Cette aviation pouvait atteindre en profondeur le dispositif tactique et même stratégique de l'ennemi, compte tenu des fluctuations de la ligne du Front.

Au cours de la bataille de Stalingrad -du 17 juillet 1942 au 2 février 1943, l'aviation à grand rayon d'action a effectué 13874 raids, lancé 188 529 bombes, d'un poids total de 14953,7 tonnes, transporté 523 passagers et 525 tonnes d'équipement, évacué 3 085 blessés et lâché 33 849 200 tracts. A la mi-septembre, cette aviation soutint activement les contre-attaques de nos unités, en empêchant les déplacements des réserves ennemies, en surveillant spécialement les passages du Don, dans le secteur de Vertiatchy-Kalatch, en contrariant les transports par chemin de fer. En particulier, le nceud ferroviaire de Likhaïa et la gare de Karpovskaïa, furent soumis à des bombardements intenses.

Pendant la dernière étape de la période défensive de la bataille, l'aviation à grand rayon d'action, en étroite collaboration avec les forces de terre, bombarda les dispositifs ennemis aux approches de la ville et dans la ville même, et détruisit les appareils de l'adversaire sur les aérodromes d'Oblivskaïa, Zrianinsky, Touzov, Tatzinskaïa, Gevlampievsky.

C'est l'adjoint au commandant de l'aviation à grand rayon d'action, le lieutenant général d'aviation N. S. Skripko qui exerçait le commandement direct des opérations et qui se trouvait dans le secteur immédiat des combats.

Les ordres étaient transmis aux divisions par l'État-Major de l'aviation à grand rayon d'action.

Les activités de la D.C.A. du secteur du Corps d'Armée de Stalingrad sont étroitement liées aux opérations de l'aviation. Au point de vue opérationnel, la 102e Division d'aviation de chasse, comprenant des appareils anciens ( J.B.-15 bis ) était subordonnée au commandement de la DCA

(1) du 739 IAP

(2) JG3 UDET

D'aprés Chister BERGSTRÖM, le pilote allemand abattu pourrait être Erich Graf Von Esendiel, petit fils de Bismarck, et futur co-fondateur de l'association des officiers allemands contre le nazisme.

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