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SAMEDI 24 FÉVRIER ( suite )

 

En sortant du musée franco-australien je prends la direction d'un autre village mythique pour tous ceux que l'histoire de l'aviation passionne. Le nom de ce village est étonnement proche de celui de Cappy. Il se nomme Cachy. En 1918 les allemands n'allèrent pas plus loin que Cachy, mais ce n'est pas les combats de 1918 qui m'amènent là. Nous revenons à la bataille de 1916, la bataille aérienne plus précisément.

1915 fut l'année où les prémisses de l'aviation de combat firent de tranquilles croisières à photographier les lignes adverses de dangereuses patrouilles, pendant lesquelles la mort peut surgir du coin d'un nuage. On se tue de près, de très près, à la carabine, à la mitrailleuse. Le pilote amène sa machine au plus proche de son ennemi, son passager le fusille. On met au point des armes de plus en plus efficaces. A ce jeu mortel les allemands font un temps la course en tête sur leur Fokker EIII armé d'une mitrailleuse qui tire dans le champ de l'hélice. L'avion est devenu une mitrailleuse volante que le pilote pointe vers son adversaire. Les français et les anglais réagissent et leurs pilotes rétablissent l'équilibre aux commandes des BB Nieuport et DeHavilland 2. Une nouvelle sorte de combattant vient de naître, que la propagande va porter aussitôt aux nues : le pilote de chasse. Parmi ces soldats volants, anciens fantassins, dragons, chasseurs, ou simples engagés, figure un garçon à la figure d'adolescent. Son nom va rapidement devenir connu de toute la France, et les récits enjolivés de ses combats rempliront les colonnes des gazettes. Georges Guynemer a 21 ans en juillet 1915 lorsqu' il pilote le MoraneSaulnier depuis lequel son passager Charles Guerder mitraille le passager et le pilote d'un Aviatik d'observation. L'avion s'écrase dans les lignes françaises. C'est sa première victoire homologuée et la huitième de l'aviation de combat française naissante; beaucoup suivront. Fin 1915 son score n'est pourtant que de 4 victoires.

1916, année de Verdun et de la Somme va voir l'aviation de chasse devenir une véritable arme indispensable aux généraux. Les escadrilles s'assemblent en groupes, des méthodes sont formalisées, les combats aériens deviennent des combats à mort entre des escadrilles entières. Parmi les pilotes de chasse émergent des tueurs. Georges Guynemer est un tueur. Il sait foncer sur l'avion ennemi, s'en approcher au plus près, et tuer le passager du biplace et le pilote de quelques balles. S'il a raté sa première attaque il y revient encore et encore jusqu'à ce que << couic >>. Il n'a pas de compassion pour ses victimes; au plus éprouve-t-il de l'horreur devant un passager éjecté vivant de l'avion en perdition. C'est un guerrier, un tueur, à une époque où tuer vite et bien est exigé, récompensé .

Lorsqu'il arrive à Cachy en Juin 1916, il compte déjà 9 victoires. Il fait partie du groupe des << Cigognes >> composé de 4 escadrilles. Elles sont basées au nord du village contre le bois aux prètres. Georges Guynemer va remporter entre le 16 juillet 1916 et le 26 janvier 1917 21 victoires supplémentaires, plus 13 << douteuses >> non-homologuées. Ce sont en majorité des avions biplaces.

Voici la description que fit Jules Roy du village de Cachy dans sa biographie intitulée << Guynemer >> :

 

<< Entre la route de Saint-Quentin et la route de Noyon, toutes deux plates, raides et longues comme la justice, Cachy est un village comme toutes les taupinières de la Somme, du Valois, de l'Argonne. Un clocher, une école, une mairie, des fermes, une place, un café-tabac, des charrois, des chevaux, des vaches, du lait, pas toujours un curé, et des soldats, des soldats partout. Cachy c'est déjà le nord de la Picardie, la mairie ressemble à une gare de banlieue avec, sur une plaque de marbre, la citation de la commune à l'ordre de l'armée en 1918. "Calme, dignité incomparable. " Parce qu'elle s'est trouvée un moment sur la ligne de bataille, l'église a été détruite. Il y avait deux cent trente habitants en 1914; le terrain d'aviation, superbe, était au nord, contre un bois; de là, on voit tous les clochers alentour, et pas très loin, au nord-est, le gros bourg de Villers-Bretonneux.

Soixante-dix ans après, Cachy n'a pas changé. C'est mort. Un vrai cimetière. Droit chez Mme Cailloin, quatre-vingt-deux ans, toujours vaillante. Elle s'appelle Emma, elle avait douze ans, Védrines était là, elle se souvient de lui et de Guynemer, ils étaient si beaux, Guynemer venait chercher son lait avec un petit chien qui s'appelait Mimi. " Oh! il y a tellement d'endroits où il en a descendu, tellement! " Elle n'allait pas y voir, sa mère le lui défendait. Je lui demande s'il allait encore chez lui, à Compiègne, d'ici ? " Il était bien trop occupé, et pas tellement des femmes. Des avions. Il en voulait un spécial, il ne pensait qu'à ça... "

Plat comme la main, le pays, coupé de petits bois, couvert de moissons et de betteraves, avec parfois une douce ondulation, comme si les terres avaient besoin de bouger pour respirer . L'autoroute du Nord passe près de Roye et de ses beaux clochers de pierre. Ici, on fabrique le sucre de toute la France. Il y a aux coins des maisons des buissons d'églantine rose. >>

 

Le village est minuscule, et rien ne semble rappeler que c'est ici aussi que l'aviation de combat française a conquis le respect de ses adversaires. Les alentours du villages sont vides et plats, le terrain d'aviation se trouvait de l'autre côté de l'autoroute du nord que l'on traverse en arrivant.

La journée s'approche de son terme. Je retourne vers Albert. Peu avant Villers-Bretonneux je fais une halte dans une légère dépression. Un panneau au bord de la route rappelle que c'est ici que se déroula le premier combat de chars contre d'autres chars le 24 avril 1918. Voici le récit de ce combat rapporté par Yves Buffetaux dans << Mars-Juin 1918, échec à Ludendorff >>

 

 

<< Le 24 avril 1918, les Allemands, à l'aide de 12 de leurs lourds chars A 7V , percent le front britannique dans le secteur de Villers-Bretonneux. Nous reprenons ici le témoignage du lieutenant Mitchell, commandant du tank Mark IV male, qui remporta la première victoire d'un char sur un autre char. Notons une fois encore que, dans les minutes qui suivirent, un Sturmpanzerwagen A 7V détruisit deux tanks légers Whippet. Mais il n'existe aucun détail du combat et nombre d'auteurs ont tout simplement passé sous silence ce second affrontement. Voici donc le témoignage du lieutenant Mitchell, de la 1ère section de la A Company, du First Tank Battalion, natif de Guernesey dans les îles anglo-normandes. Le matin du 24 avril, après un terrible bombardement, il reçoit l'ordre de quitter Bois l' Abbé pour se porter vers le sud-est, vers l'ennemi :

" Le bois étant encore rempli de gaz, nous portons nos masques. Au moment du démarrage du moteur, un troisième homme de mon équipage s'effondre et je dois le laisser derrière nous, adossé à un tronc d'arbre. Un homme est prêté par un des tanks femelles, ce qui porte l'équipage, moi compris, à six au lieu de huit. Mes premier et deuxième conducteur étant hors de combat, le tank est piloté par le troisième conducteur, dont la seule expérience de la conduite se limite à un cours de deux semaines au Tréport ".

" Nous nous ébranlons à 8 h 45 et, rapidement, nous ôtons nos masques à gaz. Après avoir zigzagué sans dommage à travers un très dur barrage, nous atteignons la ligne de contact vers 9 h 30. Un fantassin bondit soudain de la tranchée devant mon tank, en agitant frénétiquement son fusil. Je ralentis et ouvre mon panneau. " Attention, il y a des chars allemands dans le coin " crie-t-il, c'est la première indication selon laquelle les Allemands utilisaient des tanks. En observant l'horizon, j'aperçois trois objets aux contours étranges s'avançant vers les abords orientaux de Cachy l'un d'entre eux à 400 mètres environ, les deux autres beaucoup plus loin vers le sud. Derrière les chars, l'infanterie avançe en masse ". " A cet instant, le capitaine Brown (le chef de la section), quitte mon tank, sans doute pour prévenir les chars femelles. Tournant à droite, j'avance vers Cachy en passant entre les petites tranchées qui formaient la ligne de contact. Je progresse plus ou moins parallèlement au char allemand le plus proche et mon cannonier de gauche commence à le viser. Les premiers coups partent au loin, mais bientôt, ils se font plus précis. Apparemment, le char allemand ne réplique pas. Il y a encore du brouillard au-dessus de nous, mais la vue est bien dégagée au sol et je peux me servir de la mitrailleuse Lewis de tête contre l'infanterie allemande ".

" A mi-chemin de Cachy, je fais demi-tour car les deux " femelles " patrouillent sur l'autre partie de la ligne de contact. Mon attention est maintenant toute entière fixée sur le tank allemand le plus proche de moi, qui avance lentement. Le canonnier de droite, le sergent J.R. Mc Kenzie, lui tire dessus mais, comme je zigzague continuellement et qu'il y a beaucoup de trous d'obus, un tir précis est impossible ".

" Soudain, un vacarme digne d'une tempête de grêle s'abattant sur notre flanc droit vient secouer le tank où volent les éclats. C'est une volée de balles perforantes tirées par le char allemand. L'équipage se jette sur le plancher. J' ordonne au conducteur de poursuivre tout droit et peu à peu nous nous dégageons, non sans avoir reçu de multiples éclats au visage. Nos têtes sont protégées par des casques d'acier ".

" Quelques minutes plus tard, je vois le captain Brown courant à découvert vers notre tank. Je m'arrête. Il me dit que l'un des tanks femelles a été touché par un obus et a laissé un blessé dans une tranchée, il me demande d'aller le chercher. Nous le prenons à bord. Il est blessé aux deux jambes et il reste couché sur le plancher en gémissant pendant tout le reste de l'engagement ".

" Approchant au Bois d'Aquenne, nous faisons à nouveau demi-tour, mais en raison de l'inexpérience du conducteur et de la lourdeur des commandes secondaires, le virage est très large. Le captain Brown apparait à nouveau à découvert et m'interpelle avec excitation. " Où allez-vous, nom de Dieu 1" " Vers Cachy ", répondis-je. Il me montre alors la direction d'un geste coléreux et je vois alors à ma plus grande surprise que les deux " femelles " se replient du champ de bataille ".

" Je continue ma route avec précaution, devant la ligne de contact. Le canonnier de gauche tire bien, à présent. Ses obus explosent tout près du char allemand. J'ouvre un panneau au sommet du poste de conduite pour mieux observer et lorsque nous arrivons en face de notre adversaire, nous nous arrêtons. Le canonnier tire de plus en plus près et soudain je vois un obus exploser en haut de la partie antérieure du tank allemand. Un coup au but, il obtient un second impact un peu au-dessous du premier, puis un troisième dans la même région. C'est un tir merveilleux de la part d'un homme dont les yeux sont gonflés par le gaz et qui se sert seul de son canon, seul à cause du manque d'effectif ".

" Le char allemand s'arrête brusquement et penche légèrement. Les hommes s'enfuient par une porte de côté et je les mitraille avec Lewis. L'infanterie allemande qui suit s'arrête aussi. Il est alors 10 h 20 du matin ".

" Les deux autres chars allemands se rapprochent maintenant de plus en plus et semblent se diriger vers moi. Nous continuons à tirer sur le plus proche, nos obus éclatant autour de lui, lorsque soudain, les deux tanks se replient lentement et disparaissent dans la direction de Hangard ".

Il est amusant de noter qu'après le combat, Mitchell demanda une prime comme à la guerre de course. Ne venait-il pas de détruire un " cuirassé terrestre " !

Si Mitchell survécut à la guerre, il n ' en fut pas de même pour son supérieur, Brown, qui fut tué presque au même endroit, le 8 août 1918, le fameux " jour de deuil " de l'armée allemande. >>

 

 

Je termine cette journée longue d'un siècle en faisant une halte au mémorial australien entre Villers Bretonneux et Corbie. Le mauvais temps s'en est allé comme souvent en fin de journée. Je profite de la lumière qui décroit pour monter jusqu'au sommet du terrain. Un mur en U bordé de deux chapelles et surmonté d'une tour domine le paysage à perte de vue. Un escalier mène à son sommet en se terminant par une étrange partie extérieure à déconseiller à toutes les victimes du vertige. Les noms des lieux associés à la mémoire australienne de la grande guerre sont gravés en grandes lettres au sommet du mur. Il n'y a que des lieux français et belges. Pas de Galipolli ou Suvla Bay. Les noms de11 000 soldats disparus sont gravés en colonnes en lettres plus petites; certains noms sont soulignés d'un coquelicot miniature, dont la tige de métal est insérée dans un interstice du mur.

Je me dirige vers la sortie en passant entre les tombes et en leur fredonnant << Waltzing Matilda >>, celle reprise par Shane McGowan, chanteur des Pogues; connue depuis très longtemps, mais associée à la grande guerre depuis peu.

When I was a young man I carried my pack And I lived the free life of a rover

From the Murrays green basin to the dusty outback I waltzed my Matilda all over

Then in nineteen fifteen my country said Son It's time to stop rambling 'cause there's work to be done

So they gave me a tin hat and they gave me a gun And they sent me away to the war

And the band played Waltzing Matilda As we sailed away from the quay

And amidst all the tears and the shouts and the cheers

We sailed off to Gallipoli ...

 

La journée s'achève là, il ne me reste plus qu'à renter à Albert méditer sur les voyages dans le temps d'aujourd'hui, d'hier et préparer celui de demain.

<< I see the old men, all twisted and torn.

The forgotten heroes of a forgotten war.

And the young people ask me, What are they marching for ?

And I ask myslef the same question.

And the band plays Waltzing Matilda,

And the old men still answer the call.

But year after year, Their numbers get fewer,

Someday noone will march there at all. >>

suite Dimanche 25 Février 2007

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