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vendredi 23 Février 2007 |
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La journée de vendredi est consacrée au front d'attaque britannique du 1er juillet 1916. Je quitte Albert par la route de Bapaume. La pente douce, quelques kilomètres après avoir quitté Albert, est celle que les soldats britanniques ont du parcourir en direction des lignes allemandes bombardées pendant une semaine. Fortifiées pendant de long mois ces lignes puissantes surent résister à l'assaut, et à la fin de la première journée, 60 000 britanniques manquaient à l'appel sur les quelques 100 000 à avoir franchît le parapet de la tranchée, sur lesquels 19 240 ne reviendraient jamais. Aucune autre bataille du XXème siècle n'a connu un tel niveau de pertes en si peu de temps. Premier site : le Lochnagar crater à La Boiselle. Un parking et une signalisation semble avoir été mis en place récemment. Le cratère est l'un des nombreux témoignages de la guerre des mines, il mesure 80 m de diamètre et environs 25 m de profondeur, soit 42 000 mètres cube de terre ou 52 000 tonnes projetées en l'air avec ses habitants et leurs abris, pour le coût d'une trentaine de tonnes d'explosifs déposés par des mineurs gallois. L'explosion eut lieu à 7 h 28 le jour de l'assaut et fut le signal de l'attaque pour des milliers de soldats. Il servit ensuite de point d'appui et de poste de premier secours. En se retournant vers Albert on mesure la difficulté qu'eurent à surmonter les soldats pour franchir cette longue pente sous le feu des mitrailleuses, des shrapnels, empêtrés dans les barbelés. Une croix de bois orne la lèvre nord, à sa base sont déposées des couronnes de coquelicots artificiels, accrochées à une petite pochette plastique transparente dans laquelle est glissé un billet avec le nom, le grade, l'unité et la date de la mort d'un soldat, ainsi que le nom et le lien de parenté de ceux qui les ont déposées. J'aurai par la suite souvent l'occasion de découvrir que le souvenir des morts à la guerre semble plus vivant de l'autre côté de la Manche. Pour être franc cela m'a un peu navré pour ceux de la rive sud du Channel, mais je vois une grande différence dans la façon dont sont traitées les sépultures. En France, beaucoup de soldats morts à la guerre ont été inhumés dans leur village à la fin des combat. Non pas que les autorités voulaient diluer les conséquences de la guerre en les dispersant sur tout le territoire, bien au contraire elles souhaitaient un système de nécropole sur les champs de bataille; mais les familles aidées des médias furent les plus fortes et eurent l'autorisation de réinhumer leurs morts << civilement >>. Beaucoup de morts français, leur devoir accompli sont retournés chez eux en civils, les vivants et les morts. Les britanniques en ne rapatriant pas les corps, ont laissé les morts dans leurs habits militaires sous l'emblème de leur régiment pour l'éternité. Ils sont entrés dans la grande histoire pendant que les français de retour dans leur village sont retournés à l'histoire familiale qui s'est peu à peu perdue. Bien sûr il est resté dans les nécropoles de l'est et du nord des milliers de soldats français, objets de moins d'attention me semble-t-il que leurs camarades britanniques. Dans le village d'Orvillers La Boiselle, non loin du cratère un calvaire breton commémore une répétition à échelle réduite de l'échec anglais du 1er Juillet 1916. Le 17 décembre 1914, le secteur tenu par l'armée française fut le lieu d'une bataille où le 19ème régiment d'infanterie de Brest se lança à l'assaut des lignes allemandes sans préparation d'artillerie << pour ménager l'effet de surprise >>. Selon les comptes rendus militaires les faibles gains ne furent pas en rapport avec les pertes subies. Le régiment reçoit plus tard la citation suivante : << chargé le 17 décembre de l'attaque sur Orvillers, s'est porté en avant sur un terrain absolument découvert avec un entrain remarquable. En prise à des feux de face, d'écharpe et d'enfilade a progressé quand même. S'est emparé à la baïonnette d'un blockhaus fortement organisé et des tranchées ennemies en avant du village. S'est maintenu toute la journée sous un feu violent d'infanterie et d'artillerie. >> Le calvaire est gravé des mots suivants : << Je n'oublie pas mes bretons, à la mémoire des braves du 19 RI >>. La tête de la croix est cassée et repose derrière la base du calvaire. Du calvaire je peux apercevoir le Mémorial de Thiepval, prochaine destination.
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Le secteur de Thiepval fut l'objet d'une lutte formidable durant tout l'été 1916, ce saillant fortifié ne tombant que le 26 septembre aux mains britanniques et canadiennes. Le mémorial construit en 1932 sur une crête domine de ses 45 m le paysage environnant de la vallée de l'Ancre. Sur ses 16 piliers sont gravés les noms des 72087 combattants sans sépulture. En travaux de restauration depuis trois semaines, le Mémorial n'est pas accessible, on ne peut le voir que de l'extérieur de l'enceinte du cimetière à ses pieds. Je passe quelques temps au centre d'interprétation. Sous forme de panneaux illustrés de centaines de photos, l'implication britannique dans la guerre et dans la bataille de la Somme est détaillée. Une salle vidéo diffuse des documents d'archives. J'en termine à la librairie par quelques pépites ( in english indeed ) utiles à la suite du séjour. A l'accueil j'apprends avec consternation que la tour d'Ulster proche n'ouvre que le 1er mars. Qu'à cela ne tienne, j'ai prévu d'y passer. J'y arrive peu avant midi. Le portail n'est pas clos, c'est donc qu'on peut entrer dans le parc de la tour. Construite juste après la guerre, elle commémore le sacrifice de la 36th Ulster Division, constituée en majorité d'unionistes de l'Ulster engagés au début de la guerre. Cette division fut la seule dans le secteur nord à atteindre ses objectifs le premier juillet 1916 et à s'enfoncer dans le front allemand. Isolés, ses soldats furent refoulés par les contre attaques allemandes, perdant 5 266 hommes, tués blessés et disparus. Pendant que je dessine je vois un homme venant de l'arrière de la tour, il monte les escaliers, sort une clé de sa poche et entre. Vite, je me dépêche de m'approcher avant qu'il y trouve ce qu'il cherche et reparte en sens inverse. A ma vue dans l'entrée il m'invite gentiment à visiter la chapelle au rez de chaussée, c'est un homme de 65 ans environs, très sympathique, mais ne parlant pas le français. << We just arrived from Bealfast yesterday >> me dit-il << So, I'm lucky to meet you here. And how was the weather in Ireland ? >>, << Well, as fine as here >>, en fait il fait froid et le ciel est gris, humour britannique sans doute. |
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Nous parlons un moment des objets présentés dans la chapelle lorsqu'un de ses voisins arrive en trombe pour lui souhaiter la bienvenue en France. Il s'en suit une conversation assez étrange entre le gardien de la tour qui ne parle pas fançais mais en comprend un peu et son ami qui ne parle ni ne comprend l'anglais. Je suis appelé à la rescousse pour que chacun puisse suivre le fil de la conversation. La visite terminée je ressort ravi de la tour et retourne terminer mon dessin. Près de l'entrée un mini bus est garé, sur ses ailes des panneaux publicitaires indiquent qu'il s'agit d'un << battlefield tour >> Ses occupants, une famille, écoute le guide en kilt et gros manteau leur expliquer du haut d'un muret le déroulement de la bataille. Ces battlefield tours semblent être une réponse parmi d'autres à l'intérêt que suscite la première guerre mondiale et l'engagement britannique Outre Manche. De là je continue vers le nord du front d'attaque, traverse l'Ancre, dont la largueur faible étonne. A Beaumont Hamel existe un parc de grandes dimensions dans lequel les vestiges laissés visibles permettent d'imaginer le champ de bataille en 1916. Le parc Terre Neuvien, propriété de l'état canadien, entretient le souvenir de la participation de Terre Neuve à la guerre. Une maison de bois abrite une exposition qui décrit l'engagement, les combats, des soldats du Newfoundland durant le conflit, et le déroulement de la bataille du 1er juillet 1916 dans laquelle le 1st battalion du Newfoundland regiment connut son baptême du feu. Lancé à l'assaut des tranchées allemandes bien défendues et protégées par des nombreux réseaux de barbelés, les 768 hommes hommes virent tomber 310 d'entre eux, 388 étant blessés plus ou moins gravement, en à peine 40 minutes. Je repense aux machines vues hier à l'Historial, surtout à la mitrailleuse MG 08. L'après guerre et le retour des soldats, nombre d'entre eux mutilés, est aussi abordé. |
Après avoir mis les pieds sur le sol breton, britannique, irlandais et enfin canadien, je m'apprète à changer à nouveau de continent, direction l'Afrique du Sud. Je reprends la route en direction de Longueval, et de Delville Wood. Le bois de Delville est la propriété de l'Afrique du sud. Il est ceinturé d'une clôture, mais peu être visité, des chemins larges comme des avenues y sont aménagés. Lieu d'âpres combats pour la possession du bois de la mi-juillet à septembre 1916, une brigade sud africaine vit mourir un quart de ses 4 000 hommes en 6 jours, seuls 143 d'entre les 4 000 étant indemmes. Le mémorial au centre du bois est constitué d'un monument en arc de cercle surmonté d'une statue symbolisant la réconciliation des sud africains de souche anglaise et hollandaise. Passé ce monument, un musée évoque l'engagement de l'Afrique du sud dans les guerres du XXème siécle. L'entrée du site est occupée par un autre musée plus petit, qui évoque la participation de la population noire. On peut s'y restaurer. Midi est dèjà loin, je m'acorde donc une légitime pause. Ce lieu est tenu par un couple dont le mari sud africain entame la conversation. Je lui demande des précisions sur l'Afrique du Sud au début du siècle, il me renseigne en me brossant un tableau complet depuis l'arrivée des hollandais ! En préambule de la visite du mémorial, cette rencontre est la bienvenue, et en peu de temps je suis incollable sur l'Afrique du Sud, les anglais, les afrikaneers, les zoulous. Nous parlons de la position de la population noire pendant le conflit, et de leur participation à la guerre, de leur rencontre éventuelle avec des troupes françaises combattantes originaires d'Afrique noire. Les Sud Africains noirs n'ont pas été associés aux troupes combattantes, car on ne souhaitait pas qu'ils fûssent armés. Ils servirent au front en participant à tous les travaux possibles. Fort de cette nouvelle connaissance je me rends au Mémorial. Le musée est remarquablement organisé dans un batiment identique à un fort d'Afrique du Sud. Le mur extérieur est occupé par des bas reliefs illustrant le déroulement des deux guerres mondiales pour l'armée sud africaine. Le mur intérieur est une vitre gravé donnant sur une cour où un escalier permet d'accéder à un chemin de ronde au dessus de l'exposition. Parmi les choses vues je remarque une lettre adressée aux autorités sud africaines par le gouvernement polonais en exil à Londres. Ce sont des remerciements à l'aviation d'Afrique du Sud qui fût avec l'aviation polonaise et quelques squadrons anglais les seuls à porter secours aux varsoviens insurgés en aout et septembre 1944, sous le regard stoïque des soviétiques. Ces missions sont évoquées dans un chapitre de << Feux du ciel >> de Pierre Closterman, lu il y a une vingtaine d'années. Autre chose, en entrant dans une salle je suis saisi par la photo qui occupe tout un mur; je m'en suis inspiré il y a quelques années pour réaliser un dessin aquarellé, et ce dessin évoque pour moi beaucoup de choses, il est accroché à la place d'honneur sur un de mes murs. Je sors du musée et me promène dans les allées du bois, puis dans le cimetière en face du Mémorial. Les tombes sont celles d'anglais, d'écossais, de sud africains,de néo zélandais. Avant de quitter Longueval je me rends au monument néo zélandais situé au nord du bois.
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J'arrive à Fricourt en fin d'après midi. Je suis ici pour suivre le parcours et retrouver l'esprit de deux brillants poètes britanniques devenus officiers le temps de la guerre, siegfried Sassoon et Robert Graves. Bien que ne se connaissant pas avant guerre, ils servent dans le 1st Battalion royal Welsh Fusiliers regiment, Siegfried Sassoon depuis novembre 1915, et Robert Graves depuis son transfert du 2nd battalion après la bataille de Loos en septembre / octobre 1915. Le bataillon tient le secteur de tranchées situé au sud du village de Fricourt, sur les versants d'une crête tenue par les allemands. Au sommet se trouve le Bois Français. Le 1st battalion est une unité d'active d'élite dans laquelle règne une discipline stricte, et un respect des conventions tacites de l'armée anglaise du temps de paix, qui recommandent par exemple de mépriser les nouveaux venus, de ne pas les autoriser à parler au mess, et d'appliquer toutes sortes de punitions pour des faits anodins en temps de guerre. Ils ont pour ami commun David Thomas, jeune officier également. Le 18 mars 1916 se déroule les évènements suivants ( extrait de << Adieu à tout celà >> de Robert Graves :
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A la fin de la guerre Robert Graves écrivit ce poème en souvenir de son ami :
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Then … but there comes a brazen clink, And quicker than a man can think Goliath’s shield parries each cast. Clang! clang! and clang! was David’s last. Scorn blazes in the Giant’s eye, Towering unhurt six cubits high. Says foolish David, “Damn your shield! And damn my sling! but I’ll not yield.” 30 He takes his staff of Mamre oak, A knotted shepherd-staff that’s broke The skull of many a wolf and fox Come filching lambs from Jesse’s flocks. Loud laughs Goliath, and that laugh Can scatter chariots like blown chaff To rout; but David, calm and brave, Holds his ground, for God will save. Steel crosses wood, a flash, and oh! Shame for beauty’s overthrow! 40 (God’s eyes are dim, His ears are shut.) One cruel backhand sabre-cut— “I’m hit! I’m killed!” young David cries, Throws blindly forward, chokes … and dies. And look, spike-helmeted, grey, grim, Goliath straddles over him. |
La nuit est maintenant tombée, il ne me reste plus qu'à quitter les lieux en les laissant aux fantômes qui les habitent peut-être. Je rejoins l'hotel à Albert en espérant que la journée de demain ne sera pas moins remplie que celle d'aujourd'hui.
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