Extrait de << Les Pumas Rouges >> De Tibor TOBAK

Le 20 décembre, vers 9 heures du matin, nous sommes informés qu'une offensive soviétique de grande envergure est déclenchée dans le secteur du front entre les lacs Balaton et Velence. Le grondement assourdissant des canons est audible dès 8 heures du matin à l'aérodrome de Veszprém. C'est une nouveauté : nous n'entendions jusqu'ici que le roulement de l'artillerie antiaérienne.

Cela n'est guère rassurant. A 10 heures, le reste de ma patrouille se trouve en état d'alerte assis. Cela avait une toute autre signification qu'à l'époque de la "saison américaine". A cette époque, l'état d'alerte assis était systématiquement suivi d'un ordre de décollage. Vers la fin de l'automne 44- étant donnée la proximité du front -l'état d'alerte assis était destiné à la défense de l'aérodrome. Du petit matin jusqu'au coucher du soleil les équipes se relèvent toute les deux heures, en général avec une paire d'avions ou une patrouille -selon les conditions météorologiques et la situation de la ligne de front. Dans la plupart des cas, les pilotes de l'unité d'alerte passaient gentiment les deux heures puis, les membres engourdis, se traînaient vers les baraquements pour dormir. La probabilité de décollage n'était alors que d'une sur quatre à peine.

Pendant ces jours de décembre, nous avons été souvent employés à effectuer les missions les plus variées: chasse libre, reconnaissance armée, couverture de chasse pour des avions d'assaut, pour des bombardiers rapides du type Me-210 et pour des bombardiers allemands He-lll. Très souvent, l'alerte était donnée contre des Il-2 opérant dans un secteur aérien déterminé.

Assez rapidement, nous avons trouvé la tactique de combat contre les appareils soviétiques. Les forts blindages des Il-2 nous posaient un problème, ainsi que le nombre de chasseurs qui grouillaient en formations compactes à une altitude de 3-4 000 mètres. C'étaient des La-5, des Yak-3 ou des Yak-9. Je n'ai personnellement jamais réussi à bien distinguer ces deux derniers types, mais les Lavotchkine La- 7 étaient faciles à différencier des La- 5.

Les Il-2 "fonctionnaient" presque toujours avec une couverture de chasse, faisant passer de pénibles instants aux unités terrestres. Si le temps était clément pour nous, notre tactique se faisait très simple: nous prenions bien garde, autant que faire se pouvait, de ne jamais entrer au-dessous de 6000 mètres dans le secteur des combats. Les chasseurs arborant l'étoile rouge se risquaient rarement au-dessus de cette altitude où notre moteur connaissait ses meilleures performances.

Les Mustang nous avaient appris la prudence et ce n'est pas faire preuve de lâcheté que de se réserver un maximum d'atouts dans un combat. Un nouveau facteur intervenait dans notre façon de voir: la possibilité d'être capturé. Cette crainte était grande parmi nous et, si nous ne pouvions pas écarter totalement cette menace, il nous était possible d'en diminuer la probabilité en ne négligeant aucune précaution. Je considérais autrefois la prudence comme contraire à l'esprit du chasseur; c'est en novembre et décembre 1944 que mon opinion a beaucoup évolué sur ce sujet.

En un mot: nous aimions observer l'espace aérien d'une altitude relativement sûre et rechercher de là les bombardiers "Il". Nous pouvions voir les nuages de poussière que leur rafales soulevaient quand elles labouraient le sol, ainsi que les meurtrissures que laissaient l'explosion de leurs petites bombes. Ces appareils étaient assez difficiles à distinguer car leur camouflage supérieur était excellent, au contraire de leur peinture ventrale d'un bleu trop chatoyant qui les trahissait lorsqu'ils effectuaient une ressource inclinée après leur attaque en piqué. Dès que nous apercevions ces éclairs bleuâtres, nous attaquions sans hésiter et sans même nous préoccuper de l'éventuelle présence de leurs chasseurs de couverture.

C'était le mot célèbre de "Drumi" Toth : "Nous avons rompu la ceinture de chasseurs !" Notre supériorité en altitude servait à cela. Nous foncions en piqué rapide, les yeux vissés sur les Il augmentant notre vitesse pour qu'elle soit toujours supérieure à celle des Yak et autre Lavotchkine qui "tourbillonnaient" à 3 ou 4000 mètres. Lorsque nous les atteignions, nous pouvions ouvrir le feu sans nous occuper de nos arrières. Grâce à notre vitesse supérieure, nous y parvenions, mais il était très difficile de calculer l'instant et l'altitude (la direction !) les meilleures pour redresser notre appareil après le piqué et attaquer sous un angle de 20 à 30° par derrière et par en dessous. Il fallait être très rapide, risquer la collision et tirer dans le radiateur. Cette méthode surprenait généralement les Il, mais le succès n'était assuré que si nous avions "du sang dans les veines", c'est-à-dire si nous approchions la cible de très près.

De telles attaques prenaient à peine une minute. Ce n'est que pendant l'exécution du piqué que l'on pouvait savoir si des chasseurs d'escorte étaient ou non présents. Si une patrouille de quatre avions, après avoir rompu la ceinture de protection des chasseurs, revenait après la première frappe pour en exécuter une seconde, elle pouvait être certaine de subir des pertes. Entre-temps, chaque Messer avait contre lui deux Lavotchkine ou Yakovlev. Si nous n'avions pas vu de chasseurs ennemis, nous pouvions répéter l'attaque à vitesse réduite.

Pour observer les impacts, très peu de temps restait à notre disposition. Les coups au but étaient suivis d'une explosion: c'était facile à remarquer. C'était parfois le camarade qui nous suivait qui pouvait le mieux apprécier les dégâts que nous avions causés. Nous ne pouvions naturellement revendiquer une victoire aérienne qu'après avoir réuni assertions ou preuves dignes de foi. Il n'était ainsi pas rare que des victoires effectives soient absentes du palmarès d'un pilote, faute de preuve matérielle ou de témoignage.

Dans de mauvaises conditions atmosphériques -plafond bas, gros nuages étalés sur plusieurs couches ou nébulosité totale -la situation était plus difficile. Bien que les dangers en fussent augmentés, la mission se devait malgré tout d'être effectuée. Si nous voulions bien examiner l'ensemble du secteur aérien de la mission, nous devions y parvenir en dessous des nuages: cela contrariait totalement notre intention de nous cacher. Nous étions facilement repérables et tout voile de nuage pouvait dissimuler de nouvelles menaces. Maigre consolation: l'adversaire avait autant de raisons que nous de craindre de mauvaises surprises.

Volant à moins de 4000 mètres (altitude préférée de l'artillerie antiaérienne), nous nous trouvions exposés aux tirs des DCA ennemie et amie. Le dessous de notre appareil n'était pour ainsi dire pas protégée: un simple coup de pistolet bien ajusté pouvait nous descendre !

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