A
regret je quitte Frise en direction de Suzanne. C'est dans ce village
que Robert Graves termina sa guerre en France :
<<
Le cantonnement de réserve affecté aux troupes stationnées dans le
secteur de tranchées de Bouchavesnes se trouvait à Suzanne; il ne
s'agissait pas d'un cantonnement véritable, mais d'abris et de casemates.
Suzanne n'était plus, lui aussi, qu'un amas de ruines. Depuis celui
de 1894-1895 on n'avait jamais connu d'hiver aussi dur. Les soldats
disputaient des matchs de football inter-compagnies sur la rivière
qui était maintenant gelée sur une profondeur de soixante centimètres.
Je me souviens d'un repas que j'y pris dans un abri : de la ratatouille
et des tomates en conserve que l'on nous servit dans des gamelles
d'aluminium. La nourriture arriva brûlante de la cuisine qui se trouvait
tout à côté mais nous n'eûmes pas le temps de finir de manger que
déjà les rebords de nos assiettes se couvraient de glace. On ne pouvait
dans toute cette région voir un seul civil français, une seule maison
qui n'eût été atteinte par un obus: il ne restait plus une seule trace
de culture. Les seuls êtres vivants que nous apercevions en dehors
des soldats, des chevaux et des mules, étaient des poules d'eau et
des canards qui, très peu nombreux, barbotaient au milieu de la rivière,
unique endroit que les glaces n ' avaient point pris. La ration de
fourrage accordée aux chevaux, dont beaucoup étaient malades, avait
été ramenée à trois livres par jour: les animaux devaient en plus
manger en plein air.
Je
n'ai conservé aucune note sur cette période, mais en moi survit le
souvenir des misères que nous y supportâmes. >>
Le
village suivant se nomme Cappy. Je l'ai cité au début de
ce compte rendu. C'est d'ici que le pilote de chasse le plus connu au
monde décolla en compagnie des pilotes visité jeudi. Manfred
Von Richthofen a 25 ans lorsqu'il arrive à Cappy le 12 avril 1918.
Les armées allemandes ont repris l'offensive depuis une vingtaine
de jours, c'est l'opération << Michael >>. Ils ont
percé le front britannique et reconquis tout le terrain gagné
par les alliés en 1916, puis dépassé << the
old front line >> de 1916 en se dirigeant vers Amiens. Bloqués
le 5 avril devant Villers Bretonneux par l'infanterie australienne, l'offensive
s'enlise, puis reprend dans un autre secteur le 9.
Le
7 avril Manfred von Richthofen abat sa 78ème victime homologuée,
il est l'as des as, tous pays confondus. Ce jeune pilote de chasse commande
alors une escadre, la Jagdgeschwader Nr 1, composée de 4 Jastas
ou escadrilles de chasse de 12 pilotes. C'est un vétéran
de l'aviation de chasse pour ne pas dire un survivant. Sa première
victoire date de mi septembre 1915, mais n'est pas homologuée.
Extrait du <<Corsaire Rouge >> de Manfred von Richthofen
<<
MON PREMIER, COMBAT AÉRIEN (1er septembre 1915)
Nous
cherchions la bataille, Zeumer et moi. Nous partions avec notre grand
avion de combat et rien que ce nom nous donnait l'assurance que l'adversaire
ne pourrait nous échapper. Nous volions cinq heures par jour sans
jamais rencontrer un Anglais. Nous étions déjà tout découragés lorsque,
parti un matin en chasse, je vis tout à coup un Farman faisant tranquillement
sa reconnaissance. Le coeur me battait lorsque Zeumer vola dans sa
direction. J'étais anxieux de savoir ce qui allait se passer.
Je n'avais jamais participé à un combat aérien
et n'avais qu'une vague idée de ce que celà pouvait
être.
Avant
que je puisse m'en douter, nous avions filé à côté l'un de l'autre,
l'Anglais et moi. Je tirai quatre fois tout au plus, tandis que l'adversaire
me canardait par derrière tant qu'il pouvait. Je ne me figurais pas
du tout ce que serait le résultat final de ce combat et n'avais par
conséquent pas le sentiment du danger. Nous tournâmes à plusieurs
reprises l'un autour de l'autre, quand finalement l'Anglais, à notre
grande surprise, fit demi-tour et partit. J'étais désillusionné et
mon pilote également.
Nous
étions tous deux de très mauvaise humeur en rentrant. Zeumer me reprochait
d'avoir mal tiré, je lui retorquai qu'il avait mal guidé l'avion et
ne m'avait pas permis de bien placer mes coups, en un mot, notre collaboration,
jusqu'alors si parfaite, subit brusquement un à-coup.
En
examinant notre avion nous pûmes constater qu'il avait reçu
un nombre rspectacle de projectiles.
Le
jour même nous repartions pour un deuxième vol de chasse qui, lui
aussi, ne donna aucun résultat, J'étais navré, car je me figurais
qu'il en était tout autrement dans les escadrilles de chasse, Je ne
me rendais pas compte qu'un avion supporte pas mal de coups et pensais
que, du moment que je tirais l'adversaire devait tomber, or il n'en
était rien, je n'en descendis pas un seul.
Nous
ne manquions pas de courage. Zeumer savait voler comme pas un, et
j'étais un tireur très acceptable. Nous étions devant une énigme.
Je n'étais pas le seul à me casser la tête. Actuellement encore beaucoup
d'autres sont dans notre cas. La question mérite vraiment d'être approfondie.
LA
BATAILLE DE CHAMPAGNE
Le
beau temps d'Ostende fut court; bientôt la bataille de Champagne éclata
et nous dûmes partir de ce côté pour y participer avec notre appareil.
Si grand que fût notre coucou, nous avions remarqué qu'il ne serait
jamais un avion de combat.
Je
volai un jour avec Osteroth, qui avait un avion Un peu plus petit
que notre barcasse ( le grand avion de combat ). A cinq kilomètres
du front on rencontra un Farman, il nous laissa approcher et je vis
pour la première fois dans l'air un adversaire de près. Osteroth passa
avec beaucoup d'adresse à côté de lui de manière à ce que je pusse
le prendre facilemcnt sous mon feu. Il ne semblait pas nous avoir
remarqués et j'eus mon premier enr'ayage avant qu'il n'eût commencé
à tirer. Je venais d'épuiser mon chargeur de cent coups, lorsque l'adversaire
se mit à descendre en spirales d'une façon bizarre. Je n'en croyais
pas mes yeux. Je le suivis pendant quelque temps et donnai une tape
sur la tête d'Osteroth en lui disant: " Il tombe, il tombe ", et il
s'enfonça en effet dans un grand entonnoir, la tête la première. Je
déterminai sa position sur la carte, il était à cinq kilomètres du
front actuel. Nous l'avions abattu de l'autre côté et, dans ce temps-là,
les avions qui tombaient au delà du front n'étaient pas comptés à
l'aviateur, sans quoi j'en aurais eu un de plus sur ma liste. Mais
j'étais très fier de mon succès, et qu'un avion vous soit compté ou
non, l'essentiel était qu'il fût par terre. >>
Il
décide d'apprendre à piloter pour chasser seul fin 1915.
En avril il participe à la bataille de Verdun et abat un nieuport
le 26 au dessus de Fleury, toujours non-homolgué.
|
<<
MON PREMIER ANGLAIS (17 septembre 1916)
Nous
étions sur le champ de tir et l'un après l'autre nous tirions avec
notre mitrailleuse, chacun dans la position qui lui paraissait la
plus favorable. Nous avions touché la veille nos nouveaux appareils
et Boelcke voulait voler avec nous le lendemain. Nous n'étions tous
que des commençants et aucun n'avait encore remporté le moindre succès.
Tout ce que Boelcke disaif était pour nous parole d'évangile. Nous
savions que chaque jour il avait abattu un Anglais, et parfois deux.
La
journée du lendemain 17 septembre était splendide. On devait s'attendre
de la part des aviateurs anglais à de nombreux vols. Avant de partir,
Boelcke nous donna encore quelques instructions précises et pour la
première fois nous volâmes en escadrille sous la conduite du célèbre
aviateur, en nous confiant aveuglément à sa direction.
A peine arrivés sur notre front, nous reconnûmes une escadrille ennemie,
qui se trouvait sur nos lignes, elle volait en direction de Cambrai,
et nous avait été signalée par les éclatements du tir de nos
canons contre-avions. Boelcke la remarqua le premier, parce qu'il
y voyait mieux que les autres. Nous eûmes bientôt compris la manoeuvre,
et chacun s'efforçait de suivre Boelcke à coourte distance.
Nous nous rendions compte que nous allions faire nos preuves sous
les yeux de notre chef. On approchait lentement de l'escadrille, mais
elle ne pouvait plus nous échapper. Nous étions arrivés à nous placer
entre l'adversaire et le front, de manière à ce qu'il ne pût s'en
retourner sans passer devant nous. On pouvait compter les appareils
ennemis, il y en avait sept. Nous étions cinq. Les Anglais avaient
tous de gros avions de bombardement à deux places. Encore quelques
secondes, et la bataille allait commencer. Boelcke était déjà
tout près de tomber sur le poil du premier, rnais ne tirait pas encore.
J'étais le second, et mes camarades suivaient à courte distance. L'Anglais
qui se trouvait le plus rapproché de moi avait un gros appareil de
couleur foncée. Je ne réfléchis pas longtemps et le pris pour objectif.
Il tira, je tirai et tous deux sans résultat. Ma tactique consistait
à le prendre à revers, car je ne pouvais pas faire feu comme mon adversaire
dans toutes les directions, mais seulement droit devant moi. Ce n'était
pas un débutant, il savait bien que sa dernière heure serait arrivée
si je pouvais passer derrière lui. Je n'avais pas encore la certitude
de pouvoir dire comme maintenant: " Celui-là je l'aurai ", mais au
contraire je pensais : tombera-t-il ? et cela fait une différence.
Au bout de la première, deuxième ou troisième
victoire, on a la compréhension de ce qu'il faut faire.
Mon Auglais allait, venait, tournait autour de moi, croisant ,souvent
ma route. Je ne songeais pas assez aux autres Anglais de l'escadre
qui auraient pu venir au secours de leur camarade attaqué. Je n'avais
qu'une pensée: " Arrive ce qui pourra, celui-Ià doit tomber ".Il se
présente enfin une circonstance favorable. L'adversaire s'éloigne
droit devant lui, il m'a sans doute perdu de vue. En moins d'une seconde,
je suis à ses trousses avec mon excellent appareil. Quelques coups
de ma mitrailleuse à si courte distance que je craignis un abordage,
et voilà l'hélice de mon adversaire arrêtée. J'ai bien visé, le moteur
doit être criblé de balles, l'ennemi ne peut plus atteindre son front
et doit atterrir chez nous. L'appareil se met à osciller, le pilote
doit avoir quelque chose, l'observateur ne se laisse plus voir et
sa mitrailleuse pointe librement vers le ciel. Je dois l'avoir touché
également, il est sans doute couché au fond de la carlingue. L'Anglais
atterrit n'importe comment à côté du terrain d'une escadrille que
je connaissais. J'étais si ému, que je ne pus me dispenser d'atterrir
à mon tour, et, dans ma hâte, faillis piquer une tête avec mon appareil.
Celui de l'Anglais était à côté du mien. Je courus; une masse de soldats
entouraient l'adversaire. J'avais deviné juste. Le moteur était criblé
de balles et les occupants grièvement blessés. L'observateur
mourut aussitôt, le pilote pedant le transport à l'hôpital de campagne
le plus proche. Je plaçai une pierre sur la tombe de mes adversaires,
tués en loyal combat. Lorsque je revins chez nous, Boelcke déjeunait
avec les autres et s'étonna de mon retard. Je lui annonçai tout fier
pour la première fois : " J'ai descendu un Anglais. " Je n'étais pas
le seul. Outre Boelcke, les autres débutants avaient chacun remporté
leur première victoire. Depuis ce jour, aucune escadrille anglaise
ne se risqua plus sur Cambrai aussi longtemps que Boelcke fut là avec
son escadrille de chasse. >>
Deux
jours plus tôt Georges Guynemer l'as des as français a abattu
son seizième avion. Huit jours plus tôt James McCudden, futur
as anglais son premier homologué.
La
carrière de pilote de chasse de Manfred von Richthofen, après
quelques essais de biplace et de monoplace, commence lorsqu'il est recruté
par Oswald Boelke à la Jasta 2 en aout 1916. Il vole sur Albatros
D II, et apprend rapidement le métier enseigné par son mentor.
Il prend la tête de la Jasta 11 en janvier 1917, unité au
score vierge basée près de Douai. Il compte alors 16 victoires,
ce qui à l'époque n'était pas rien.
Mars
et avril, << the bloody april >> voit son score augmenter
terriblement. Il combat alors sur le front anglais. Ceux ci préparent
puis lancent leur offensive sur Arras alors que les français attaquent
en même temps au Chemin des Dames. Le Royal Flying Corps vole sur
des avions inférieurs aux avions allemands, et subit alors des
pertes énormes. Sur les 21 victoires remportées par Manfred
von Richthofen en avril 1917, 16 sont des biplaces d'observation ou de
bombardement. En juin il commande la nouvelle Jagdgeschwader Nr 1.
Septembre
1916 |
Octobre
|
Novembre
|
Décembre |
Janvier
1917 |
Février
1917 |
Mars
1917 |
Avril
1917 |
Mai
1917 |
Juin
1917 |
Juillet
1917 |
Aout
1917 |
3
|
3
|
5
|
4
|
3
|
3
|
10
|
21
|
0
|
4
|
1
|
2
|
Septembre
1917 |
Octobre
1917 |
Novembre
1917 |
Décembre
1917 |
Janvier
1918 |
Février
1918 |
Mars
1918 |
Avril
1918 |
|
2
|
0
|
2
|
0
|
0
|
0
|
11
|
6
|
Le
6 juillet il échappe de peu à la mort :
<<
J'entrepris le 6 juillet 1917 par une journée splendide, un vol de
chasse avec mon escadrille. Nous nous étions promenés, entre Ypres
et Armentières, pendant un bon moment sans avoir eu la possibilité
d'engager un véritable combat.
Je
vis tout à coup apparaître une escadrille de l'autre côté du front,
et devinai aussitôt que les frères voulaient traverser nos lignes.
Ils vinrent en effet, mais firent demi--tour en nous apercevant. Je
pensais déjà que l'ennemi nous boudait. Aussi j'usai de ruse, et me
retirai, tout en observant attentivement l'escadrille ennemie, et,
peu de temps après, je la vis voler en direction de notre front. Nous
avions vent d'est, c'est-à-dire défavorable pour nous. Après les avoir
laissés pénétrer de notre côté sur une distance suffisante, je leur
coupai le chemin du retour au front. Nous avions de nouveau affaire
à nos chers amis, les grands Vickers. C'est un modèle d'avion anglais
avec fuselage quadrillé; l'observateur se trouve devant.
Nous
eûmes de la peine à rattraper les appareils rapides de nos adversaires,
mais nous étions montés très haut, et la chose nous fut plus facile.
Pendant
un bon bout de temps j'eus le dernier des avions ennemis si près de
moi que je pus étudier à loisir la façon de l'attaquer. Wolff volait
au-dessous; je reconnaissais, au tac-tac de sa mitrailleuse allemande,
qu'il combattait déjà. Mon adversaire fit demi-tour et engagea le
combat à grande distance. Je n'avais pas encore armé ma mitrailleuse
que déjà l'observateur ennemi, sans doute nerveux, se mit à tirer.
Je le laissai faire, car à trois cents mètres et au delà, le meilleur
tireur ne peut obtenir aucun résultat. Il se dirigeait sur moi, j'espérais
le joindre par derrière au bout de son premier cycle, et lui ,décocher
quelques projectiles. Mais ne voilà-t-il pas que je ressentis tout
à coup une violente commotion à la tête! j'étais touché! Pendant un
instant je fus complètement paralysé. Bras et jambes pendaient sans
force. Le coup avait affecté le nerf optique et, perspective terrible,
j'étais aveugle. La machine s'abattit, et une réflexion rapide traversa
mon cerveau : je tombe, et dans quelques instants je serai mort. Je
craignais à tout moment que les ailes ne se détachent dans la chute.
J'étais
seul dans ma caisse, mais n'avais pas perdu connaissance. Bientôt
je retrouvai l'usage de mes bras et de mes jambes et pus saisir le
gouvernail, couper auto-matiquement les gaz et l'allumage.
Mais tout cela était inutile, les yeux étaient atteints, les lunettes
tombées, je ne voyais rien et ne distinguais même pas le soleil. Les
secondes me paraissaient des siècles. Je tombais toujours. La machine
s'était redressée par sursauts, mais retombait de nouveau. Au début,
j'étais à environ quatre mille mètres. Rassemblant toute mon énergie
je me dis: " Il faut que tu voies ". Et tout à coup je pus distinguer
devant moi des parties noires et blanches. La vue me revenait. Je
regardai le soleil en face sans éprouver la moindre douleur ou en
être ébloui. Je ne le voyais que comme à travers des lunettes noires
très épaisses, mais cela me suffisait.
Mon premier coup d'oeil fut pour mon altimètre. Il indiquait huit
cents mètres. Je n'avais aucune idée de l'endroit où je me trouvais.
Je ressaisis la direction de la machine, lu remis en marche normale,
et continuai la descente en vol plané ! Au-dessous de moi le terrain
était couvert de trous d'obus. Une grande étendue de forêt me permit
de constater, à ma grande joie, que je me trouvais de notre côté des
lignes, à une assez grande distance. Si l'Anglais m'avait poursuivi,
il aurait pu m'abattre sans difficulté. J'avais été, Dieu merci, protégé
par mes camarades, qui, au premier moment, ne s'étaient pas expliqué
ma chute.
Au
commencement, je voulais atterrir de suite; par crainte d'un évanouissement;
je descendis à cinquante mètres, mais les nombreux entonnoirs ne laissaient
aucune place pour un atterrissage. Je rendis les gaz et volai assez
bas en direction de l'est, aussi longtemps que je pus. Au début, cela
n'allait pas mal, mais au bout de quelques secondes, mes forces m'abandonnèrent
et petit à petit j'eus un voile noir devant les yeux. Il était temps.
J'atterris sans casse, en emportant quelques poteaux et fils téléphoniques,
mais à ce moment-là on ne s'en soucie guère. J'eus encore la force
de me lever et voulus descendre, mais je tombai, et, ne pouvant plus
me relever, je restai étendu.
Des
gens avaient observé le combat et reconnu, à ma machine rouge, qu'il
s'agissait de moi; ils accoururent tout de suite. Les soldats me bandèrent
la tête avec leurs pansements individuels; je ne me rappelle plus
que vaguement le reste. Je n'avais pas complètement perdu connaissance,
mais me trouvais dans un état vague. Je m'étais couché justement sur
un chardon, et me souviens que je n'eus pas la force de quitter cette
position, à la longue très pénible.
J'avais
atterri près d'une route, de sorte que, peu de temps après, une voiture
d'ambulance automobile était là; je fus embarqué, et quelques heures
après j'arrivai à Courtrai, dans un hôpital du front. Les médecins
étaient prêts et se mirent à l'oeuvre. J'avais un beau trou à la tête,
une blessure d'environ dix centimètres de longueur, qu'on put réduire
plus tard. A un endroit, l'os était à nu de la grandeur d'un thaler.
Ma dure caboche de Richthofen avait tenu le coup et n'avait pas autrement
souffert. Avec un peu d'imagination, on put constater sur la radioscopie
une légère dépression. J'ai eu pendant plusieurs jours des bourdonnements
d'oreilles désagréables. On répandit le bruit chez moi que j'étais
à l'hôpital, avec grave blessure à la tête et au ventre, mais que
je ne m'en portais pas plus mal. J'étais curieux de savoir qui, de
mon frère ou de moi, pourrait le premier regrimper dans sa caisse.
Chacun craignait que ce fût l'autre. >>
Ce même jour Hans Joachim Wolff rejoint la
Jasta 11. Le vainqueur est le lieutenant Woodbrige, mitrailleur-observateur
du Fe2b piloté par le capitaine Cunnell, von Richthofen est la
8éme victoire homologuée à l'équipage. Cunnel
en obtiendra une de plus avant de mourir aux commandes de son biplace
5 jours plus tard. Von Richthofen revient à son unité le
20 juillet. Le 16 aout il renoue avec la victoire au combat :
<<
Environs de 19h55. En compagnie de 4 avions de la Jasta 11, je
poursuis une petite escadrille de Nieuport. Après une longue
poursuite, j'attaque un des ennemis, et après un court combat,
je touche son moteur et son réservoir. L' avion part en vrille.
Je le poursuis immédiatement jusqu'au sol. J'ai ainsi j'ai
une chance supplémentaire de tirer, l'avion s'écrase
au sud ouest de la forêt de Houthulst. Comme je l'ai suivi à
une distance de 50 mètres, je me trouve dans un nuage d'essence,
et je suis pendant un bref moment malade. >>
Le
sous lieutenant Williams, 19 ans, décèdera de ses blessures
six jours plus tard. Il venait à peine d'arriver au 29 Squadron
et comptait moins d'un cinquantaine d'heures de vol. Le 1er septembre
von Richthofen décolle aux commande d'un triplan Fokker pour le
premier combat sur ce type de machine. Avec 4 pilotes de la Jasta 11 il
patrouille au dessus de Zonnebeke et croise un biplace RE8 du 34 Squadron.
Il attaque et fusille les occupants de la machine anglaise, blessant le
pilote et tuant le mitrailleur. Celui ci se nomme Walter Kember, il a
sans doute pris le triplan allemand aperçu pour la première
fois, pour un triplan anglais, seul avion de ce type jusqu'alors. Walter
Kember n'avait rejoint son Squadron que quelques jours auparavant. Le
Fokker Dr I est souvent associé au << Baron Rouge >>
bien qu'il n'ai obtenu qu'un quart de ses victoires à ses commandes.
L'automne
et l'hiver passent sans beaucoup de combats. Le printemps 1918 venu, les
allemands lancent l'offensive qui doit leur permettre de gagner la guerre.
La Jagdgeschwader Nr I est aux premières loges. Von Richthofen
dirige ses pilotes au combat et engrenge les victoires comme en mars 1917.
Il vole généralement avec la Jasta 11 et pilote un Dr I
rouge. Cette couleur voyante fait partie des multiples couleurs arborées
par chaque avion. Ce n'est pas à l'époque quelque chose
d'extraordinaire. Cela permet de repérer rapidement les amis pendant
le combat, et aussi d'être repéré par les observateurs
au sol qui suivent souvent les combats, et dont le témoignage est
utile à l'homologation. Il est donc compréhensible que von
Richthofen avide de victoires fasse en sorte que son avion soit facile
à voir. L'avance foudroyante des armées allemandes oblige
la Jagdgeschwader à changer de terrain régulièrement,
récupérant parfois des anciens aérodromes anglais.
Le 12 avril Manfred von Richthofen se pose à Cappy.
Le
même jour Robert Eiserbeck est abattu près d'Albert, jeudi
j'étais près de sa tombe. Les jours suivants l'escadre s'installe
et le temps est peu engageant, un ordre de nouveau changement de secteur
est annulé au dernier moment. Le 20 avril, les combats reprennent.
En fin d'après midi l'escadre tombe sur une patrouille du 3 Squadron,
près de Villers-Bretonneux. En trois minutes von Richthofen abat
deux anglais, le major Raymond-Baker qui est tué, et le lieutenant
Lewis qui est fait prisonnier.
80
victoires. Deux fois le nombre de Boelke. Beaucoup pensent qu'il est temps
pour lui de s'arrêter, de prendre du repos. Sa blessure du mois
de juillet, lui cause de douloureuses migraines. On lui a déjà
proposé de mettre un terme à sa carrière opérationnelle,
de prendre les reponsabliltés d'inspecteur de l'aviation de chasse;
on a peur de perdre le héros magnifié par la propoagande,
comme on a perdu Boelke et Immelman. Mais Manfred von Richthofen a refusé,
et ce n'est pas en pleine offensive qu'il va changer d'avis. Il a accepté
cependant de prendre une permission et doit quitter le front dans quelques
jours en compagnie de Hans Joachim Wolff pour aller chasser en Forêt
Noire, à l'invitation du père du fameux Werner Voss. Le
21 au matin, il semble de très bonne humeur. Les ordres du jour
sont de dégager le ciel au dessus du Hamel pour permettre aux avions
d'observation de détecter l'artillerie australienne. Vers 10h30
la Jasta 11 prend l'air. Un patrouille anglaise a été aperçue.
La Jasta se divise en deux groupes de six, l'un mené par von Richthofen
avec notamment Scholz et Wolff, l'autre par Hans Weiss. Deux avions d'observation
anglais sont pris en chasse. Soudain une escadrille de chasseurs, le 209
Squadron, vient à la rescousse, la mêlée s'engage.
Les deux chefs, l'anglais Roy Brown et l'allemand se tiennent en respect
prèts à porter secours à leurs pilotes. Un britanique
sort du paquet et s'éloigne vers l'ouest. Aussitôt von Richthofen
a senti la victoire possible. Il plonge et le prend en chasse. Roy Brown
n'a rien perdu de la scène et se porte à la rescousse de
son pilote. Les trois avions se suivent en tiraillant pour les deux derniers
quelques dizaines de mètres au dessus de la Somme. Pendant ce temps
Hans joachim Wolff voit son chef s'éloigner, puis pris dans le
combat le perd de vue. La poursuite continue jusqu'à Vaux sur Somme,
l'avion britannique oblique vers la crête de Morlancourt. Von Richthofen
réalise alors qu'il vole bas au dessus du territoire adverse, une
situation dangereuse. Au dessus d'un champ bordé par une briqueterie
il vire vers ses lignes. Au sol des mitrailleurs australiens voient arriver
l'avion ami suivi du triplan rouge. Le sergent mitrailleur
Popkin ouvre le feu sur le triplan avec d'autres mitrailleurs, le voit
faire une embardée, puis descendre rapidement et se poser lourdement.
Les soldats se précipitent pour capturer le pilote allemand, mais
lorsqu'ils arrivent à l'avion ils assistent à son dernier
souffle. Ils comprennent alors rapidement qui est celui qu'ils viennent
d'abattre.
Pendant
ce temps la Jasta 11 a rejoint Cappy, et la première question posée
est << Où est Richthofen ? >>. L'attente commence.
Au
209 Squadron, Brown et May, le poursuivant et le poursuivi sont rentrés
à leur terrain de Bertangle, au nord d'Amiens. Ils repartent en
voiture confirmer la victoire que Brown revendique.
Les
soldats australiens de la 3ème division du secteur de la crête
de Morlancourt ont tiré l'avion hors de la vue des observateurs
allemands, puis ont entouré le Fokker, et chacun emporte un morceau
en souvenir. Le corps de von Richtofen est déposé sur une
tôle ondulée. On découvre qu'une seule balle l'a touché
mortellement, pénétrant dans le côté droit,
lui traversant le corps en touchant le coeur, puis freinée, ressortant
par la poitrine pour rester dans sa combinaison de vol. Son corps est
ramené à Bertangle au 3 Squadron Australian Flying Corps..
Le lendemain des funérailles sont organisées et les honneurs
militaires lui sont rendus.
A
Cappy je passe près du château où aurait résidé
le commandant de la Jagdgeschwader Nr 1, mais celà n'est indiqué
dans aucun document, il est donc possible qu'il ait dormi sa dernière
nuit dans les baraquements près des avions. Le terrain de Cappy
se trouve au dessus de la vallée de la Somme à l'extérieur
du village. Cest un grand terrain en lègère pente bordé
par la route et par une voie ferrée. De ce terrain le barron Rouge
s'envola vers 10h30 le 21 avril 1918.
Je
reprends mon chemin et me dirige à présent vers le lieu
de la fin de ce vol de guerre.
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