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vendredi 23 Février 2007

   

 

La journée de vendredi est consacrée au front d'attaque britannique du 1er juillet 1916. Je quitte Albert par la route de Bapaume. La pente douce, quelques kilomètres après avoir quitté Albert, est celle que les soldats britanniques ont du parcourir en direction des lignes allemandes bombardées pendant une semaine. Fortifiées pendant de long mois ces lignes puissantes surent résister à l'assaut, et à la fin de la première journée, 60 000 britanniques manquaient à l'appel sur les quelques 100 000 à avoir franchît le parapet de la tranchée, sur lesquels 19 240 ne reviendraient jamais. Aucune autre bataille du XXème siècle n'a connu un tel niveau de pertes en si peu de temps.

Premier site : le Lochnagar crater à La Boiselle. Un parking et une signalisation semble avoir été mis en place récemment. Le cratère est l'un des nombreux témoignages de la guerre des mines, il mesure 80 m de diamètre et environs 25 m de profondeur, soit 42 000 mètres cube de terre ou 52 000 tonnes projetées en l'air avec ses habitants et leurs abris, pour le coût d'une trentaine de tonnes d'explosifs déposés par des mineurs gallois. L'explosion eut lieu à 7 h 28 le jour de l'assaut et fut le signal de l'attaque pour des milliers de soldats. Il servit ensuite de point d'appui et de poste de premier secours. En se retournant vers Albert on mesure la difficulté qu'eurent à surmonter les soldats pour franchir cette longue pente sous le feu des mitrailleuses, des shrapnels, empêtrés dans les barbelés. Une croix de bois orne la lèvre nord, à sa base sont déposées des couronnes de coquelicots artificiels, accrochées à une petite pochette plastique transparente dans laquelle est glissé un billet avec le nom, le grade, l'unité et la date de la mort d'un soldat, ainsi que le nom et le lien de parenté de ceux qui les ont déposées. J'aurai par la suite souvent l'occasion de découvrir que le souvenir des morts à la guerre semble plus vivant de l'autre côté de la Manche.

Pour être franc cela m'a un peu navré pour ceux de la rive sud du Channel, mais je vois une grande différence dans la façon dont sont traitées les sépultures. En France, beaucoup de soldats morts à la guerre ont été inhumés dans leur village à la fin des combat. Non pas que les autorités voulaient diluer les conséquences de la guerre en les dispersant sur tout le territoire, bien au contraire elles souhaitaient un système de nécropole sur les champs de bataille; mais les familles aidées des médias furent les plus fortes et eurent l'autorisation de réinhumer leurs morts << civilement >>. Beaucoup de morts français, leur devoir accompli sont retournés chez eux en civils, les vivants et les morts. Les britanniques en ne rapatriant pas les corps, ont laissé les morts dans leurs habits militaires sous l'emblème de leur régiment pour l'éternité. Ils sont entrés dans la grande histoire pendant que les français de retour dans leur village sont retournés à l'histoire familiale qui s'est peu à peu perdue. Bien sûr il est resté dans les nécropoles de l'est et du nord des milliers de soldats français, objets de moins d'attention me semble-t-il que leurs camarades britanniques.

Dans le village d'Orvillers La Boiselle, non loin du cratère un calvaire breton commémore une répétition à échelle réduite de l'échec anglais du 1er Juillet 1916. Le 17 décembre 1914, le secteur tenu par l'armée française fut le lieu d'une bataille où le 19ème régiment d'infanterie de Brest se lança à l'assaut des lignes allemandes sans préparation d'artillerie << pour ménager l'effet de surprise >>. Selon les comptes rendus militaires les faibles gains ne furent pas en rapport avec les pertes subies. Le régiment reçoit plus tard la citation suivante : << chargé le 17 décembre de l'attaque sur Orvillers, s'est porté en avant sur un terrain absolument découvert avec un entrain remarquable. En prise à des feux de face, d'écharpe et d'enfilade a progressé quand même. S'est emparé à la baïonnette d'un blockhaus fortement organisé et des tranchées ennemies en avant du village. S'est maintenu toute la journée sous un feu violent d'infanterie et d'artillerie. >> Le calvaire est gravé des mots suivants : << Je n'oublie pas mes bretons, à la mémoire des braves du 19 RI >>. La tête de la croix est cassée et repose derrière la base du calvaire.

Du calvaire je peux apercevoir le Mémorial de Thiepval, prochaine destination.

 

 

 

 

Le secteur de Thiepval fut l'objet d'une lutte formidable durant tout l'été 1916, ce saillant fortifié ne tombant que le 26 septembre aux mains britanniques et canadiennes. Le mémorial construit en 1932 sur une crête domine de ses 45 m le paysage environnant de la vallée de l'Ancre. Sur ses 16 piliers sont gravés les noms des 72087 combattants sans sépulture. En travaux de restauration depuis trois semaines, le Mémorial n'est pas accessible, on ne peut le voir que de l'extérieur de l'enceinte du cimetière à ses pieds. Je passe quelques temps au centre d'interprétation. Sous forme de panneaux illustrés de centaines de photos, l'implication britannique dans la guerre et dans la bataille de la Somme est détaillée. Une salle vidéo diffuse des documents d'archives. J'en termine à la librairie par quelques pépites ( in english indeed ) utiles à la suite du séjour. A l'accueil j'apprends avec consternation que la tour d'Ulster proche n'ouvre que le 1er mars. Qu'à cela ne tienne, j'ai prévu d'y passer.

J'y arrive peu avant midi. Le portail n'est pas clos, c'est donc qu'on peut entrer dans le parc de la tour. Construite juste après la guerre, elle commémore le sacrifice de la 36th Ulster Division, constituée en majorité d'unionistes de l'Ulster engagés au début de la guerre. Cette division fut la seule dans le secteur nord à atteindre ses objectifs le premier juillet 1916 et à s'enfoncer dans le front allemand. Isolés, ses soldats furent refoulés par les contre attaques allemandes, perdant 5 266 hommes, tués blessés et disparus.

Pendant que je dessine je vois un homme venant de l'arrière de la tour, il monte les escaliers, sort une clé de sa poche et entre. Vite, je me dépêche de m'approcher avant qu'il y trouve ce qu'il cherche et reparte en sens inverse. A ma vue dans l'entrée il m'invite gentiment à visiter la chapelle au rez de chaussée, c'est un homme de 65 ans environs, très sympathique, mais ne parlant pas le français. << We just arrived from Bealfast yesterday >> me dit-il << So, I'm lucky to meet you here. And how was the weather in Ireland ? >>, << Well, as fine as here >>, en fait il fait froid et le ciel est gris, humour britannique sans doute.

 

 

 

Nous parlons un moment des objets présentés dans la chapelle lorsqu'un de ses voisins arrive en trombe pour lui souhaiter la bienvenue en France. Il s'en suit une conversation assez étrange entre le gardien de la tour qui ne parle pas fançais mais en comprend un peu et son ami qui ne parle ni ne comprend l'anglais. Je suis appelé à la rescousse pour que chacun puisse suivre le fil de la conversation. La visite terminée je ressort ravi de la tour et retourne terminer mon dessin. Près de l'entrée un mini bus est garé, sur ses ailes des panneaux publicitaires indiquent qu'il s'agit d'un << battlefield tour >> Ses occupants, une famille, écoute le guide en kilt et gros manteau leur expliquer du haut d'un muret le déroulement de la bataille. Ces battlefield tours semblent être une réponse parmi d'autres à l'intérêt que suscite la première guerre mondiale et l'engagement britannique Outre Manche.

De là je continue vers le nord du front d'attaque, traverse l'Ancre, dont la largueur faible étonne. A Beaumont Hamel existe un parc de grandes dimensions dans lequel les vestiges laissés visibles permettent d'imaginer le champ de bataille en 1916. Le parc Terre Neuvien, propriété de l'état canadien, entretient le souvenir de la participation de Terre Neuve à la guerre. Une maison de bois abrite une exposition qui décrit l'engagement, les combats, des soldats du Newfoundland durant le conflit, et le déroulement de la bataille du 1er juillet 1916 dans laquelle le 1st battalion du Newfoundland regiment connut son baptême du feu. Lancé à l'assaut des tranchées allemandes bien défendues et protégées par des nombreux réseaux de barbelés, les 768 hommes hommes virent tomber 310 d'entre eux, 388 étant blessés plus ou moins gravement, en à peine 40 minutes. Je repense aux machines vues hier à l'Historial, surtout à la mitrailleuse MG 08.

L'après guerre et le retour des soldats, nombre d'entre eux mutilés, est aussi abordé.

Après avoir mis les pieds sur le sol breton, britannique, irlandais et enfin canadien, je m'apprète à changer à nouveau de continent, direction l'Afrique du Sud. Je reprends la route en direction de Longueval, et de Delville Wood.

Le bois de Delville est la propriété de l'Afrique du sud. Il est ceinturé d'une clôture, mais peu être visité, des chemins larges comme des avenues y sont aménagés. Lieu d'âpres combats pour la possession du bois de la mi-juillet à septembre 1916, une brigade sud africaine vit mourir un quart de ses 4 000 hommes en 6 jours, seuls 143 d'entre les 4 000 étant indemmes. Le mémorial au centre du bois est constitué d'un monument en arc de cercle surmonté d'une statue symbolisant la réconciliation des sud africains de souche anglaise et hollandaise. Passé ce monument, un musée évoque l'engagement de l'Afrique du sud dans les guerres du XXème siécle. L'entrée du site est occupée par un autre musée plus petit, qui évoque la participation de la population noire. On peut s'y restaurer. Midi est dèjà loin, je m'acorde donc une légitime pause. Ce lieu est tenu par un couple dont le mari sud africain entame la conversation. Je lui demande des précisions sur l'Afrique du Sud au début du siècle, il me renseigne en me brossant un tableau complet depuis l'arrivée des hollandais ! En préambule de la visite du mémorial, cette rencontre est la bienvenue, et en peu de temps je suis incollable sur l'Afrique du Sud, les anglais, les afrikaneers, les zoulous. Nous parlons de la position de la population noire pendant le conflit, et de leur participation à la guerre, de leur rencontre éventuelle avec des troupes françaises combattantes originaires d'Afrique noire. Les Sud Africains noirs n'ont pas été associés aux troupes combattantes, car on ne souhaitait pas qu'ils fûssent armés. Ils servirent au front en participant à tous les travaux possibles.

Fort de cette nouvelle connaissance je me rends au Mémorial. Le musée est remarquablement organisé dans un batiment identique à un fort d'Afrique du Sud. Le mur extérieur est occupé par des bas reliefs illustrant le déroulement des deux guerres mondiales pour l'armée sud africaine. Le mur intérieur est une vitre gravé donnant sur une cour où un escalier permet d'accéder à un chemin de ronde au dessus de l'exposition. Parmi les choses vues je remarque une lettre adressée aux autorités sud africaines par le gouvernement polonais en exil à Londres. Ce sont des remerciements à l'aviation d'Afrique du Sud qui fût avec l'aviation polonaise et quelques squadrons anglais les seuls à porter secours aux varsoviens insurgés en aout et septembre 1944, sous le regard stoïque des soviétiques. Ces missions sont évoquées dans un chapitre de << Feux du ciel >> de Pierre Closterman, lu il y a une vingtaine d'années. Autre chose, en entrant dans une salle je suis saisi par la photo qui occupe tout un mur; je m'en suis inspiré il y a quelques années pour réaliser un dessin aquarellé, et ce dessin évoque pour moi beaucoup de choses, il est accroché à la place d'honneur sur un de mes murs.

Je sors du musée et me promène dans les allées du bois, puis dans le cimetière en face du Mémorial. Les tombes sont celles d'anglais, d'écossais, de sud africains,de néo zélandais. Avant de quitter Longueval je me rends au monument néo zélandais situé au nord du bois.

 

 

 

 

 

 

Je quitte en fin d'après midi Devill's wood en direction du front anglais du début de 1916. Je me rends à Fricourt vers un point nommé à l'époque 71 north.

Avant d'arriver sur place je fais une halte au cimetière militaire de Carnoy. Une tombe située vers l'entrée est celle d'un officier dont l'action le 1er juillet 1916 est exemplaire.

Jeune commandant de compagnie de 21 ans au 8th Battalion East Surrey regiment, 55th Brigade, 18th Division, le capitaine Nevill a confié à chacune des quatre sections composant sa compagnie un ballon de football.

Confiants dans leur artillerie, les généraux assuraient les soldats qu'ils avanceraient l'arme à la bretelle sans rencontrer de résistance, les allemands ayant été réduits à l'impuissance par une semaine de bombardement.

Wilfried Nevill a imaginé pour distraire l'angoisse de ses hommes un concours : chaque section montera à l'attaque de Montauban en poussant le ballon vers l'avant. La première section à marquer le but en lançant son ballon dans la tranchée allemande gagnera une livre. Avec beaucoup de flegme et de sang froid comme nombre d'officiers britanniques, le capitaine Nevill monte le parapet de la tranchée à 7h30, trois minutes après l'explosion de trois mines sous les tranchées adverses. Il se dirige avec ses hommes vers les lignes allemandes en plaisantant pour donner confiance aux soldats. Le feu des mitrailleuses allemandes se déclenchent dès que les soldats anglais quittent leur ligne, les pertes sont lourdes. Poussant leurs ballons les Tommies attaquent néanmoins et atteignent leur objectif. Lorsqu'ils se comptent, parmi les manquants figure Wilfried Nevill tué dès le début de l'attaque. Un des ballon est conservé pieusement dans une vitrine du musée du Queen's Royal Surrey Regiment.

 

Le capitaine Wifried Nevill

Un poème relate ce fait :

On through the hail of slaughter,

Where gallant comrades fall,

Where blood is poured like water,

They drive the trickling ball.

The fear of death before them, Is but an empty name;

True to the land that bore them,

The SURREYS played the game.

 

J'arrive à Fricourt en fin d'après midi. Je suis ici pour suivre le parcours et retrouver l'esprit de deux brillants poètes britanniques devenus officiers le temps de la guerre, siegfried Sassoon et Robert Graves. Bien que ne se connaissant pas avant guerre, ils servent dans le 1st Battalion royal Welsh Fusiliers regiment, Siegfried Sassoon depuis novembre 1915, et Robert Graves depuis son transfert du 2nd battalion après la bataille de Loos en septembre / octobre 1915. Le bataillon tient le secteur de tranchées situé au sud du village de Fricourt, sur les versants d'une crête tenue par les allemands. Au sommet se trouve le Bois Français.

Le 1st battalion est une unité d'active d'élite dans laquelle règne une discipline stricte, et un respect des conventions tacites de l'armée anglaise du temps de paix, qui recommandent par exemple de mépriser les nouveaux venus, de ne pas les autoriser à parler au mess, et d'appliquer toutes sortes de punitions pour des faits anodins en temps de guerre. Ils ont pour ami commun David Thomas, jeune officier également. Le 18 mars 1916 se déroule les évènements suivants ( extrait de << Adieu à tout celà >> de Robert Graves :

 

Un soir Richardson, David Thomas et moi même rencontrâmes Pritchard qu'accompagnait l'adjudant-major. Nous nous arrêtames pour bavarder. Ricbardson se plaignit d'avoir été envoyé dans un secteur où les mortiers ennemis s'en donnaient à coeur joie

- Attendez que j'entre en action, répondit Pritchard ( On venait de lui livrer en tant qu'officier de mortiers deux lance bombes modèles Stokes ) De vrais bijoux, poursuivit-il Je les ai essayés et demain je vais leur rendre la monnaie de la pièce. On peut envoyer quatre on cinq obus à la fois

Ce n'est pas trop tôt, reprit l'adjudant-major le mois dernier, nous, y avons laissé trois cent soldats. Si nous avons l'impression de ne pas avoir subi de pertes aussi importantes, c'est que, chose curieuse, II n'y a parmi eIles, aucun officier. D'ailleurs, depuis Loos nous avons perdu cinq cents hommes du rang et pas un seul officier.

C'est alors qu'll comprit soudain qu'il venait de prononcer des paroles malheureuses

- Touchons du bois, s'écria David.

Nous, bondîmes tous pour toucher du bois mais nous nous trouvions dans une tranchée française qui n'était pas revétue. Je sortis un crayon de ma poche. En fait de bois, cela me suffisait

- De toute façon je ne suis pas supersticieux.

Le lendemain soir, je conduisis les hommes de la compagnie A effectuer des travaux en première ligne. Les compagnies B et D y étaient déjà et nous rattrapâmes la compagnie C qui, elle aussi, s'y rendait. David fermait la marche, et paraissalt soucieux.

- Qu'est-ce qui ne va pas ? demandal-je

- Oh, J'en ai par dessus la tête, répondit-il et en plus j'ai un rhume

Les soldats de la compagnie C tournèrent à droite en file indienne et rejoignirent la tranchée de feu tandis que nous obliquions sur la gauche. Une lune brillante éclairait cette nuit étrange et inquiétante. A quelque quarante ou cinquante mètres de nous à peine, les Allemands occupaient une sape. Debout sur la berge, nous entassions des sacs à terre tandis que la lune découpait nos silhouettes. Mais les sentinelles allemandes ne voulaient pas nous voir. Sans doute l'ennemi avait lui aussi du travail à faire. parfois, lorsque des deux côtés l'on s'affairait à ériger des défenses adéquates, il arrivait que chacun refusât de voir les travaux en cours chez l'adversaire. L'on racontait même que de temps à autre deux poseurs de barbelés ennemis << en arrivaient presque à se servir du même maillet >> pour enfoncer des poteaux de support. Les Allemands semblaient beaucoup plus disposés que nous à faire en sorte que chacun mange avec sa cuillère ( En dehors de la Noël 1914, je n'ai connaissance que d'un seul jour où les deux armées opposées ne se soient pas mitraillées en plein midi : la chose se produisit à Ypres, au mois de février, date à laquelle les soldats durent sortir des tranchées en rampant pour éviter la noyade tant le niveau des eaux avait monté. ) Quoi qu'il en soit un incessant duel de grenades et d'obus de mortiers venait de commencer. Plusieurs boîtes à mitraille nous furent envoyées et nos hommes eurent beaucoup de mal à les éviter dans le noir. Mais c'était la première fois que nous répondions coup pour coup à l'adversaire. Pritchard n'avait de toute la journée laissé ses lance-bombes Stokes en repos et avait expédié des centaines de projectiles de l'autre côté du no man's land. Par deux fois, les Allemands avaient repéré l'emplacement de ses pièces et l'avaient obligé à décamper en toute hâte.

La compagnie A travailla de sept heures du soir jusqu'à minuit. Nous avions dû installer trois mille sacs à terre et sur une cinquantaine de mètres la tranchée de tir était déjà présentable. Aux environs de dix heures et demie, une fusillade éclata sur la droite et les sentinelles firent passer la nouvelle suivante : << officier touché >>Richardson partit aussitôt voir de quoi il retournait. Lorsqu'il revint, ce fut pour nous dire :

- C'est le jeune Thomas Une balle lul a traversé la gorge. Mals je pense qu'il s'en sortira. Il est en train de regagner le poste de secours sans aide Impossible donc que le projectile ait touché une artère ou la colonne vertébrale.

J'en fus très heureux ainsi David resterait-il assez longtemps loin de nous pour échaper à l'offensive prochaine et peut-être même ne reviendrait-il plus sur le front avant la fin des hostilités.

A minuit, nous cessâmes le travail que l'on nous avait assigné pour la nuit

- Von Rank, me dit Richardson ( en fait il prononça von "Runicke" ce qui était le surnom que l'on m'avait donné au régiment ), emmenez les hommes de la compagnie prendre le thé et le rhum, voulez-vous ? ils l'ont certaimement mérité ce soir Je seraI de retour dans quelques minutes Je vais, accompagné du caporal Chamberlen, faIre une sortie pour voIr où en sont les poseurs de barbelés.

Au moment où Je ramenais mes hommes, j'entendis deux obus tomber quelque part derrière nous. Je le remarquait parce que les Allemands n'avaient pas encore tiré d'obus cette nuit-Ià : au bruit qu'ils firent en explosant c'étaIent des obus de 161. A peine avions nous atteint le boyau de communication qui se trouvait sur le versant opposé de la colline que nous entendime, crier " brancardiers " et ce fut à cet instant qu'un soldat vint m'annoncer en courant " Le capitaine Graves est touché ! >>

Le mot souleva l'hilarité générale et nous poursuivîmes, notre route; ce qui ne m'empécha pas d'envoyer une équipe de brancardiers faire des recherches. Il s'agissait de Richardson, les obus l'avaient surpris au moment où il se trouvait encore dans le réseau de barbelés avec le caporal chamberlen. Projeté dans un cratère d'obus, remplit d'eau, Richardson y était resté assomé pendant quelques minutes, avant que les sentlnelles n'aient entendu le cri, du caporal et compris ce qu'il s'était produit. Lorsque les brancardiers le ramenèrent, il était à demi conscient, il nous reconnnut, nous dit qu'il ne quiIttait pas la compagnie pour longtemps et me donna des instructions la concernant. Le docteur ne trouva aucune blessure aux endroits vitaux bien que la peau de son flanc gauche eùt été criblée par les éclats. Nous vîmes aussi que la plaie était recouverte par la craie dont était fait le sol. Le soulagement que nons éprouvâmes pour lui fut identique à celui que nous avions ressenti pour David. Il serait lui aussi, en dehors du coup pendant un bon moment.

Cc fut alors que nons apprîmes la nouvelle de la mort de Davld. Le mêdecin du régiment, qui dans le civil était spécialiste de la gorge, lul avait dit au poste de secours " Vous vous en sortirez à condition de ne pas lever la téte pendant un certain temps " David sortit alors une Iettre de sa poche et la donna à un planton " Mettez-moi ça à la boîte " dit-il. La lettre était adressée à une jeune fille de Clamorgan et devait Iui être remise au cas où il vîendrait à mourir. Le docteur comprit qn'il s'étouffait et tenta unre trachéotomie : trop tard malheureusement.

Aux environs d'une heure Edmund et moi étions en train de converser au quartier général de la compagnie A lorsqu' entra l'adjudant-major Il avait une mine de deterrré. Richardson était mort : l'explosion et l'eau froide avaient surmené un coeur déjà afaibli par des exercices d'aviron au huit de Radley " Vous voyez, dit-il avec nervosité, je ne sais pas pourquoI mais je me sent un peu responsable de tout cela; les propos que j'ai tenus hier à Trafalgar Square, bien sùr il est vrai que je ne crois pas au hasard, mais ... >>

A cet instant précis trois, ou quatre obus de 77 mm éclatèrent à une vingtaine de mètre de là. Un cri d'alarme s'éleva suivi d'un << Brancardiers ! >>

L'adjudant-major devint tout pâle et nous n'eûmes besoin d'aucune explication pour comprendre ce qu'il s'était passé.

Après avoir, toute la nuit durant, soutenu son duel de mortiers et finalement réduit l'ennemi au silence, Pritchard avait pris congé. Un obus de petit calibre l'avait atteint à l'endroit où le boyau de communication rejoignait la redoute de l'Érable : de plein fouet. Les pertes totales s'élevaient à trois officiers et un caporal.

Il nous parut ridicule de rentrer sans Richardson au cantonnement de la compagnie A à Morlancourt, d'y retrouver la vieille encore vivante et de l'entendre une fois de plus dire d'une voix chevrotante : « Triste la guerre ! » lorsque sa fille lui eut expliqué que le « jeune capitaine " avait été tué. La vieille femme s'était entichée du « jeune capitaine » ; nous ne cessions de taquiner Pritchard là-dessus.

La mort de David m'affecta plus encore que celle de tous ceux que j'avais vus périr depuis mon arrivée en France, mais elle ne m'irrita pas autant que Siegfried. Il exerçait les fonctions d'officier du train et tous les soirs, après avoir apporté le ravitaillement, partait en patrouille à la recherche d'Allemands à tuer. Quant à moi, je me sentais vide, désemparé.

Voici l'un des hymnes que nous avions coutume de chanter au mess : « Sache souffrir jusqu'au bout et tu seras sauvé. » Comme si j'eusse été sous le coup d'un sortilège, ces paroles me trottaient dans la tête chaque fois que les choses se gâtaient. « Mille ils seront à languir et tomber à tes côtés, Et dix mille à périr à l'entour, Mais de toi la mort ne s'approchera. » Il y avait aussi ces mots: « Patrimoine incorruptible. ..La Foi mène au Salut, Que révélera le dernier coup de trompe. » En chantant nous remplaçions toujours « trompe " par crump. Un crump était un obus allemand de 150, et le « dernier coup de crump » marquerait la fin des hostilités. Nous serait-il jamais donné de vivre jusque-Ià et d'entendre le projectile s'écraser derrière nous à bonne distance ? Je me demandais si j'aurais la force de souffrir squ'au bout et de croire au Salut... La dépression nerveuse était bien proche, à moins qu'un fait quelconque ne vînt la prévenir. Non que j'eusse peur. Jamais encore je n'avais perdu la tête, pas plus que je n'avais tourné casaque sous l'emprise de la terreur : je savais que cela ne m'arriverait jamais. Cette dépression nerveuse ne serait pas non plus le point de départ de la folie : je ne la portais pas en moi. Ce serait un effondrement général de mes nerfs, accompagné de pleurs, de convulsions. Je salirais mes pantalons. J'en avais déjà vu des exemples.

L'on nous distribua un nouveau masque à gaz, connu sous le sobriquet populaire de « petit bougre avec le nichon ». Il différait des modèles précédents. L'on aspirait l'air par le nez et on le faisait ressortir par une valve spéciale maintenue dans la bouche : mais il m'était impossible d'exécuter ce genre d'exercice. Je m'étais récemment déplacé le septum en boxant avec un nez déjà cassé, ce qui m'obligeait à respirer par la bouche. En cas d'attaque par gaz, je serais incapable de me servir de ce masque -le seul qui fût, prétendait-on, assez étanche pour résister aux derniers gaz envoyés par les Allemands. Le médecin du bataillon me conseilla de me faire opérer du nez dès que possible.

Je suivis son conseil et fus porté manquant au Premier Bataillon lorsque débuta l'offensive à laquelle nous nous attendions. Sur cinq officiers de mes camarades, trois y laissèrent la vie. Le rêve que nourrissait Gaspille d'une guerre de mouvement ne fut pas réalisé. Lui-même fut fort grièvement blessé. Moi excepté, il n'est resté de la chorale de la compagnie A qu'un seul survivant : C. D. Morgan, qui eut la cuisse brisée et qui était toujours à l'hôpital plusieurs mois après la fin des hostilités.

 

A la fin de la guerre Robert Graves écrivit ce poème en souvenir de son ami :

Robert Graves (1895–1985).

Fairies and Fusiliers. 1918. 7.

Goliath and David (For D. C. T., Killed at Fricourt, March, 1916)

 

YET once an earlier David took

Smooth pebbles from the brook :

Out between the lines he went To that one-sided tournament,

A shepherd boy who stood out fine 5 And young to fight a Philistine

Clad all in brazen mail. He swears That he’s killed lions, he’s killed bears,

And those that scorn the God of Zion

Shall perish so like bear or lion.

But … the historian of that fight Had not the heart to tell it right.

Striding within javelin range,

Goliath marvels at this strange

Goodly-faced boy so proud of strength.

David’s clear eye measures the length;

With hand thrust back, he cramps one knee,

Poises a moment thoughtfully, And hurls with a long vengeful swing.

The pebble, humming from the sling 20 Like a wild bee, flies a sure line For the forehead of the Philistine;

 

Then … but there comes a brazen clink,

And quicker than a man can think Goliath’s shield parries each cast.

Clang! clang! and clang! was David’s last. Scorn blazes in the Giant’s eye,

Towering unhurt six cubits high. Says foolish David, “Damn your shield!

And damn my sling! but I’ll not yield.” 30 He takes his staff of Mamre oak,

A knotted shepherd-staff that’s broke

The skull of many a wolf and fox Come filching lambs from Jesse’s flocks.

Loud laughs Goliath, and that laugh

Can scatter chariots like blown chaff To rout; but David, calm and brave,

Holds his ground, for God will save. Steel crosses wood, a flash, and oh! Shame for beauty’s overthrow! 40

(God’s eyes are dim, His ears are shut.) One cruel backhand sabre-cut—

“I’m hit! I’m killed!” young David cries,

Throws blindly forward, chokes … and dies.

And look, spike-helmeted, grey, grim,

Goliath straddles over him.

 

Il y a plusieurs cimetières militaires à Fricourt et dans ses environs. Après m'être fourvoyé, je pense découvrir celui recherché. Il est au sommet d'une crête, au delà de laquelle apparait un bois. Je laisse la voiture à l'entrée d'un chemin perpendiculaire à la route, en prenant soin de ne pas boucher la voie, et me dirige vers le haut de la pente.

La tête pleine des récits de Robert Graves et Siegfried Sassoon. J'imagine les réseaux de tranchées, les boyaux de communication, les trous d'obus, les soldats britanniques et allemands s'épiant. La distance a parcourir est de quelques centaines de mètres. Arrivé à mi chemin je me retourne et vois consterné un énorme tracteur tirant une non moins imposante remorque entrer de la route et trouvant ma voiture stationnnée sur un quart du sentier hésiter. Prestement j'abandonne ma rêverie et fais demi tour en courant pour aller déplacer mon véhicule, mais le conducteur a déjà commencé à le contourner et bientôt vide son chargement dans le bord d'un champ en pestant peut être contre ces touristes qui laissent leur voiture n'importe où. Je reprend mon ascension et arrive au Point 110 New military cemetery. David Thomas, est là, il repose près de l'endroit d'où la sentinelle allemande lui tira la balle qui allait provoquer sa mort. Du sommet de la pente le regard embrasse une grande partie de l'ancien front, le soleil vient de passer sous les nuages sans m'éblouir, la route est éloignée et peu fréquentée, le tracteur et son pilote, leur labeur accomplit s'en sont allés. Je peux me tenir debout sans crainte d'une soudaine rafale de mitrailleuse, ou de la balle d'un tireur embusqué venues du bois français derrière moi.

Je retourne à regret vers ma voiture en coupant par un champ labouré, la terre colle aux pieds avec une déconcertante efficacité. Après seulement quelques pas j'ai sous chaque semelle un bon kilos d'argile ! Cherchant à poser les pieds sur des zones moins humides j'avance en fixant le sol. Soudain un objet attire mon attention. Absorbé par mes réflexions je n'imaginais pas trouver ce qui me semble maintenant bien naturel ici : un éclat d'obus couvert de terre et de rouille, mais dont les bords déchirés et tranchants laissent entrevoir plus clairement les plaies décrites par Georges Duhamel, médecin et écrivain, dont nous reparlerons demain. C'est finalement trois éclats que j'emporte avec moi, pour quelques mètres parcourus dans un champ labouré. Combien y en avait-il sur un même parcours 90 ans auparavant ?

 

Je reprends la route et rejoins un second cimetière à quelques centaines de mètres. Il s'agit du Citadel Cemetery, encore nommé Point 71 North. Ici repose un sous officier Dont Siegfried Sassoon relate la mort dans << Memoirs of an infantry officer >>, souvent cité dans les études de la bataille de la Somme.

 

The raiders were divided into four parties of five men; operation orders had optimistically assumed that the hostile trenches would be entered without difficulty; , << A >> party would go to the left, << B >> party to the right, and so on and so forth. The object of the raid was to enter the enemy loop on the edge of the crater; to enter Kiel Trench at two points; to examine the portions of trench thus isolated, capture prisoners, bomb dug-outs, and kill Germans. An 'evacuating party' ( seven men carrying two ten-foot ladders and a red flash lamp ) followed the others. The ladders were considered important, as the German front trench was believed to be deep and therefore difficult to get out of in a hurry. There were two mine-craters a few yards from our parapet; these craters were about fifty yards in diameter and about fifty feet deep; their sides were steep and composed of thin soft soil; there was water at the bottom of them. Our men crossed by a narrow bridge of earth between the craters; the distance to the German wire was about sixty yards.

It was now midnight. The five parties had vanished into the darkness on all fours. It was raining quietly and persistentIy. I sat on the parapet waiting for something to happen. Except for two men at a sentry post near by ( they were now only spectators ) there seemed to be no one about. They'll never keep that --- inside the trench,' muttered the sentry to his mate and even at that tense moment I valued the compliment. Major Robson and the stretcherbearers had been called away by a message. There must be some trouble further along, I thought, wondering what it could be, for I hadn't heard a sound. Now and again I looked at my luminous watch. Five, ten, fifteen minutes passed in ominous silence. An occasional flare, never near our craters, revealed the streaming rain, blanched the tangles of wire that wound away into the gloom, and came to nothing, bringing down the night. Unable to remain inactive any longer, I crawled a little way out. As I went, a few shells began to drone across in their leisurely way. Our communication trench was being shelled. I joined the evacuating party; they were lying on the lip of the left-hand crater. A flare fizzed up, and I could see the rest of the men lying down, straight across the ridge, and was able to exchange a grimace with one of the black-faced laddercarriers. Then some 'whizz-bangs' rushed over to our front trench; one or two fell on the craters; this made the obstinate silence of Kiel Trench more menacing. Soon afterwards one of the bayonet men came crawling rapidly back. I followed him to our trench where he whispered his message. 'They can't get through the second belt of wire; O'Brien says it's a washout; they're all going to throw a bomb and retire.'

I suppose I ought to have tried to get the ladder-carriers in before the trouble started; but the idea didn't strike me as I waited with bumping heart; and almost immediately the explosions began. A bomb burst in the water of the lefthand crater, sending up a phosphorescent spume. Then a concentration of angry flashes, thudding bangs, and cracking shots broke itself up in a hubbub and scurry, groans and curses, and stampeding confusion. Stumbling figures loomed up from below, scrambling clumsily over the parapet; black faces and whites of eyes showed grotesque in the antagonistic shining of alarm flares. Dodging to and fro, I counted fourteen men in; they all blundered away down the trench. I went out, found Mansfield badly hit, and left him with two others who soon got him in. Other wounded men were crawling back. Among them was a grey-haired lance-corporal, who had one of his feet almost blown off; I half carried him in, and when he was sitting on the firestep he said: 'Thank God Almighty for this; I've been waiting eighteen months for it, and now I can go home.' I told him we'd get him away on a stretcher soon, and then he muttered: 'Mick O'Brien's somewhere down in the craters. All this had been quick work and not at all what I'd expected. Things were slowing down now. The excitement was finished, and O'Brien was somewhere down in the craters.

The bombing and rifle fire had slackened when I started out to look for him. I went mechanically, as though I were drowning myself in the darkness. This is no fun at all, was my only thought as I groped my way down the soft clogging side of the left-hand crater; no fun at all, for they were still chucking an occasional bomb and firing circumspectly. I could hear the reloading click of rifle bolts on the lip of the crater above me as I crawled along with mudclogged fingers, or crouched and held my breath painfully. Bullets hit the water and little showers of earth pattered down from the banks. I knew that nothing in my previous experience of patrolling had ever been so grim as this, and I lay quite still for a bit, miserably wondering whether my number was up; then I remembered that I was wearing my pre-war raincoat; I could feel the pipe and tobacco pouch in my pocket and somehow this made me less forlorn, though life seemed much further away than the low mumble of voices in our trench. A flare would have helped my searchings, but they had stopped sending them up; pawing the loose earth and dragging my legs after me, I worked my way round the crater. O'Brien wasn't there, so I got across into the other one, which was even more precipitous and squashy. Down there I discovered him. Another man was crouching beside him, wounded in one arm and patiently waiting for help. O'Brien moaned when I touched him; he seemed to have been hit in several places. His companion whispered huskily: 'Get a rope.' As I clambered heavily up the bank I noticed that it had stopped raining. Robson was peering out of the trench; he sent someone for a rope, urging him to be quick for already there was a faint beginning of daylight. With the rope, and a man to help, I got back to O'Brien, and we lifted him up the side of the crater.

It was heavy work, for he was tall and powerfully built, and the soft earth gave way under our feet as we lugged and , hoisted the limp shattered body. The Germans must have seen us in the half light, but they had stopped firing; perhaps they felt sorry for us.

At last we lowered him over the parapet. A stretcherbearer bent over him and then straightened himself, taking off his helmet with a gesture that vaguely surprised me by its reverent simplicity. O'Brien had been one of the best men in our Company. I looked down at him and then turned away; the face was grotesquely terrible, smeared with last night's burnt cork, the forehead matted with a tangle of dark hair. I had now accounted for everyone. Two killed and ten wounded was the only result of the raid. In the other Company sector the Germans had blown in one of our mine-galleries, and about thirty of the tunnelling company had been gassed or buried. Robson had been called there with the stretcher-bearers just as the raid began.

Nothing now remained for me to do except to see Kinjack on my way back. Entering his dug-out I looked at him with less diffidence than I'd ever done before. He was sitting on his plank bed, wearing a brown woollencap with a tuft on the top. His blond face was haggard; the last few hours had been no fun for him either. This was a Kinjack I'd never met before, and it was the first time I had ever shared any human equality with him. He spoke kindly to me in his rough way, and in doing so made me very thankful that I had done what I could to tidy up the mess in no"man's-land.

Larks were shrilling in the drizzling sky as I went down to 7I. North. I felt a wild exultation. Behind me were the horror and the darkness. Kinjack had thanked me. It was splendid to be still alive, I thought, as I strode down the hill, skirting shell-holes and jumping over communication trenches, for I wasn't in a mood to bother about going along wet ditches. The landscape loomed around me, and the landscape was life, stretching away and away into freedom. Even the dreary little warren at 7I. North seemed to await me with a welcome, and Flook was ready with some hot tea. Soon I was jabbering excitedly to Durley and old man Barton, who told me that the Doctor said Mansfield was a touch and go case, but already rejoicing at the prospect of getting across to Blighty, and cursing the bad wire-cutters which had been served out for the raid. I prided myself on having pulled off something rather heroic; but when all was said and done it was only the sort of thing which people often did during a fire or a railway accident.

Nothing important had happened on the British Front that night, so we were rewarded by a mention in the G.H.Q. communique. ' At Mametz we raised hostile trenches. Our party entered without difficulty and maintained a spirited bombing fight, and finally withdrew at the end of twentyfive minutes.' This was their way of telling England. Aunt Evelyn probably read it automatically in her Morning Post; unaware that this minor event had almost caused her to receive a farewell letter from me. The next 'night our Company was in the front line and I recovered three hatchets and a knobkerrie from no-man's-land. Curiously enough, I hadn't yet seen a German. I had seen dim figures on my dark patrols; but no human faces.

 

 

 

Je quitte Fricourt pour le dernier site de la journée. Après avoir rejoint Mametz j'oblique vers les bois qui bordent la commune et roule plusieurs kilomètres, changeant plusieurs fois de direction. La voie se termine bientôt dans une depression que borde le bois de Mametz, Mametz Wood pour les britanniques. Cette petite << vallée >> fut traversée à partir du 7 juillet 1916 par les vagues d'assaut galloises de la 38th ( Welsh ) Division, qui connut alors son baptême du feu. Les pertes furent immenses, à tel point que la division ne put participer à des engagements importants avant une année. Son engagement est commémoré par un monument atypique: il s'agit d'une statue représentant l'emblème du pays de Galles : un dragon rouge. Il domine la petite vallée du haut de sa stèle, tenant entre ses griffes des fils de fer barbelés. Le symbole du dragon au pays de Galles est très ancien, le roi Arthur et ses chevaliers se tenaient peut-être sous une bannière à son image.

Siegfried Sasson prit part aux combats préliminaires du bois de Mametz, accomplisant même l'exploit de conquérir seul un morceau de tranchée allemande en lisière du bois. Observant ses ennemis en compagnie de quelques soldats, il vit l'un d'entre eux être tué d'une balle dans le front en voulant regarder par dessus le bord de leur abri. Pris d'une rage soudaine, Siegfried prit quelques grenades, son revolver et s'en alla débusquer le tireur allemand. Arrivé au bord de la tranchée allemande il lança ses explosifs et vit les soldats adverses s'enfuirent vers les bois. La tranchée conquise, seul, ne sachant que faire, il s'assit et lut quelques poèmes d'un recueil. Il rejoint bientôt sa section, abandonnant sa conquête. Pendant ce temps le bombardement prévu du bois n'est pas exécuté, car des patrouilles britanniques y sont encore. En fait de patrouille il ne s'agit que de Siegfried Sasson et son livre de poême. Plus tard il croise un bataillon de la 38th division qui se met en place en vue de l'assaut ( extrait de << Memoirs of an infantry officer >> de Siegfried Sasson:

 

In the evening we were relieved. The incoming battalion numbered more than double our own strength (we were less than 400) and they were unseasoned New Army troops. Our little trench under the trees was inundated by a jostling company of exclamatory Welshmen. Kinjack would have called them a panicky rabble. They were mostly undersized men, and as I watched them arriving at the first stage of their battle experience I had a sense of their victimization. A little platoon officer was settling his men down with a valiant show of self-assurance. For the sake of appearances, orders of some kind had to be given, though in reality there was nothing to do except sit down and hope it wouldn't rain. He spoke sharply to some of them, and I felt that they were like a lot of children. It was going to be a bad look-out for two such bewildered companies, huddled up in the Quadrangle, which had been over-garrisoned by our own comparatively small contingent. Visualizing that forlorn crowd of khaki figures under the twilight of the trees, I can believe that I saw then, for the first time, how blindly war destroys its victims. The sun had gone down on my own reckless brandishings, and I understood the doomed condition of these half trained civilians who had been sent up to attack the Wood. As we moved out, Barton exclaimed, 'By God, Kangar, I'm sorry for those poor devils!' Dimly he pitied them, as well he might. Two days later the Welsh Division, of which they were a unit, was involved in massacre and confusion. Our own occupation of Quadrangle Trench was only a prelude to that pandemonium which converted the green thickets of Mametz Wood to a desolation of skeleton trees and blackening bodies.

Robert Graves, de retour d'Angleterre, arrive quelques jours plus tard et constate les conséquences des combats ( extrait de << adieu à tout celà >> de Robert Graves )

Nous passâmes les deux jours suivants à bivouaquer en bordure du bois de Mametz. Nous étions en tenue de combat et la nuit nous avions froid : je partis donc dans le bois à la recherche de capotes allemandes qui pourraient me servir de couverture. L'endroit était jonché de cadavres : grands corps des soldats de la réserve des Gardes Prussiens et petits corps des hommes appartenant aux bataillons de la Nouvelle Armée, Royal Welch et South Wales Borderers. Pas un arbre qui n'eût été touché par les obus. Je ramassai mes manteaux et sortis du bois aussi rapidement qu'il me fut possible de le faire en me frayant un passage à travers tous ces rameaux verts, déchiquetés. Je ne pouvais emprunter qu'un seul chemin et à l'aller comme au retour je dus passer devant le cadavre boursouflé et puant d'un soldat allemand adossé à un arbre: son visage était verdâtre, il portait des lunettes et avait les cheveux rasés. Du sang noir dégouttait de son nez et de sa barbe. Je tombai encore sur deux cadavres inoubliables : un soldat du South Wales Borderers et un autre du Lehr Regiment avaient réussi à se transpercer à la baïonnette au même instant. Un survivant de la bataille me raconta plus tard avoir vu un jeune soldat du Quatorzième Royal Welch transpercer un Allemand à la baïonnette comme s'il se fut trouvé sur le terrain de manoeuvre : << Dedans, dehors, en garde ! >> s'était-il écrié automatiquement.

 

 

 

 

 

La nuit est maintenant tombée, il ne me reste plus qu'à quitter les lieux en les laissant aux fantômes qui les habitent peut-être. Je rejoins l'hotel à Albert en espérant que la journée de demain ne sera pas moins remplie que celle d'aujourd'hui.

 

Troisième jour : Samedi 24 Février 2007

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