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Samedi 24 Février 2007

   

 

Je reprends la route de bon matin d'Albert vers la route de Bapaume. Je me dirige vers Pozières. La route rectiligne semble être un genre de piste de décollage pour les camions qui, une fois leurs ailes déployées iront livrer les alentours. L'un d'entre eux remplit mon rétroviseur de touriste, et après forces appels de phares et vociférations muettes, je me gare sagement, me voyant récompenser d'un coup de klaxon rageur. L'axe Albert Bapaume est celui choisi pour la progression de l'offensive de juillet 1916; on sait ce qu'il en advint. Pozières faisait partie des objectifs à prendre au tout début de la bataille, il faudra en fait plus d'un mois de combat pour prendre les points fortifiés. Ce sera le travail des trois divisions australiennes pour la perte de 23 000 hommes. ( Tués, blessés, disparus ). Un morceau de ruines enterrées est clôturé à proximité du monument du moulin à vent, ancien blockhaus allemand.

De l'autre côté de la route ( attention aux camions ) le monument des chars évoque le premier engagement des tanks britanniques le 15 septembre 1916 à 05h15 du matin. Cette arme est nouvelle et secrète, son nom << Tank >> est un code qui dissimule son usage. Les chars anglais, sont les Mark I, avec des modèles << Male >> et des modèle << Femelle >>. Le premier est armé de canons et doit détruire les tranchées, les postes de mitrailleuses, etc.; alors que le second le protège contre l'infanterie ennemie à l'aide de ses mitrailleuses. L'utilisation de cette arme et son comportement sur le champ de bataille nécessitaient sans doute plus d'entraînement. Le commandement choisit cependant de la lancer dans l'action fin septembre, avec à nouveau l'espoir de la rupture du front. Les 49 chars disponibles sont dispersées parmi les unités d'attaque et à l'heure prescrite tentent à 6 km/h de traverser le no man's land.

Les allemands se doutaient certainement que ce jour finirait par arriver, car des véhicules plus ou moins blindés et armés existaient bien avant la guerre. Restait à leur donner les moyens de franchir un champ de bataille ravagé de trou d'obus, coupé de tranchées. Néanmoins leur première réaction ne put être que d'horreur à la vue de ces monstres, mais ils se ressaisissent et se défendent. En dépit d'une avance de plusieurs centaines de mètres, et de la capture de villages, la percée attendue ne se réalisera pas, et la plupart des chars sont mis hors de combat. Par la suite les allemands prendront des mesures de prévention en élargissant les tranchées de première ligne, et en mettant au point des techniques de tir. L'artillerie d'assaut française en fera les frais en avril 1917.

 

 

 

 

En sortant de Pozières je quitte la piste et prend la direction de Longueval. Après quelques kilomètres je fais une halte devant le bois des Fourcaux, High Wood. C'est ici que furent engagés quatre chars, mais le terrain défoncé, et la désorientation des équipages ne permit pas de récolter quelque succès. Au coeur de la bataille un soldat allemand intrépide escalada un des chars, ouvrit une trappe et fusilla sans le tuer un des servants anglais !

 

 

Peu après avoir quitté ce secteur de High Wood, je me dirige vers Combles et Guillemont. La pluie commence à tomber doucement puis de plus en plus fort. Impossible de dessiner à l'extérieur. Je me rends à la charnière des armées françaises et anglaise, luttant ensemble en septembre 1916 pour la prise du secteur de Combles. Ce gros bourg, point essentiel du front allemand fut sauvagement défendu avant de tomber le 26 septembre aux mains des 110 et 73 RI et et de bataillons anglais. Un officier allemand a vécu la préparation de l'assaut final de Combles : Ernst Junger. ( extrait de << orage d'acier >> ). Les bois qu'il décrit dans son récit semblent être ceux que j'ai longé avant de descendre vers le village, en venant de Guillemont.

 

Nous entendions devant nous rouler et tonner des tirs d'artillerie d'une intensité insoupçonnée; mille éclairs jaillissant inondaient l'horizon ouest d'une mer de flammes. Des blessés au visage blafard, aux traits creusés, se traînaient constamment vers l'arrière, souvent jetés dans le fossé à l'improviste par le ferraillement de pièces ou de colonnes de munitions qui passaient.

Un coureur d'un régiment wurtembergeois se mit à mes ordres pour conduire ma section jusqu'au fameux bourg de Combles, où nous devions provisoirement nous tenir en réserve. Ce fut le premier soldat allemand que j'aie vu sous le casque d'acier, et il m'apparut aussitôt comme l'habitant d'un monde nouveau et plus dur. Assis près de lui dans le fossé, je l'interrogeais avidement sur la situation dans les tranchées, et j'obtins en réponse le récit monotone de jours qu'on passait accroupi dans les trous d'obus, sans liaison ni voies d'accès, d'attaques ininterrompues, de champs couverts de cadavres, et de soifs démentes, de blessés mourant de faim, d'autres encore. Le visage figé, encadré par le bord d'acier du casque, et la voix blanche, qu'accompagnait le vacarme du front, nous firent une impression macabre. Quelques jours avaient suffi pour mettre sur ce coureur qui devait nous mener au royaume des flammes une empreinte qui semblait nous le rendre indiciblement étranger.

" Quand on tombe, on y reste. Rien à faire. Personne ne sait s'il reviendra vivant. On a tous les jours une attaque, mais ils ne passent pas. Chacun sait que c'est une question de vie ou de mort. "

Rien n'était resté dans cette voix qu'une vaste indifférence, elle était recuite au feu. On peut aller à la bataille avec de tels hommes.

Nous marchâmes par une large route, qui s'étendait sous le clair de lune à travers le terrain sombre, vers le tonnerre de la canonnade, dont les rugissements, engloutissant tous les bruits, devenaient sans cesse plus énormes. Laissez ici toute espérance! Ce paysage tirait un aspect particulièrement sinistre du fait que toutes ses routes luisaient sous la lune comme un lacis de veines claires, sans qu'on pût y apercevoir âme qui vive. Nous avancions comme par les allées d'un cimetière qui brillent vaguement à minuit.

Les premiers obus ne tardèrent pas à tomber sur la droite et la gauche de notre chemin. Les conversations baissèrent de ton, puis cessèrent enfin. Chacun prêtait l'oreille au long miaulement des obus, avec cette étrange surexcitation des sens qui donne à l'ouïe la plus vive acuité. Ce fut surtout la traversée de Frégicourt-Ferme, un hameau, devant le cimetière de Combles, qui nous mit pour la première fois à l'épreuve. La poche qui se resserrait autour de Combles y était déjà étranglée à l'extrême. Quiconque voulait entrer dans la ville ou en sortir était contraint d'y passer, de sorte que cette artère vitale était soumise sans interruption au plus lourd des martèlements, semblable aux rayons que concentre une lentille. Le guide nous avait déjà préparés à ce passage tristement célèbre; nous le traversâmes au pas de gymnastique sous la grêle des éclats.

Il flottait au-dessus des ruines, comme de toutes les zones dangereuses du secteur, une épaisse odeur de cadavres, car le tir était si violent que personne ne se souciait des morts. On y avait littéralement la mort à ses trousses -et lorsque je perçus, tout en courant, cette exhalaison, j'en fus à peine surpris -elle était accordée au lieu. Du reste, ce fumet lourd et douceâtre n'était pas seulement nauséeux : il suscitait, mêlé aux âcres buées des expiosifs, une exaltation presque visionnaire, telle que seule la présence de la mort toute proche peut la produire.

C'est là, et au fond, de toute la guerre, c'est là seulement que j'observai l'existence d'une sorte d'horreur, étrangère comme une contrée vierge. Ainsi, en ces instants, je ne ressentais pas de crainte, mais une aisance supérieure et presque démoniaque, et aussi de surprenants accès de fou rire, que je n'arrivais pas à contenir.

Combles ne présentait plus, pour autant qu'on pût s'en rendre compte dans l'obscurïté, que le squelette d'une agglomération. De grandes quantités de bois, parmi les ruines, ainsi que des ustensiles de ménage, jetés à travers la rue, dénotaient que la destruction était toute récente. Après avoir franchi de nombreux monceaux de déblais, talonnés par un chapelet de shrapnells, nous parvînmes à nos quartiers : une grande maison, trouée comme une écumoire, que j'élus pour domicile avec trois groupes, tandis que mes deux autres s'installaient dans la cave d'une ruine en face.

Dès quatre heures, nous fûmes tirés de notre couche, faite de bouts de lits assemblés, pour recevoir des casques d'acier. Nous découvrîmes à cette occasion, dans un recoin de cave, un plein sac de grains de café -événement qui eut pour conséquence des préparations passionnées de moka. Ayant déjeuné, je fis le tour du bourg. En quelques jours, l'action de l'artillerie lourde avait transmué un pacifique gîte d'étape en un spectacle d'horreur. Des maisons entières avaient été aplaties ou fendues en deux par un coup de plein fouet, si bien que les cbambres avec leur mobilier pendaient comme des coulisses de théâtre au-dessus du chaos. Un fumet de cadavres sortait de beaucoup de ces décombres, car le premier bombardement avait aussi complètement surpris par sa soudaineté les habitants, et en avait enterré un grand nombre sous les ruines, avant qu'ils n'eussent pu sortir de chez eux. Une petite fille gisait devant un seuil au milieu d'une flaque rouge.

Un endroit violemment bombardé était le parvis de l'église détruite, en face de l'entrée des catacombes, de très anciennes galeries souterraines, avec des niches taillées à coups d'explosifs, où logeaient entassés presque tous les états-majors des unités combattantes. On racontait que les habitants avaient dégagé à coups de pioche, dès le début des bombardements, l'accès muré, qu'ils avalent caché aux Allemands pendant tout le temps de l'occupation.

 

Les rues n'étaient plus que des pistes étroites qui zigzaguaient à travers et par-dessus d'énormes monticules de poutres et de maçonnerie. Les légumes et les fruits pourrissaient dans les jardins retournés par les obus.

Après le déjeuner, que nous avions préparé à la cuisine, sur les vivres de réserve, dont nous avions abondance, et qui se termina comme de juste par un café bien tassé, je m'étendis à l' étage dans un fauteuil pour me reposer. J'appris par les lettres éparpillées sur le sol que la maison appartenait au brasseur Lesage. La chambre contenait des armoires et des commodes éventrées, une table de toilette renversée, une machine à coudre et urne voiture d'enfant. Des tableaux lacérés et des miroirs brisés pendaient aux murs. Sur le plancher, à un mètre d'épaisseur, gisaient en désordre des tiroirs arrachés, du linge, des corsets, des livres, des journaux, des tables de nuit, des tessons, des bouteilles, des cahiers de musique, des pieds de chaise, des jupons, des manteaux, des lampes, des rideaux, des volets, des portes démontées de leurs gonds, des dentelles, des photographies des tableaux, des albums, des caisses fracassées, des chapeaux de femme, des pots de fleurs, du papier de tenture, dans un pêle-mêle inextricable.

Par les volets déchiquetés, on avait vue sur le carré d'une place déserte, labourée par les obus, jonchée des branches de tilleuls fendus. Ce fouillis d'impressions était encore assombri par le tir incessant d'artillerie qui grondait comme la mer autour de la bourgade. Parfois, l'explosion gigantesque d'un obus de 380 dominait de son rugissement tout ce vacarme. Dcs nuées d'éclats balayaient alors Combles, fouettaient les branches des arbres ou pleuvaient sur les rares toits subsistants, en faisant dégringoler les ardoises.

Au cours de l'après-midi, le feu atteignit une intensité telle qu'il ne restait plus que le sentiment d'un tohu-bohu colossal, où s'engloutissait chaque bruit isolé. A partir dc sept heurcs, la place et les maisons voisines reçurent à des intervalles d'une demi-minute des obus de 150. Beaucoup d'entre eux n'éclatèrcnt pas : leur choc bref, énervant, secouait la maison jusqu'à ses fondations. Et pendant tout ce temps, nous restâmes dans notre cave, assis dans des fauteuils recouverts de soie, autour de la table, la tête entre les mains, à compter les intervalles des explosions. Les blagues devinrent de plus en plus rares, et, pour finir, les plus hardis eux mêmes se turent. A huit heures, la maison voisine s'effondra, ayant reçu deux coups en plein; l'écroulement souleva un énorme nuage de poussière.

Entre neuf et dix heures, le feu prit une violence démentielle. La terre vacillait, le ciel semblait une marmite de géants en train de bouillir.

Des centaines de batteries lourdes tonnaient à Combles et tout autour; des obus sans nombre se croisaient, hurlant et miaulant, au-dessus de nous. Tout était enveloppé d'une fumée épaisse, éclairée de lueurs funèbres par des fusées de couleur. Sous l'effet de violentes douleurs dans la tête et les oreilles, nous ne pouvions nous entendre qu'en braillant des mots sans suite. La faculté de penser logiquement et le sens de la pesanteur semblaient paralysés. On était en proie au sentiment de l'inéluctable et du nécessaire, comme devànt la fureur des éléments. Un sous-officier de la troisième section devint fou furieux.

A dix heures, ce carnaval d'enfer s'apaisa peu à peu et se changea en un feu roulant où, à vrai dire, on ne pouvait encore distinguer les coups les uns des autres.

A onze heures, un homme de liaison survint avec l'ordre de rassembler les sections sur le parvis de l'église. Nous nous réunîmes alors aux deux autres sections pour monter en ligne. Une quatrième restait en arrière, sous le commandement du lieutenant Sievers, pour assurer le ravitaillement de la position. Ces hommes nous entourèrent, tandis que nous nous rassemblions, avec de brefs appels, à l'endroit exposé, et nous chargèrent de pain, de tabac et de viande en conserve. Sievers me força d'accepter une ga melle pleine de beurre, me serra la main et nous sohaita bonne chance...

... Le village de Guillemont semblait avoir complètement disparu; seule une tache blanche parmi les entonnoirs signalait encore l'endroit où le calcaire de ses maisons avit été pilé. Devant nous, nous avions la gare, fracassée comme un jouet d'enfant, et plus loin derrière le bois de Delville, haché en copeaux.

 

Je traverse le bourg et fais une tentative de percée sous la pluie jusqu'au monument aux morts. Je n'y voit nulle mention des civils morts pendant les combats. Un passage au cimetière me permet de constater que la majorité des tombes sont postérieures à 1918. Je vais ensuiteà Morval, où je dois apercevoir un bunker, mais je ne vois rien, le temps est trop bouché.

Après avoir traversé le front anglais, j'ai passé la jonction des deux armées et me trouve dans l'ancien secteur de l'armée française. Près de Combles, un cimetière et une chapelle sont parmi les rares éléments qui rappellent que les français aussi ont souffert sur la Somme en 1916, et pas seulement à Verdun. Le village de Rancourt abrite la chapelle du << Souvenir Français >>, elle borde une nécropole qui rassemblent les restes de 8 566 soldats français. La chapelle est femée, et c'est avec un peu de déception que j'entame le tour du cimetière. Près de la chapelle, un local contigu à une maison d'habitation est orné du panneau Acceuil. Je m'approche de l'entrée, le porche me permet de m'abriter un instant de la pluie et dessiner la chapelle. Lorsque je me glisse à l'abri entre les flaques, une lumière s'allume et un carillon retentit, repéré ! Quelques minutes plus tard, une dame vient m'ouvrir, confuse, << avec ce temps je pensais qu'il n'y aurait personne ! >>. Evidemment je ne suis pas venu là en février pour le soleil, comme la plupart de ceux qui entament ce genre de périple. Son mari m'ouvre la chapelle.

Erigé par la famille du Bos, à la mémoire de leur fils tué le 25 septembre 1916 lors de la prise de Rancourt. Les murs rassemblent les épitaphes de soldtas et d'officiers, relatant leurs faits d'armes, et les conditions de leur mort, avec des détails parfois terribles. Ainsi : A la mémoire du commandant pilote Maurice Challe, héroïquement tombé carbonisé dans une chute de combat aérien. Une petite chapelle contigue à la principale est ornée de plaques funéraires. Beaucoup d'entre elles sont originaires du Limousin, et j'y reconnais plusieurs noms de famille, ou de lieux. Le petit local près de la maison semble abriter une exposition sur le front français. Mais le temps que je visite la chapelle, il est à nouveau fermé.

Je me dirige ensuite vers un autre village de l'autre côté de la Somme : Frise.

La Somme ne ressemble pas beaucoup à l'image qu'on peut s'en faire en regardant distraitement une carte à la recherche de son chemin. On peut même la rencontrer sans la reconnaître. Frise est un petit village, reconstruit après la guerre, qui a les pieds dans l'eau. Le fleuve a là plus de point commun avec un marais, qu'avec ce beau trait bleu qui serpente sur la carte. Le village se trouve dans une vallée, bordée d'un côté d'une pente calcaire abrupte, nommée larris.

Les allemands tenaient le front de l'autre côté de la vallée à Curlu et vers l'est. A Frise stationnait parmi d'autres unités de l'armée française, le 3ème Régiment de marche du 1er Etranger, un des 5 régiments créés au début de la guerre pour accueillir près de 43 000 hommes de 52 nationalités désireux de prouver leur attachement à la France. Parmi les soldats venus à pied depuis Paris, un suisse, ami des artistes de l'avant garde, va immortaliser ces mois passés à Frise. Blaise Cendrars, écrivain, poète, bourlingueur, donne une description des hommes et des lieux dans << la main coupée >> qui ne peuvent qu'attirer le lecteur à la découverte de ce petit coin du front.

Voilà comment Blaise Cendrars décrit les << vrais >> légionnaires venus encadrer les engagés volontaires étrangers :

<< Etre un homme. Et découvrir la solitude. Voilà ce que je dois à la Légion et aux vieux lascars d’Afrique, soldats, sous-offs, officiers, qui vinrent nous encadrer et se mêler à nous en camarades, des desperados, les survivants de Dieu sait quelles épopées coloniales, mais qui étaient des hommes, tous. Et cela valait bien la peine de risquer la mort pour les rencontrer, ces damnés, qui sentaient la chiourme et portaient des tatouages. Aucun d’eux ne nous a jamais plaqués et chacun d’eux était prêt à payer de sa personne, pour rien, par gloriole, par ivrognerie, par défi, pour rigoler, pour en mettre un sacré coup, nom de Dieu, et que ça barde, et que ça bande, chacun ayant subi des avatars, un choc en retour, un coups de bambou, ou sous l’emprise de la drogue, de l’alcool, du cafard ou de l’amour avait déjà été rétrogradé une ou deux fois, tous étaient revenus de tout. Pourtant ils étaient durs et leur discipline était de fer. C’était des hommes de métier. Et le métier d’homme de guerre est une chose abominable et plein de cicatrice, comme la poésie >>

Frise ne fait guère mention du passage de l'écrivain, une rue porte son nom, et un panneau explicatif balise le chemin de l'église. Un autre panneau indique la direction d'un lieu-dit servant de titre à un chapitre du livre. C'est assez mince pour faire un itinéraire. Je commence par le lieu-dit nommé la Grenouillère, qu'une route défoncée d'ornières relie au centre du village. La grenouillère est une succession de plans d'eau reliés par des talus, des passerelles. des vannes permettent de contrôler le niveau d'eau. J'y arrive par la route défoncée, et passe sous une barrière, près de laquelle un panneau stipule que le secteur est réservé aux pêcheurs et à leur famille. Touriste, tu n'es pas le bienvenu. L'endroit est cependant désert, et je ne tiens donc pas compte de l'avertissement pour m'aventurer sur les chemins entre les étangs. C'est sans doute d'ici que Blaise Cendrars et quelques compagnons s'aventurèrent dans le lacis des plans d'eau, nuitamment, juchés sur une barque plate, afin d'aller fureter dans le secteur allemand de l'autre côté du méandre de la Somme. Mais mis à part le panneau - titre de propriété - nulle mention du passage de la guerre en ces lieux.

<< Je m'étais emparé d'un bateau et cela donna lieu à un tel échange de notes entre les différents états-majors du secteur et créa une telle émotion que je crus bien que l'affaire allait se terminer par un ultimatum entre la rue Saint-Dominique, dont je dépendais en dernier ressort, et la rue Royale, la Marine, dont l'autorité devait s'étendre même sur la demi-douzaine de bachots qui pourrissaient, amarrés dans un bief, derrière l'église de Frise, et que les shrapnells allemands qui éclataient à toute heure du jour sur le malheureux village taraudaient comme écumoires.

C'est Garnéro qui m'avait signalé ces bachots. -On en fauche un, caporal ? Ça serait bath. J'ai dégotté une réserve d'anguilles. On irait relever les viviers et les nasses et je pourrais vous faire bouffer une matelote tous les jours.

J'aimais assez la petite guerre dans la grande que nous menions dans mon escouade. A ce point de vue Frise était un secteur épatant. Comme nous étions au bout du monde, au terminus des tranchées, au seul point du front où elles étaient interrompues sur une largeur d'une quinzaine de kilomètres par les marais et les méandres de la Somme, nous étions chargés de faire deux fois par nuit une patrouille pour établir la liaison avec le régiment de la biffe qui tenait Curlu sur l'autre rive (après guerre, j'ai appris que Georges Braque, le génial maître du cubisme, était lieutenant dans ce régiment dont j'ai oublié le numéro. Ah, si je l'avais su, je serais allé serrer la main à mon bon ami Braque!...). Cela nous donnait beaucoup d'indépendance. On ne foutait rien dans la journée. On ne montait pas la garde aux créneaux. On n'était d'aucune corvée. On coupait à la routine militaire encore plus pénible à supporter au front qu'à la caserne. On ne dépendait pas de la roulante. Nous avions le privilège de faire notre popote nous-mêmes ( et je vous prie de croire que Garnéro nous soignait! ). Nous touchions double portion de vin et triple ration de rhum. Mais si nous baguenaudions dans la journée et si nous prenions nos aises, la nuit il fallait faire preuve de courage et d'initiative. Cela m'allait, et bien que les patrouilles ne fussent pas toujours drôles, la nuit, sous la pluie, dans les marais, où le risque était grand de perdre pied, de s'enliser dans une fondrière ou de manquer le sentier et de disparaître dans une tourbière, cela était plus excitant que de faire le pied de grue devant un créneau, d'avoir les pieds gelés, de manier la pelle et la pioche, plus souvent que le fusil, ...

... Donc, nous voguions" dans notre bachot, d'abord petitement, entre chien et loup, Garnéro se contentant d'aller à la pointe du jour explorer et relever les nasses et les viviers de la réserve d'anguilles qu'il avait dégottée dans les alentours et il rentrait furtivement, musettes pleines, pour nous apprêter et nous faire bouffer une matelote au vin, à l'heure de la soupe, vers les 10 heures du matin; mais, bientôt, Sawo, qui ne pouvait rester en place et que le caquetage incessant des canards sauvages, des poules d'eau et des sarcelles dans les marais surexcitait et ne pouvait refréner plus longtemps ses instincts de Gitan écumeur et braconnier et à qui la pêche miraculeuse de son camarade faisait envie, se joignit à lui, et la paire d'aminches d'aller chasser au crépuscule, Garnéro au Lebel et Sawo avec un fusil à deux coups qu'il s'était procuré je ne sais comment, et de s'aventurer fort loin et fort tard dans les marais, ne rentrant qu'à la nuit, après une bonne pétarade, chargés de plume, et l'escouade faisait bombance dans la cuisine de Garnéro, que ce démerdard avait installée dans la maison du boucher, une maison isolée, la seule construction de pierre dans notre cité lacustre de La Grenouillère. Mais alors, les joues calées, la panse pleine, le ventre au chaud, les pieds au sec, le pinard regorgeant par les yeux, ayant bu le café, le pousse-café et la rincette, et encore un dernier coup de gniole, les pipes allumées, il nous semblait pénible d'avoir à se lever de table et inique de s'équiper, de s'armer pour partir en patrouille quand venait l'heure de sortir et d'aller patauger dans la nuit et la froidure pour prendre contact de l'autre côté des marais avec le petit poste du régiment de Braque, au diable vauvert, et c'est ce qui me donna l'idée de nous servir de notre bachot pour nous véhiculer et traverser l'étendue d'eau qui séparait Frise de Curlu.

 

 

Il se trouva qu'essayer ce nouveau mode de transport c'était l'adopter, et c'est ainsi que nous nous mîmes à naviguer, poussant au large pour faire nos deux patrouilles de nuit. Mais comme le trajet par eau était beaucoup moins long qu'à pied, par les sentiers, les sentes, les embûches, les détours dans les tourbières, les écluses, les planches, les coulées, les rigoles à franchir, les fondrières à contourner et que nous avions du temps de reste pour arriver à l'heure à Curlu, nous nous mîmes à partir en exploration dans notre nouveau domaine, d'abord dans l'axe général de notre itinéraire, puis du côté des lignes ennemies, où nous poussâmes une fois ou deux des pointes hardies, vers Hem-Monacu, sur la rive gauche, vers Bescourt, sur la rive droite, toujours en direction de Péronne, qui nous attirait...

... Qu'on était bien dans notre bachot ! Il y avait des nuits si belles, si pures, si enchantées que l'on avait envie d'entonner une barcarolle aux étoiles. Mais dès le début Opphopf nous avait mis en garde contre la propagation du son qui porte loin et fait écho sur l'eau. Opphopf manreuvrait le bachot à la perche. Il était à son affaire. C'était un fin batelier, vigilant et méfiant. Il avait passé beaucoup de contrebande en Belgique, sur la Lys et sur l'Escaut, et il n'allait pas à l'aveuglette mais maintenait l'esquif à couvert et dans la zone d'ombre. Mais nous, on ne se souciait de rien. On se laissait porter silencieusement sur l'onde.

On glissait. On se faufilait. On abordait une île et tout le monde sautait à terre pour allumer une pipe. On avait le temps. Ceux de Curlu ne nous attendaient pas encore. Ce n'était pas l'heure. On était en avance. On camouflait la barque avec des roseaux ( un bon truc d'Opphopf ). On allait encore faire un tour. On sortait du couvert des joncs. L'eau miroitait. Le fond plat du bachot écrasait en grinçant des hautes herbes et des touffes dont le chaume s'envolait. On allait se laisser aller au fil de l'eau. Il n'y avait pas de danger. On était seuls, dans toute cette immense étendue. C'était merveilleux. Mais Opphopf était prudent et ne s'y risquait qu'à bon escient. On pouvait avoir confiance en lui. Les Boches étaient à terre. On voyait leurs fusées sur les deux rives. On entendait le crépitement habituel de la fusillade nocturne et les tirs désarticulés des mitrailleuses éparpillées à la ronde.

Comme nous, les oiseaux aquatiques que l'on devinait partout se remuer dans la profondeur des plantes et à es tiges devaient être accoutumés au roulement de la canonnade qui nous arrivait du Nord, de Bapaume, dans un flux de plus en plus furieux au fur et à mesure que les jours, les semaines s'écoulaient et que progressait l'hiver, et qui prenait certaines nuits, surtout les nuits de gel, une telle amplitude, une telle résonance et atteignait un tel paroxysme de violence, d'exaspération qu'on ne l'écoutait plus et que l'on se disait que maintenant le flot était étale, tellement ça cognait, et que la guerre allait finir car les oiseaux aquatiques continuaient leur bavardage et leurs petits cris au nid comme si de rien n'était, et seule l'approche de notre bachot les effarouchait, et c'était alors un envol sous notre nez, un battement d'ailes tapageuses qui nous surprenait chaque fois, un frémissement de choses affolées dans les ténèbres qui nous impressionnait et nous paraissait plus dangereux que les balles perdues qui nous venaient des deux rives, qui sifflaient méchamment, qui tombaient par places dru comme grêle, qui semblaient éclater au contact de l'eau.

A notre insu, ces flâneries nous aguerrissaient. Car il y avait encore pour nous désorienter tout en nous rappelant à l'ordre des effets surprenants de brume et des enroulements et des désenroulements de brouillard sur l'eau, des mouvements et des éclairages de nuages et des apparitions et des disparitions subites de lune dans les déchirures et les coulisses du ciel et de l'onde moirée de reflets et de trous d'ombres mobiles ; et la mise en scène au sol et au niveau de l'eau, arbre mort, touffes nageantes, paquets d'herbes à la dérive, silhouette anthropomorphe d'un saule étêté, remue-ménage dans les roseaux et les joncs, froissements de robes, cimes agitées, signes mystérieux, branches contorsionnées, froufrous de manches dans le vent, bourrasques brusques faisant gesticuler les rameaux et les ramillons et se dérouler les baguettes dont les rares feuilles pendantes, proches, tout proches, se tendaient à nous toucher le visage comme des mains humides aux doigts glacés pour nous alerter, et pour nous faire peur et pour nous tenir malgré nous sur le qui-vive au point de nous couper le souffle, le saut inattendu de quelque bête, gros rat, loutre, dans l'eau, dont nous entendions le gémissement de frayeur, la fuite précipitée dans la fange et dont nous croyions sentir sur notre face l'haleine rauque et enfiévrée d'épouvante animale.

 

 

Nous rentrions souvent drôlement impressionnés par la nature, mais sans jamais perdre la boussole, justement à cause du rôle absurde que nous y tenions. Ainsi nous abordions toujours à quelques centaines de mètres en avant du petit poste de Curlu pour ne pas vendre la mèche de notre navigation nocturne et ne pas donner envIe aux autres de se servir d'un bateau. Nous voulions rester maîtres de notre domaine d'eau. Par très mauvais temps ou nuit de tempête nous abordions directement dans un coin familier, car nous avions des repaires dans les méandres des marais, maintenant que nous en connalssions tous les détours, biefs, canaux, rigoles, courants morbides ou sournois, déversoirs, troppleins, lacs, étangs, eaux-mortes, et allions nous abriter dans une cahute de pecheur ou un affut de chasseur, attendant l'heure de paraître. >>

De retour de la Grenouillère vers le village, j'essaye de deviner où étaient placées les tranchées en relisant quelques passage du livre.

<< Nous étions vernis, secteur " A ", en ce sens que nous occupions l'extrême avancée d'un promontoire entouré sur ses trois faces par des tranchées si étroitement enlacées que les obus ennemis ne pouvaient nous arroser sans risquer d'atteindre les leurs ; mais la quatrième face, le terrain même que j'avais fait évacuer par les miens la nuit précédente, fut labouré pendant toute la journée, et à partir de ce terrain jouxtant, tout le restant des positions occupées par le régiment, légèrement en retrait en deuxième et troisième lignes. Les pertes furent sévères...

... Le secteur que Garnéro nous avait dégotté n'était pas mal du tout. Cela ressemblait un peu à un poste d'équipage à l'avant d'un navire. Il y avait un boyau central assez profond sur lequel s'amorçaient des épis latéraux donnant dans des éléments de tranchées soigneusement faites, cloisonnées et en forme d'encorbellements. Les créneaux munis d'un volet à glissière ressemblaient à des sabords. On y accédait par deux, trois marches à usage de banquette de tir. Mais ce n'est pas une de ces niches surélevées que Garnéro avait prise pour un balcon. Dans l'axe de notre position, au fin bout de ce que j'avais deviné être un éperon et qui se trouva être dans la lumière du jour, en effet, une espèce de butte marneuse, un gros pli de terrain, une bave solidifiée dominant d'une dizaine de mètres la plaine plissée, sillonnée de tranchées crayeuses et de réseaux serrés de barbelés noirs qui nous entouraient de toutes parts, dans l'axe de notre position il y avait un trou d'écubier où l'on descendait par une échelle qui menait réellement à un balcon aménagé à l'avant, balcon astucieusement camouflé et qui servait de poste de guet. Le fortin était couvert de bout en bout avec des rondins et solidement étayé avec des troncs d'arbre. De très profonds abris y étaient aménagés. Je répartis les hommes dans les abris, postai deux guetteurs au balcon, un homme de garde dans le couloir central, deux sentinelles à l'entrée extérieure, assurai les tours de garde et dis à mon monde d'en écraser >>

Il n''y a pas de forme ressemblant à la description directement autour du village, mais en reprenant la route en direction d'Eclusier, en logeant le canal de la Somme, j'aperçois un chemin qui monte le long de la pente calcaire. Je l'emprunte après être passé par un petit portillon. Après quelques dizaines de mètres sur le sentier, le panorama qui s'offre au regard me permet enfin de comprendre ce qu'est un méandre de la Somme. Je n'ai qu'une envie, monter au sommet pour décovrir toute la vallée. Le petit plateau est défriché et cloturé. Une route partant du village y conduit directement. J'y découvre enfin ce que je suis venu chercher ici. Les tranchées sont bien dessinées et certaines sont encore profondes. Elles sont comme je les imaginais, surplombant la vallée et ses marais. Je les parcoure toute, en lisant quelques paragraphes de << la main coupée >>.

 

Blaise Cendrars quitte Frise au début de 1915, pour Tilolloy, puis Vimy. Il prend par à la seconde offensive en Champagne, et gravement blessé le 28 septembre 1915 en assaillant la ferme de Navarrin, perd un bras.

Frise sera prise par les allemands en janvier 1916, après plusieurs tentatives infructueuses en 1915. Le 2 juillet 1916 les français la reprennent, avant de la reperdre et la reprendre définitvement en 1918. Le village aura alors cessé d'exister jusqu'à ce que sa population revienne et le reconstruise.

Malheureusement, le temps est compté et aucune indication ne me mettra sur le chemin du calvaire et du bois de la vache.

 

 

A regret je quitte Frise en direction de Suzanne. C'est dans ce village que Robert Graves termina sa guerre en France :

<< Le cantonnement de réserve affecté aux troupes stationnées dans le secteur de tranchées de Bouchavesnes se trouvait à Suzanne; il ne s'agissait pas d'un cantonnement véritable, mais d'abris et de casemates. Suzanne n'était plus, lui aussi, qu'un amas de ruines. Depuis celui de 1894-1895 on n'avait jamais connu d'hiver aussi dur. Les soldats disputaient des matchs de football inter-compagnies sur la rivière qui était maintenant gelée sur une profondeur de soixante centimètres. Je me souviens d'un repas que j'y pris dans un abri : de la ratatouille et des tomates en conserve que l'on nous servit dans des gamelles d'aluminium. La nourriture arriva brûlante de la cuisine qui se trouvait tout à côté mais nous n'eûmes pas le temps de finir de manger que déjà les rebords de nos assiettes se couvraient de glace. On ne pouvait dans toute cette région voir un seul civil français, une seule maison qui n'eût été atteinte par un obus: il ne restait plus une seule trace de culture. Les seuls êtres vivants que nous apercevions en dehors des soldats, des chevaux et des mules, étaient des poules d'eau et des canards qui, très peu nombreux, barbotaient au milieu de la rivière, unique endroit que les glaces n ' avaient point pris. La ration de fourrage accordée aux chevaux, dont beaucoup étaient malades, avait été ramenée à trois livres par jour: les animaux devaient en plus manger en plein air.

Je n'ai conservé aucune note sur cette période, mais en moi survit le souvenir des misères que nous y supportâmes. >>

Le village suivant se nomme Cappy. Je l'ai cité au début de ce compte rendu. C'est d'ici que le pilote de chasse le plus connu au monde décolla en compagnie des pilotes visité jeudi. Manfred Von Richthofen a 25 ans lorsqu'il arrive à Cappy le 12 avril 1918. Les armées allemandes ont repris l'offensive depuis une vingtaine de jours, c'est l'opération << Michael >>. Ils ont percé le front britannique et reconquis tout le terrain gagné par les alliés en 1916, puis dépassé << the old front line >> de 1916 en se dirigeant vers Amiens. Bloqués le 5 avril devant Villers Bretonneux par l'infanterie australienne, l'offensive s'enlise, puis reprend dans un autre secteur le 9.

Le 7 avril Manfred von Richthofen abat sa 78ème victime homologuée, il est l'as des as, tous pays confondus. Ce jeune pilote de chasse commande alors une escadre, la Jagdgeschwader Nr 1, composée de 4 Jastas ou escadrilles de chasse de 12 pilotes. C'est un vétéran de l'aviation de chasse pour ne pas dire un survivant. Sa première victoire date de mi septembre 1915, mais n'est pas homologuée. Extrait du <<Corsaire Rouge >> de Manfred von Richthofen

<< MON PREMIER, COMBAT AÉRIEN (1er septembre 1915)

Nous cherchions la bataille, Zeumer et moi. Nous partions avec notre grand avion de combat et rien que ce nom nous donnait l'assurance que l'adversaire ne pourrait nous échapper. Nous volions cinq heures par jour sans jamais rencontrer un Anglais. Nous étions déjà tout découragés lorsque, parti un matin en chasse, je vis tout à coup un Farman faisant tranquillement sa reconnaissance. Le coeur me battait lorsque Zeumer vola dans sa direction. J'étais anxieux de savoir ce qui allait se passer. Je n'avais jamais participé à un combat aérien et n'avais qu'une vague idée de ce que celà pouvait être.

Avant que je puisse m'en douter, nous avions filé à côté l'un de l'autre, l'Anglais et moi. Je tirai quatre fois tout au plus, tandis que l'adversaire me canardait par derrière tant qu'il pouvait. Je ne me figurais pas du tout ce que serait le résultat final de ce combat et n'avais par conséquent pas le sentiment du danger. Nous tournâmes à plusieurs reprises l'un autour de l'autre, quand finalement l'Anglais, à notre grande surprise, fit demi-tour et partit. J'étais désillusionné et mon pilote également.

Nous étions tous deux de très mauvaise humeur en rentrant. Zeumer me reprochait d'avoir mal tiré, je lui retorquai qu'il avait mal guidé l'avion et ne m'avait pas permis de bien placer mes coups, en un mot, notre collaboration, jusqu'alors si parfaite, subit brusquement un à-coup.

En examinant notre avion nous pûmes constater qu'il avait reçu un nombre rspectacle de projectiles.

Le jour même nous repartions pour un deuxième vol de chasse qui, lui aussi, ne donna aucun résultat, J'étais navré, car je me figurais qu'il en était tout autrement dans les escadrilles de chasse, Je ne me rendais pas compte qu'un avion supporte pas mal de coups et pensais que, du moment que je tirais l'adversaire devait tomber, or il n'en était rien, je n'en descendis pas un seul.

Nous ne manquions pas de courage. Zeumer savait voler comme pas un, et j'étais un tireur très acceptable. Nous étions devant une énigme. Je n'étais pas le seul à me casser la tête. Actuellement encore beaucoup d'autres sont dans notre cas. La question mérite vraiment d'être approfondie.

LA BATAILLE DE CHAMPAGNE

Le beau temps d'Ostende fut court; bientôt la bataille de Champagne éclata et nous dûmes partir de ce côté pour y participer avec notre appareil. Si grand que fût notre coucou, nous avions remarqué qu'il ne serait jamais un avion de combat.

Je volai un jour avec Osteroth, qui avait un avion Un peu plus petit que notre barcasse ( le grand avion de combat ). A cinq kilomètres du front on rencontra un Farman, il nous laissa approcher et je vis pour la première fois dans l'air un adversaire de près. Osteroth passa avec beaucoup d'adresse à côté de lui de manière à ce que je pusse le prendre facilemcnt sous mon feu. Il ne semblait pas nous avoir remarqués et j'eus mon premier enr'ayage avant qu'il n'eût commencé à tirer. Je venais d'épuiser mon chargeur de cent coups, lorsque l'adversaire se mit à descendre en spirales d'une façon bizarre. Je n'en croyais pas mes yeux. Je le suivis pendant quelque temps et donnai une tape sur la tête d'Osteroth en lui disant: " Il tombe, il tombe ", et il s'enfonça en effet dans un grand entonnoir, la tête la première. Je déterminai sa position sur la carte, il était à cinq kilomètres du front actuel. Nous l'avions abattu de l'autre côté et, dans ce temps-là, les avions qui tombaient au delà du front n'étaient pas comptés à l'aviateur, sans quoi j'en aurais eu un de plus sur ma liste. Mais j'étais très fier de mon succès, et qu'un avion vous soit compté ou non, l'essentiel était qu'il fût par terre. >>

Il décide d'apprendre à piloter pour chasser seul fin 1915. En avril il participe à la bataille de Verdun et abat un nieuport le 26 au dessus de Fleury, toujours non-homolgué.

 

<< MON PREMIER ANGLAIS (17 septembre 1916)

Nous étions sur le champ de tir et l'un après l'autre nous tirions avec notre mitrailleuse, chacun dans la position qui lui paraissait la plus favorable. Nous avions touché la veille nos nouveaux appareils et Boelcke voulait voler avec nous le lendemain. Nous n'étions tous que des commençants et aucun n'avait encore remporté le moindre succès. Tout ce que Boelcke disaif était pour nous parole d'évangile. Nous savions que chaque jour il avait abattu un Anglais, et parfois deux.

La journée du lendemain 17 septembre était splendide. On devait s'attendre de la part des aviateurs anglais à de nombreux vols. Avant de partir, Boelcke nous donna encore quelques instructions précises et pour la première fois nous volâmes en escadrille sous la conduite du célèbre aviateur, en nous confiant aveuglément à sa direction.

A peine arrivés sur notre front, nous reconnûmes une escadrille ennemie, qui se trouvait sur nos lignes, elle volait en direction de Cambrai, et nous avait été signalée par les éclatements du tir de nos canons contre-avions. Boelcke la remarqua le premier, parce qu'il y voyait mieux que les autres. Nous eûmes bientôt compris la manoeuvre, et chacun s'efforçait de suivre Boelcke à coourte distance. Nous nous rendions compte que nous allions faire nos preuves sous les yeux de notre chef. On approchait lentement de l'escadrille, mais elle ne pouvait plus nous échapper. Nous étions arrivés à nous placer entre l'adversaire et le front, de manière à ce qu'il ne pût s'en retourner sans passer devant nous. On pouvait compter les appareils ennemis, il y en avait sept. Nous étions cinq. Les Anglais avaient tous de gros avions de bombardement à deux places. Encore quelques secondes, et la bataille allait commencer. Boelcke était déjà tout près de tomber sur le poil du premier, rnais ne tirait pas encore. J'étais le second, et mes camarades suivaient à courte distance. L'Anglais qui se trouvait le plus rapproché de moi avait un gros appareil de couleur foncée. Je ne réfléchis pas longtemps et le pris pour objectif. Il tira, je tirai et tous deux sans résultat. Ma tactique consistait à le prendre à revers, car je ne pouvais pas faire feu comme mon adversaire dans toutes les directions, mais seulement droit devant moi. Ce n'était pas un débutant, il savait bien que sa dernière heure serait arrivée si je pouvais passer derrière lui. Je n'avais pas encore la certitude de pouvoir dire comme maintenant: " Celui-là je l'aurai ", mais au contraire je pensais : tombera-t-il ? et cela fait une différence. Au bout de la première, deuxième ou troisième victoire, on a la compréhension de ce qu'il faut faire.

Mon Auglais allait, venait, tournait autour de moi, croisant ,souvent ma route. Je ne songeais pas assez aux autres Anglais de l'escadre qui auraient pu venir au secours de leur camarade attaqué. Je n'avais qu'une pensée: " Arrive ce qui pourra, celui-Ià doit tomber ".Il se présente enfin une circonstance favorable. L'adversaire s'éloigne droit devant lui, il m'a sans doute perdu de vue. En moins d'une seconde, je suis à ses trousses avec mon excellent appareil. Quelques coups de ma mitrailleuse à si courte distance que je craignis un abordage, et voilà l'hélice de mon adversaire arrêtée. J'ai bien visé, le moteur doit être criblé de balles, l'ennemi ne peut plus atteindre son front et doit atterrir chez nous. L'appareil se met à osciller, le pilote doit avoir quelque chose, l'observateur ne se laisse plus voir et sa mitrailleuse pointe librement vers le ciel. Je dois l'avoir touché également, il est sans doute couché au fond de la carlingue. L'Anglais atterrit n'importe comment à côté du terrain d'une escadrille que je connaissais. J'étais si ému, que je ne pus me dispenser d'atterrir à mon tour, et, dans ma hâte, faillis piquer une tête avec mon appareil. Celui de l'Anglais était à côté du mien. Je courus; une masse de soldats entouraient l'adversaire. J'avais deviné juste. Le moteur était criblé de balles et les occupants grièvement blessés. L'observateur mourut aussitôt, le pilote pedant le transport à l'hôpital de campagne le plus proche. Je plaçai une pierre sur la tombe de mes adversaires, tués en loyal combat. Lorsque je revins chez nous, Boelcke déjeunait avec les autres et s'étonna de mon retard. Je lui annonçai tout fier pour la première fois : " J'ai descendu un Anglais. " Je n'étais pas le seul. Outre Boelcke, les autres débutants avaient chacun remporté leur première victoire. Depuis ce jour, aucune escadrille anglaise ne se risqua plus sur Cambrai aussi longtemps que Boelcke fut là avec son escadrille de chasse. >>

Deux jours plus tôt Georges Guynemer l'as des as français a abattu son seizième avion. Huit jours plus tôt James McCudden, futur as anglais son premier homologué.

La carrière de pilote de chasse de Manfred von Richthofen, après quelques essais de biplace et de monoplace, commence lorsqu'il est recruté par Oswald Boelke à la Jasta 2 en aout 1916. Il vole sur Albatros D II, et apprend rapidement le métier enseigné par son mentor. Il prend la tête de la Jasta 11 en janvier 1917, unité au score vierge basée près de Douai. Il compte alors 16 victoires, ce qui à l'époque n'était pas rien.

Mars et avril, << the bloody april >> voit son score augmenter terriblement. Il combat alors sur le front anglais. Ceux ci préparent puis lancent leur offensive sur Arras alors que les français attaquent en même temps au Chemin des Dames. Le Royal Flying Corps vole sur des avions inférieurs aux avions allemands, et subit alors des pertes énormes. Sur les 21 victoires remportées par Manfred von Richthofen en avril 1917, 16 sont des biplaces d'observation ou de bombardement. En juin il commande la nouvelle Jagdgeschwader Nr 1.

Septembre 1916 Octobre Novembre Décembre Janvier 1917 Février 1917 Mars 1917 Avril 1917 Mai 1917 Juin 1917 Juillet 1917 Aout 1917
3
3
5
4
3
3
10
21
0
4
1
2
Septembre 1917 Octobre 1917 Novembre 1917 Décembre 1917 Janvier 1918 Février 1918 Mars 1918 Avril 1918  
2
0
2
0
0
0
11
6

Le 6 juillet il échappe de peu à la mort :

<< J'entrepris le 6 juillet 1917 par une journée splendide, un vol de chasse avec mon escadrille. Nous nous étions promenés, entre Ypres et Armentières, pendant un bon moment sans avoir eu la possibilité d'engager un véritable combat.

Je vis tout à coup apparaître une escadrille de l'autre côté du front, et devinai aussitôt que les frères voulaient traverser nos lignes. Ils vinrent en effet, mais firent demi--tour en nous apercevant. Je pensais déjà que l'ennemi nous boudait. Aussi j'usai de ruse, et me retirai, tout en observant attentivement l'escadrille ennemie, et, peu de temps après, je la vis voler en direction de notre front. Nous avions vent d'est, c'est-à-dire défavorable pour nous. Après les avoir laissés pénétrer de notre côté sur une distance suffisante, je leur coupai le chemin du retour au front. Nous avions de nouveau affaire à nos chers amis, les grands Vickers. C'est un modèle d'avion anglais avec fuselage quadrillé; l'observateur se trouve devant.

Nous eûmes de la peine à rattraper les appareils rapides de nos adversaires, mais nous étions montés très haut, et la chose nous fut plus facile.

Pendant un bon bout de temps j'eus le dernier des avions ennemis si près de moi que je pus étudier à loisir la façon de l'attaquer. Wolff volait au-dessous; je reconnaissais, au tac-tac de sa mitrailleuse allemande, qu'il combattait déjà. Mon adversaire fit demi-tour et engagea le combat à grande distance. Je n'avais pas encore armé ma mitrailleuse que déjà l'observateur ennemi, sans doute nerveux, se mit à tirer. Je le laissai faire, car à trois cents mètres et au delà, le meilleur tireur ne peut obtenir aucun résultat. Il se dirigeait sur moi, j'espérais le joindre par derrière au bout de son premier cycle, et lui ,décocher quelques projectiles. Mais ne voilà-t-il pas que je ressentis tout à coup une violente commotion à la tête! j'étais touché! Pendant un instant je fus complètement paralysé. Bras et jambes pendaient sans force. Le coup avait affecté le nerf optique et, perspective terrible, j'étais aveugle. La machine s'abattit, et une réflexion rapide traversa mon cerveau : je tombe, et dans quelques instants je serai mort. Je craignais à tout moment que les ailes ne se détachent dans la chute.

J'étais seul dans ma caisse, mais n'avais pas perdu connaissance. Bientôt je retrouvai l'usage de mes bras et de mes jambes et pus saisir le gouvernail, couper auto-matiquement les gaz et l'allumage.

Mais tout cela était inutile, les yeux étaient atteints, les lunettes tombées, je ne voyais rien et ne distinguais même pas le soleil. Les secondes me paraissaient des siècles. Je tombais toujours. La machine s'était redressée par sursauts, mais retombait de nouveau. Au début, j'étais à environ quatre mille mètres. Rassemblant toute mon énergie je me dis: " Il faut que tu voies ". Et tout à coup je pus distinguer devant moi des parties noires et blanches. La vue me revenait. Je regardai le soleil en face sans éprouver la moindre douleur ou en être ébloui. Je ne le voyais que comme à travers des lunettes noires très épaisses, mais cela me suffisait.

Mon premier coup d'oeil fut pour mon altimètre. Il indiquait huit cents mètres. Je n'avais aucune idée de l'endroit où je me trouvais. Je ressaisis la direction de la machine, lu remis en marche normale, et continuai la descente en vol plané ! Au-dessous de moi le terrain était couvert de trous d'obus. Une grande étendue de forêt me permit de constater, à ma grande joie, que je me trouvais de notre côté des lignes, à une assez grande distance. Si l'Anglais m'avait poursuivi, il aurait pu m'abattre sans difficulté. J'avais été, Dieu merci, protégé par mes camarades, qui, au premier moment, ne s'étaient pas expliqué ma chute.

Au commencement, je voulais atterrir de suite; par crainte d'un évanouissement; je descendis à cinquante mètres, mais les nombreux entonnoirs ne laissaient aucune place pour un atterrissage. Je rendis les gaz et volai assez bas en direction de l'est, aussi longtemps que je pus. Au début, cela n'allait pas mal, mais au bout de quelques secondes, mes forces m'abandonnèrent et petit à petit j'eus un voile noir devant les yeux. Il était temps. J'atterris sans casse, en emportant quelques poteaux et fils téléphoniques, mais à ce moment-là on ne s'en soucie guère. J'eus encore la force de me lever et voulus descendre, mais je tombai, et, ne pouvant plus me relever, je restai étendu.

Des gens avaient observé le combat et reconnu, à ma machine rouge, qu'il s'agissait de moi; ils accoururent tout de suite. Les soldats me bandèrent la tête avec leurs pansements individuels; je ne me rappelle plus que vaguement le reste. Je n'avais pas complètement perdu connaissance, mais me trouvais dans un état vague. Je m'étais couché justement sur un chardon, et me souviens que je n'eus pas la force de quitter cette position, à la longue très pénible.

J'avais atterri près d'une route, de sorte que, peu de temps après, une voiture d'ambulance automobile était là; je fus embarqué, et quelques heures après j'arrivai à Courtrai, dans un hôpital du front. Les médecins étaient prêts et se mirent à l'oeuvre. J'avais un beau trou à la tête, une blessure d'environ dix centimètres de longueur, qu'on put réduire plus tard. A un endroit, l'os était à nu de la grandeur d'un thaler. Ma dure caboche de Richthofen avait tenu le coup et n'avait pas autrement souffert. Avec un peu d'imagination, on put constater sur la radioscopie une légère dépression. J'ai eu pendant plusieurs jours des bourdonnements d'oreilles désagréables. On répandit le bruit chez moi que j'étais à l'hôpital, avec grave blessure à la tête et au ventre, mais que je ne m'en portais pas plus mal. J'étais curieux de savoir qui, de mon frère ou de moi, pourrait le premier regrimper dans sa caisse. Chacun craignait que ce fût l'autre. >>

Ce même jour Hans Joachim Wolff rejoint la Jasta 11. Le vainqueur est le lieutenant Woodbrige, mitrailleur-observateur du Fe2b piloté par le capitaine Cunnell, von Richthofen est la 8éme victoire homologuée à l'équipage. Cunnel en obtiendra une de plus avant de mourir aux commandes de son biplace 5 jours plus tard. Von Richthofen revient à son unité le 20 juillet. Le 16 aout il renoue avec la victoire au combat :

<< Environs de 19h55. En compagnie de 4 avions de la Jasta 11, je poursuis une petite escadrille de Nieuport. Après une longue poursuite, j'attaque un des ennemis, et après un court combat, je touche son moteur et son réservoir. L' avion part en vrille. Je le poursuis immédiatement jusqu'au sol. J'ai ainsi j'ai une chance supplémentaire de tirer, l'avion s'écrase au sud ouest de la forêt de Houthulst. Comme je l'ai suivi à une distance de 50 mètres, je me trouve dans un nuage d'essence, et je suis pendant un bref moment malade. >>

Le sous lieutenant Williams, 19 ans, décèdera de ses blessures six jours plus tard. Il venait à peine d'arriver au 29 Squadron et comptait moins d'un cinquantaine d'heures de vol. Le 1er septembre von Richthofen décolle aux commande d'un triplan Fokker pour le premier combat sur ce type de machine. Avec 4 pilotes de la Jasta 11 il patrouille au dessus de Zonnebeke et croise un biplace RE8 du 34 Squadron. Il attaque et fusille les occupants de la machine anglaise, blessant le pilote et tuant le mitrailleur. Celui ci se nomme Walter Kember, il a sans doute pris le triplan allemand aperçu pour la première fois, pour un triplan anglais, seul avion de ce type jusqu'alors. Walter Kember n'avait rejoint son Squadron que quelques jours auparavant. Le Fokker Dr I est souvent associé au << Baron Rouge >> bien qu'il n'ai obtenu qu'un quart de ses victoires à ses commandes.

L'automne et l'hiver passent sans beaucoup de combats. Le printemps 1918 venu, les allemands lancent l'offensive qui doit leur permettre de gagner la guerre. La Jagdgeschwader Nr I est aux premières loges. Von Richthofen dirige ses pilotes au combat et engrenge les victoires comme en mars 1917. Il vole généralement avec la Jasta 11 et pilote un Dr I rouge. Cette couleur voyante fait partie des multiples couleurs arborées par chaque avion. Ce n'est pas à l'époque quelque chose d'extraordinaire. Cela permet de repérer rapidement les amis pendant le combat, et aussi d'être repéré par les observateurs au sol qui suivent souvent les combats, et dont le témoignage est utile à l'homologation. Il est donc compréhensible que von Richthofen avide de victoires fasse en sorte que son avion soit facile à voir. L'avance foudroyante des armées allemandes oblige la Jagdgeschwader à changer de terrain régulièrement, récupérant parfois des anciens aérodromes anglais. Le 12 avril Manfred von Richthofen se pose à Cappy.

Le même jour Robert Eiserbeck est abattu près d'Albert, jeudi j'étais près de sa tombe. Les jours suivants l'escadre s'installe et le temps est peu engageant, un ordre de nouveau changement de secteur est annulé au dernier moment. Le 20 avril, les combats reprennent. En fin d'après midi l'escadre tombe sur une patrouille du 3 Squadron, près de Villers-Bretonneux. En trois minutes von Richthofen abat deux anglais, le major Raymond-Baker qui est tué, et le lieutenant Lewis qui est fait prisonnier.

80 victoires. Deux fois le nombre de Boelke. Beaucoup pensent qu'il est temps pour lui de s'arrêter, de prendre du repos. Sa blessure du mois de juillet, lui cause de douloureuses migraines. On lui a déjà proposé de mettre un terme à sa carrière opérationnelle, de prendre les reponsabliltés d'inspecteur de l'aviation de chasse; on a peur de perdre le héros magnifié par la propoagande, comme on a perdu Boelke et Immelman. Mais Manfred von Richthofen a refusé, et ce n'est pas en pleine offensive qu'il va changer d'avis. Il a accepté cependant de prendre une permission et doit quitter le front dans quelques jours en compagnie de Hans Joachim Wolff pour aller chasser en Forêt Noire, à l'invitation du père du fameux Werner Voss. Le 21 au matin, il semble de très bonne humeur. Les ordres du jour sont de dégager le ciel au dessus du Hamel pour permettre aux avions d'observation de détecter l'artillerie australienne. Vers 10h30 la Jasta 11 prend l'air. Un patrouille anglaise a été aperçue. La Jasta se divise en deux groupes de six, l'un mené par von Richthofen avec notamment Scholz et Wolff, l'autre par Hans Weiss. Deux avions d'observation anglais sont pris en chasse. Soudain une escadrille de chasseurs, le 209 Squadron, vient à la rescousse, la mêlée s'engage. Les deux chefs, l'anglais Roy Brown et l'allemand se tiennent en respect prèts à porter secours à leurs pilotes. Un britanique sort du paquet et s'éloigne vers l'ouest. Aussitôt von Richthofen a senti la victoire possible. Il plonge et le prend en chasse. Roy Brown n'a rien perdu de la scène et se porte à la rescousse de son pilote. Les trois avions se suivent en tiraillant pour les deux derniers quelques dizaines de mètres au dessus de la Somme. Pendant ce temps Hans joachim Wolff voit son chef s'éloigner, puis pris dans le combat le perd de vue. La poursuite continue jusqu'à Vaux sur Somme, l'avion britannique oblique vers la crête de Morlancourt. Von Richthofen réalise alors qu'il vole bas au dessus du territoire adverse, une situation dangereuse. Au dessus d'un champ bordé par une briqueterie il vire vers ses lignes. Au sol des mitrailleurs australiens voient arriver l'avion ami suivi du triplan rouge. Le sergent mitrailleur Popkin ouvre le feu sur le triplan avec d'autres mitrailleurs, le voit faire une embardée, puis descendre rapidement et se poser lourdement. Les soldats se précipitent pour capturer le pilote allemand, mais lorsqu'ils arrivent à l'avion ils assistent à son dernier souffle. Ils comprennent alors rapidement qui est celui qu'ils viennent d'abattre.

Pendant ce temps la Jasta 11 a rejoint Cappy, et la première question posée est << Où est Richthofen ? >>. L'attente commence.

Au 209 Squadron, Brown et May, le poursuivant et le poursuivi sont rentrés à leur terrain de Bertangle, au nord d'Amiens. Ils repartent en voiture confirmer la victoire que Brown revendique.

Les soldats australiens de la 3ème division du secteur de la crête de Morlancourt ont tiré l'avion hors de la vue des observateurs allemands, puis ont entouré le Fokker, et chacun emporte un morceau en souvenir. Le corps de von Richtofen est déposé sur une tôle ondulée. On découvre qu'une seule balle l'a touché mortellement, pénétrant dans le côté droit, lui traversant le corps en touchant le coeur, puis freinée, ressortant par la poitrine pour rester dans sa combinaison de vol. Son corps est ramené à Bertangle au 3 Squadron Australian Flying Corps.. Le lendemain des funérailles sont organisées et les honneurs militaires lui sont rendus.

A Cappy je passe près du château où aurait résidé le commandant de la Jagdgeschwader Nr 1, mais celà n'est indiqué dans aucun document, il est donc possible qu'il ait dormi sa dernière nuit dans les baraquements près des avions. Le terrain de Cappy se trouve au dessus de la vallée de la Somme à l'extérieur du village. Cest un grand terrain en lègère pente bordé par la route et par une voie ferrée. De ce terrain le barron Rouge s'envola vers 10h30 le 21 avril 1918.

Je reprends mon chemin et me dirige à présent vers le lieu de la fin de ce vol de guerre.

 

Le terrain de Cappy

SUITE DU SAMEDI

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