SUR
LA SOMME
Je
n'avais pas le coeur à rire et, parfois, j'en sentais comme une vague
envie. Je songeais à ces gens qui écrivent dans les journaux, sur
la guerre, et qui disent: " La trouée est faite! Qu'attend-on pour
y jeter cinquante divisions ? " ou encore: " Il n'y a plus qu'à masser
les réserves à proximité du front! Vite, quatre cent mille hommes
dans la brèche... "
J'aurais
voulu que l'on chargeât ces gens-Ià de trouver, entre Fouilloy et
Maricourt, la place du chat qui ronronne sur l'amas de leurs dossiers
stratégiques. Ils y auraient éprouvé quelque peine.
Tout
en marchant, je rêvassais à mes affaires; de temps en temps, je jetais
un coup d'oeil sur le pays, et je vous assure qu'on voyait de curieuses
choses.
Sous
les peupliers qui font procession le long de la vallée, une immense
armée se tenait tapie, avec ses bataillons, ses animaux, ses voitures,
toute sa ferraille, ses bâches décolorées, ses cuirs puants, ses immondices.
Les chevaux broutaient l'écorce des grands arbres qui dépérissaient,
en proie à un précoce mal d'automne. Une foule houleuse s'appliquait
à se dissimuler, comme si la face du ciel n'eût été qu'une vaste trahison.
Un trio d'ormeaux chétifs servait d'abri à tout un campement, une
haie poudreuse couvait dans son ombre le train de combat d'un régiment.
Mais la végétation était avare et son asile exigu, en sorte que l'armée
regorgeait de partout sur la plaine nue, écorchant les routes qui
montraient leur squelette à vif, zébrant les champs de pistes comparables
à celles que laisse le passage des grands troupeaux de fauves.
Il
y avait des routes mitoyennes où Français et Anglais voisinaient.
Là, on voyait défiler la belle artillerie britannique, toute neuve,
-pas de patine, mais du vernis, -couverte de harnachements blonds,
avec des boucles étamées, des chevaux à la robe choisie, gras et luisants
comme des montures de cirque. Il passait aussi de l'infanterie: rien
que de jeunes hommes. Les flûtes et les tambours bariolés leur faisaient
une sauvage musique de bamboula. Et puis de grands cars à étages emportaient,
avec de molles secousses, des blessés aux cheveux clairs, aux regards
étonnés, qui avaient l'air placide des voyageurs de l'agence Cook.
Nos
villages étaient bondés à crever. L'homme s'était insinué partout,
comme une maladie, comme une inondation. Il avait chassé les bêtes
de leur gîte pour s'installer dans les écuries, dans les étables,
dans les clapiers.
Les
dépôts d'obus, de place en place, ressemblaient à des poteries pleines
d'amphores terreuses.
L'eau gluante du canal était chargée de chalands qui portaient des
nourritures, des canons, des hôpitaux.
Un
souffle véhément remplaçait le silence, fait de la respiration de
toutes ces existences et du grincement de leurs mécaniques. La campagne
entière évoquait une sorte de kermesse sinistre, une foire de la guerre,
un ramassis de bastringues et de clans bohémiens.
Plus
on approchait de Bray, plus le pays semblait congestionné. Le peuple
automobile régnait tyranniquement sur les routes, repoussant à travers
champs les humbles convois à chevaux. De petits tacots sur rails montraient
de l'indépendance et hululaient avec emphase, bas sur pattes, le dos
chargé de millions de cartouches; entre les caisses, des bonshommes
étaient accroupis et somnolaient, attestant qu'il est doux d'être
assis sur quelque chose qui marche à votre place.
En
arrivant au-dessus de Chipilly, je vis une chose étrange. Un vaste
plateau ondulait, couvert de tant d'hommes, d'objets et de bêtes que,
sur de larges étendues, la terre cessait d'être visible. Au delà de
la tour en ruine qui domine Etinehem, s'étendait un pays brun, roux,
semblable à une bruyère ravagée par l'incendie. Je vis plus tard que
cette couleur était due à l'accumulation des chevaux serrés les uns
contre les autres. Tous les jours on en menait boire vingt-deux mille
à l'abreuvoir vaseux de la Somme. Ils transformaient les pistes en
bourbiers et chargeaient l'air d'une puissante odeur de sueur et de
fumier.
Plus
vers la gauche, s'élevait une véritable ville formée de tentes écrues,
avec des croix rouges écartelées sur leur faîte Au delà, le terrain
se creusait et repartait d'un coup de rein vers le champ de bataille
frémissant à l'horizon dans une buée noire. De-ci de-là, montaient,
côte à côte, les fumées d'une rafale d'obus, rangées comme les arbres
d'une route. Plus de trente ballons formaient cercle en plein ciel,
ainsi que des curieux qui s'intéressent à une rixe.
L'adjudant
me montra les tentes et dit :
-La cote 80, c'est là! Vous y verrez passer plus de blessés que
vous n'avez de cheveux sur la tête, et couler plus de sang qu'il
n'y a d'eau dans le canal. Tout ce qui tombe entre Combles et Bouchavesnes
rapplique là.
Je
hochai la tête et nous retournâmes à nos réflexions. Le jour finissait
dans l'haleine trouble des marais. De grosses pièces anglaises tiraient,
pas très loin de nous, et leur bruit se ruait dans l'étendue comme
un coursier furieux qui fonce à l'aveugle. L'horizon était peuplé
de tant de canons qu'on percevait un gargouillement continu, semblable
à celui d'une immense bouilloire tourmentée par un brasier .
L'adjudant
se tourna de nouveau vers moi.
-
Vous avez eu trois frères tués à l'ennemi. Dans un sens, vous voilà
tiré d'affaire. Vous ne serez pas mal comme brancardier. Dans un
sens, c'est malheureux; mais c'est bon pour vous. Le brancardage,
c'est dur, mais ça vaut mieux que la ligne, pas vrai ?
Je
ne répondis rien. Je songeais au petit vallon désolé où j'avais passé
le début de l'été, face à la butte du PIémont. J'avais enduré là de
mortelles heures à regarder, entre les peupliers fracassés, les ruines
de Lassigny, les pommiers frappés d'horreur au bord de la route chaotique,
les trous d'obus écoeurés d'une eau verte et grouillante,
le muet visage, chargé de reproches, du castel de Plessier et la colline
funèbre qu'un bouleversement cosmique seul avait pu faire surgir des
mornes entrailles du rêve. J'avais respiré là, pendant les longues
nuits de garde, le souffle fétide des prés fourrés de cadavres. Dans
la solitude la plus désespérée, j'avais tour à tour souhaité et redouté
de mourir. Et puis on était venu me dire, un jour: " vous allez retourner
à l'arrière, puisque votre troisième frère vient d'être tué. " Et
beaucoup me regardaient qui semblaient penser, comme l'adjudant: "
Ton troisième frère est mort. Dans un sens, tu en as de la chance
! "
C'est
à tout cela que je pensais, en me rendant à mon nouveau destin, pendant
que nous cheminions sur le plateau dressé, comme un autel, vers la
nue et chargé de millions de créatures, ainsi que pour un sacrifice.
Il
faisait sec depuis plusieurs jours et nous vivions dans le royaume
de la poussière. La poussière est la rançon des beaux jours; elle
imprègne la meute guerrière et se mêle à ses travaux, à ses aliments,
à ses pensées; elle sale les lèvres, croque sous la dent et enflamme
les yeux. Elle avilit la joie candide de respirer. Mais, lorsqu'elle
disparaît, le règne de la boue commence, et l'âme végète encore mieux
dans la poussière que dans la boue.
Au
loin, semblables à des fleuves paresseux, de grands courants de poussière
dessinaient toutes les routes de la contrée, et, par infiltration,
diffusaient, au gré des brises, sur le paysage. La lumière en était
offensée, comme était souillé le ciel par les grands vols d'avions,
souillé et injurié le silence, souillées et mutilées la terre et sa
fourrure végétale.
Je n'étais déjà point enclin à la joie, mais tout cela m'enivrait
de tristesse.
Promenant
mes regards sur ce qui m'entourait, je ne trouvais à les reposer que
dans les yeux innocents des chevaux, ou dans ceux même de quelques
hommes malheureux et timides qui travaillaient au bord des pistes.
Tout le reste du monde n'était qu'un hérissement belliqueux.
A
la nuit tombante, nous arrivâmes dans la ville des tentes.. L'adjudant
me conduisit vers une tortoise et m'y fit trouver une place sur la
paille qui sentait la porcherie. Je posais mon sac, m'étendis et m'endormis.
*
Levé
avec le petit jour, je voguais à travers le brouillard et cherchais
à comprendre.
Il
y avait une route, celle d'Albert, usée, creusée, surmenée
de besogne. Elle charriait le flot incessant des blessés. Au borde
laroute se dressait la ville des tentes, avec des rues, des faubourgs,
les places publiques. En arrière des tentes, un cimetière.
C'était tout.
J'étais
accoudé à un pieu; je regardais le cimetière. Il était déjà exubérant,
il avait l'air affamé. Un gros de prisonniers allemands travaillait
à y creuser de longues tranchées qui béaient comme autant de gueules.
Deux officiers passèrent ; l'un était obèse et paraissait guetté dès
le matin par le coup de sang. Il disait à l'autre, avec des gestes
frénétiques :
- Nous avons deux cents fosses d'avance et presque autant de cercueils.
Non! Non! Il ne faudra pas dire qu'elle n'a pas été préparée, cette
offensive !
En
effet, il y avait un grand nombre de cercueils tout prêts. Ils remplissaient
une tente où l'on exposait sommairement les cadavres. Installée en
plein vent, une copieuse équipe dc menuisiers débitaient les planches
de sapin. Ils sifflaient et chantaient innocemment, comme il est d'usage
lorsque l'on occupe ses mains.
C'est
à ce service que, dès le jour même, je fus affecté, sous le prétexte
que je m'étais, dans ma jeunesse, occupé d'ameublement d'art.
Je
connus, une fois de plus, que chaque homme juge les plus majestueux
événements du seul point de vue que lui proposent sa profession et
ses aptitudes. Il yavait là un sergent qui se formait une opinion
sur la guerre mondiale de par la qualité du bois qu'il devait travailler.
Quand le bois était mauvais, il disait: " Cette guerre est une grande
foutaise! " Mais quand le bois ne contenant pas de noeuds, il opinait
: " On les aura! "
Un
jeune homme inquiet et tatillon assumait la charge accablante de diriger
tout l'hôpital. Il apparaissait à tout instant, les doigts crispés
sur des liasses de papiers qui passaient alternativement d'une de
ses mains dans l'autre. J'eus peu l'occasion de l'entendre parler;
mais, presque chaque fois, je surpris les mêmes propos: " Ça ne me
regarde pas... Moi, je m'en fous ! J'ai assez de soucis comme cela...
"
Je reconnais qu'il lui fallait penser à beaucoup de choses. Presque
toute la journée, les automobiles alourdies d'une cargaison gémissante
se succédaient sur la voie cintrée qu'on empierrait à la hâte et qui
était comme la bouche vorace de ce vaste organisme. Au sommet de la
courbe, les voitures se vidaient sous un porche orné de drapeaux,
assez semblable aux dais pavoisés que l'on dresse, les jours de noces,
à la porte des églises.
Dès
le premier soir, je reçus l'ordre de participer, pour la nuit, au
service du brancardage, à l'arrivée des voitures. Nous étions une
quinzaine sous le porche, rassemblés pour la même besogne.
Jusque-là,
j'avais vu les camarades blessés à mes côtés, dans la tranchée, partir
pour un voyage long et mystérieux dont nous savions peu de chose.
L'homme frappé était escamoté; il disparaissait du champ de bataille.
J'appris à connaitre toutes les étapes de la vie douloureuse qui commençait
dès lors pour lui.
Le
soir où j'entrai en fonctions, il y avait eu quelque chose vers Maurepas
ou le Forest; c'était, entre deux grandes journées de la bataille,
un de ces épisodes qui n'arrachent pas toujours une ligne au rédacteur
du communiqué. Les blessés n'en arrivèrent pas moins toute
la nuit. Dès leur descente de voiture nous les faisions pénétrer dans
la grande tente. C'était un immense hall de toile éclairé à l'électricité.
On l'avait dressé sur le chaume et son sol grossier était encore hérissé
d'herbes anémiques et de mottes mal écrasées. Les blessés
qui pouvaient marcher étaient introduits à la file dans
une sorte de couloir, entre deux rampes, comme on en voit à l'entrée
des théâtres où la foule fait queue. Ils avaient l'air ébloui et surmené.
On leur retairait leurs armes, leurs coutelas, leurs grenades; ils
se laissaient faire, comme des enfants accablés de sommeil. Puis,
on les interrogeait. Le massacre européen veut de l'ordre. Une comptabilité
minutieuse règle tous les actes du drame. Au fur et à mesure
que ces hommes défilaient, on les comptait, on les couvrait d'étiquettes
; des scribes vérifiaient leur identité avec la froide exactitude
d'employés de la douane. Eux répondaient, d'ailleurs, avec
la patience de l'éternel public au guichet administratif. Parfois
ils se permettaient une réflexion. On demandait à un chasseur :
- C'est toi qui t'appelles Menu ?
Et le chasseur remarquait d'un air navré :
-
Eh oui! malheureusement !
J
e me rappelle un petit bonhomme qui portait le bras en écharpe. Un
médecin consultait ses fiches et disait :
- Tu as une plaie du bras droit ? Et l'homme de répondre avec modestie
:
- Oh! c'est pas une plaie, c'est seulement un trou.
Dans
un coin, on distribuait de la nourriture et des boissons. Un
cuisinier découpait des tranches de boeuf et tailladait à même
une meule de gruyère. Les blessés saisissaient les victuailles de
leurs mains pleines de terre et de sang, et ils mastiquaient avec
lenteur et délice. On devinait que, pour beaucoup, la faim et la soif
étaient la première souffrance. Ils se tenaient sur un banc, timidement
assis, comme des invités pauvres au buffet d'une fête.
En
face de ces hommes, il y avait une vingtaine de blessés allemands
que l'on avait débarqués là, pêle-mêle. Ils somnolaient ou jetaient
de brefs regards avides sur les vivres et les seaux de thé fumant.
Retrouvant un mot célèbre, un fantassin grison qui se tassait de larges
morceaux de bouilli entre les mâchoires dit tout à coup au cuisinier
:
- Ben quoi! Donne-leur-z-y quand même un bout de barbaque!
-
C'est-y que tu les connaîtrais ? plaisanta le cuistot.
-
Si je les connais, les vaches! On s'a cogné ensemble toute la sainte
journée ! Allez, colle-leur-z-y quand même un bout de barbaque.
Un freluquet au nez anguleux, au regard de myope, ajouta d'un ton
concentré :
-Faut
ça pour la réputation...
Et
ils continuèrent à deviser avec gravité, en lampant des tasses d'une
tisane bouillante, qu'on leur versait d'un broc de fer-blanc. De l'autre
côté de la tente, le spectacle était tout différent : les blessés
étaient tous couchés et grièvement atteints. Rangés côte à côte, sur
le sol rugueux, ils formaient une mosaïque de souffrance teinte aux
couleurs de la guerre, fange et sang, empuantie des odeurs de la guerre,
sueur et pourriture, bruissante des cris, des lamentations, des hoquets
qui sont la voix même et la musique de la guerre.
Ce
spectacle me glaça. J'avais connu le hérissement du massacre, la chasse
et l'hallali. Il me fallait apprendre une autre horreur, celle du
" tableau ", l'accumulation des victimes gisantes, la perspective
du vaste hall grouillant, au ras du sol, d'un amas de larves humaines.
J'avais fini le brancardage et m'empressais autour des blessés; j'avais
la maladresse d'une bonne volonté trop émue. Il yen avait qui vomissaient,
le front ruisselant, avec des peines infinies. La plupart demeuraient
immobiles, raisonnables, comme attentifs aux progrès intérieurs de
leur mal. L'un surtout me bouleversa. C'était un petit sergent blondin,
à la moustache délicate. Il pleurait, dans sa main, avec un désespoir
qui ressemblatit à de la honte. Je lui demandai s'il souffrait. Il
me répondit à peine. Alors, soulevant doucement sa couverture,
je vis que la mitraille l'avais cruellement frappé dans sa virilité.
Je ressentis une profonde compassion pour sa jeunesse et pouIr ses
larmes.
Il
y avait aussi un jeune garçon qui criait, à intervalless réguliers,
une plainte curieuse, une plainte de son pays, dont je ne saisissais
que ces syllabes: " Ah! mon... don... ah! mon... don... " Un
médecin qui passait lui dit :
-
Allons! un peu de patience! Ne crie pas comme cela !
L'enfant
s'arrêta un petit moment pour répliquer :
-
Faudrait plus avoir de voix, pour pas crier.
Et,
tout de suite, il se reprit à dire " ah! mon... don... " en mesure,
comme si ce rythme et ces mots eussent été nécessaires à sa souffrance.
Son
voisin était un homme rude, à la mâchoire puissantc, aux traits massifs
et énergiques, avec cette coupe du crâne et cette implantation des
cheveux qui font reconnaître les gens d'Auvergne.
Il
regarda le petit garçon qui gémissait à ses côtés, et, se tournant
vers moi, estima, avec un mouvement d'épaules :
-
Si c'est pas malheureux d'être amoché comme ce garçon-là.
- Et toi, lui dis-je, qu'est-ce que tu as ?
-
Oh! moi, je crois bien que j'ai plus de pieds; mais je suis d'une
grosse santé; le coffre est solide.
Et c'était vrai: je vis qu'il avait eu les deux pieds arrachés.
Les
lampes électriques s'auréolaient d'une buée nauséabonde. Sur les parois
de la tente, dans les plis, on voyait, par gros paquets noirs, dormir
les mouches domptées par la fraîcheur de la nuit.
La
salle peu à peu se déblayait. De grandes ondes roulaient sur ses toiles
et les agitaient comme d'un frémissement ou comme d'une ruade, selon
que le vent ou le canon en était la cause.
Je
fis, avec précaution, quelques pas, en enjambant les brancards, et
je me trouvai dehors, dans une nuit grondante, illuminée par l'aurore
boréale du champ de bataille.
J'avais marché, les mains en avant, et venais de toucher une palissade;
je connus soudain la sensation d'être accoudé au balcon de l'enfer.
Quel
orage humain ! Quelle explosion de haine et de destruction ! On eût
dit qu'avec des millions d'étincelles une troupe de géants forgeaient
l'horizon de la terre en frappant dessus à coups redoublés. Faite
d'une infinité de lueurs furtives, une immense lueur continue vivait,
palpitait, bondissait, éblouissant le paysage et la nue. Des gerbes
irisées fusaient en plein ciel, comme le marteau-pilon en exprime
de la fonte incandescente.
Pour
moi qui sortais de la tranchée, tous ces artifices signifiaient quelque
chose, des recommandations, des ordres, des appels désespérés, des
signaux d'égorgement, et je commentais ce brasier comme s'il eût exprimé
en toutes lettres la fureur et la détresse des combattants.
Dans
la direction de Combles, à gauche de Maurepas, un point surtout brûlait
avec rage. C'est là que se faisait la soudure des deux armées, l'anglaise
et la française; c'est là que l'ennemi concentrait avec insistance
l'effort tumultueux de ses feux. Pendant des semaines, je vis, chaque
nuit, s'allumer à cette place la même flamme dévorante. Elle était,
à chaque seconde, si intense que cette seconde donnait l'impression
d'être la seconde décisive. Mais les heures, les nuits, les mois s'avançaient
lentement à travers l'éternité et chacun de ces instants terribles
n'était qu'un paroxysme dans une infinité de paroxysmes. C'est ainsi
que la douleur des plaies donne souvent à croire qu'elle ne saurait
être tolérée davantage; mais la mort n'accède pas volontiers au désir
des hommes: elle frappe à son gré, quand elle veut, où elle veut,
et ne souffre guère d'être séduite ou conseillée.
Le matin vint. Ceux qui auront vu les aubes de la guerre, après les
nuits employées à combattre ou consumées dans la sanglante besogne
des ambulances, ceux-là connaîtront une des plus grandes laideurs
et une des plus grandes tristesses du monde.
Pour
ma part, je n'oublierai jamais cette lumière avare et verte, cet aspect
découragé des lampes et des visages, cette odeur suffocante des hommes
envahis par la pourriture, ce frisson du froid matinal, pareil au
dernier souffle glacé de la nuit dans les frondaisons engourdies
des grands arbres.
*
Mon service de brancardier était achevé. Je pus retouner à la menuiserie.
Je façonnais les pesantes planches de bois vert en pensant à toutes
sortes de choses, comme en conçoit l'esprit privé de sommeil et abreuvé
d'amertume.
Vers
huit heures du matin, le peuple des mouches salua le soleil qui se
dégageait péniblement des brumes; et ces bêtes commencèrent de se
livrer à leur grande orgie quotidienne. Tous ceux qui ont passé sur
la Somme en 1916 conserveront le souvenir des mouches. Le désordre
du champ de bataille, sa richesse en charognes, l'accumulation anormale
des animaux, des hommes, des mangeailles gâtées, toutes ces causes
déterminèrent, cette année-là, une énorme éclosion de mouches. Elles
semblaient s'être donné rendez-vous de tous les points du globe pour
assister à une exceptionnelle solennité. Il y en avait de toutes les
espèces, et le monde humain, livré à ses haines, restait sans défense
contre cette odieuse invasion. Pendant tout un été, elles furent les
maîtresses, les reines, et on ne leur marchanda pas la nourriture.
J'ai
vu, à la cote 80, des plaies fourmillantes de larves, ce que l'on
avait pu oublier depuis la bataille de la Marne. J'ai vu des mouches
se précipiter sur le sang et le pus des blessures et s'en repaître
si gloutonnement qu'on pouvait les saisir avec des pinces ou avec
les doigts sans qu'elles consentissent à s'enfuir, à quitter leur
festin. Elles propageaient toutes sortes d'infections et de gangrènes.
L'armée souffrit cruellement par elles, et l'on peut s'étonner que
la victoire ne leur soit pas restée, en définitive.
Rien n'était plus morne et pelé que le plateau sur lequel était dressée
la ville des tentes. Chaque matin, de pesants tracteurs montaient
la côte d'Etinehem et venaient abreuver le camp. Ils remplissaient
d'une eau douceâtre quelques tonneaux épars dans les allées, et, sur
cette provision, il fallait, tout un jour désaltérer les hommes, laver
toutes les souillures et les déjections de la maladie.
Pas
un buisson, jusqu'aux bosquets de l'horizon. Pas une touffe d'herbe
fraîche. Rien que l'immensité poudreuse ou gluante selon que le visage
du ciel était serein ou furieux. Pour colorer cette désolation, on
avait eu l'idée de jardiner quelque peu entre les tentes, et les blessés
que l'on descendait de voiture apercevaient avec étonnement, à travers
la lugubre agitation des choses militaires, le pâle sourire d'un géranium
ou les petites cathédrales gothiques des genévriers arrachés aux bords
pierreux de la vallée et repiqués là, hâtivement, selon le dessin
des jardins à la française.
Je
ne peux me rappeler sans une étrange émotion la tente sous laquelle
agonisaient une douzaine de soldats atteints de gangrène gazeuse.
Tout autour de ce lieu désespéré courait une maigre plate-bande, et
un homme attentif s'efforçait avec placidité d'y faire s'épanouir
la clochette rouge des salvias.
Parfois
la terre, accablée par le mois d'août, se pâmait sous le brusque assouvissement
d'un orage. Ces jours-là, les tentes claquaient de toutes leurs toiles
et paraissaient, comme de grands oiseaux livides, se cramponner au
sol pour mieux résister à l'autan.
Mais,
ni les ruées de la pluie, ni les galopades de la foudre, rien de ces
fureurs naturelles ne parvenait à distraire les hommes de leur guerre.
On continuait, sur la colline 80, à opérer et à panser les blessés,
comme, sur les collines voisines, l'artillerie continuait à éventrer
le sol disputé. Souvent même il semblait que l'homme s'obstinât à
parler plus haut que le ciel et une sorte d'enchère s'engageait entre
les canons et le tonnerre. Une fois, je me rappelle, la foudre eut
le dernier mot : deux ballons-saucisses s'enflammèrent et l'artillerie,
aveuglée, balbutia, puis finit par se taire.
Je fus, au bout de quelques jours, chargé d'installer sous les tentes
de menus objets de menuiserie, bancs ou tablettes. Je me transporItais
sur place avec mes outils et faisais de mon mieux pour ne pas importuner
les patients déjà excédés par les bruits de la bataille. Ce service
m'était pénible, parce qu'il me rendait le témoin impuissant de toutes
les misères. Un jour, cependant, j'assistai à une scène belle et touchante
: un jeune artilleur, frappé au visage, recevait la visite de son
frère, aspirant d'un régiment voisin. Ce dernier, tout pâle, considérait
la face du blessé qui n'était plus rien qu'un pansement souillé et
qu'un regard. Il lui avait pris les mains, et s'approchait instinctivement
comme pour l'embrasser, puis il reculait et s'approchait encore, en
proie à une émotion mêlée d'horreur et de compassion. Alors le blessé,
qui ne pouvait parler, eut une inspiration pleine de tendresse et,
dégageant ses doigts, se mit à caresser les cheveux et la figure de
son frère. Cette effusion silencieuse disait combien volontiers l'âme
renonce aux paroles pour se livrer à ses mouvements les plus intimes.
Sous
la même tente mourait le lieutenant Gambier.
C'était
un homme simple, un peu fruste, voué à quelque obscur emploi civil
et qui, par la seule vertu de son courage appliqué, avait conquis
des galons d'officier. Une hémorragie venait d'épuiser son grand corps
et il mit deux jours à mourir. Le souffle de la vie mit deux jours
à quitter ses membres glacés que couvraient de grosses gouttes d'une
sueur visqueuse. De temps en temps, il poussait un soupir. Alors,
quittant mon vilebrequin et mes vis, je venais lui demander s'il n'avait
pas besoin de quelque chose. Il me regardait avec des yeux agrandis,
pleins de souvenir et de tristesse et disait :
-
Je ne veux rien; mais j'ai le cafard! oh! j'ai le cafard !
Je fus presque content de le voir mourir : son interminable agonie
était trop lucide. Le petit Lalau, qui mourut le même jour, partit
du moins noyé dans l'inconscience et le délire.
C'6tait
un garçon de la campagne; il avait été blessé à la moelle épinière
par un petit éclat d'obus. Il fit une espèce de méningite,
et, tout de suite, cessa d'appartenir au monde raisonnable. Les prunelles
de ses yeux se balançaient de droite à gauche avec une rapidité vertigineuse;
il remuait sans arrêt la mâchoire, à la façon des ruminants. Un jour,
je le trouvai dévorant le chapelet qu'un aumônier lui avait passé
au cou. Un infirmier lui maintint ouverte la bouche dont nous retirâmes
maints fragments de bois et de fil de fer. Le malheureux riait doucement
en répétant: " C'est dur, c'est dur à mâcher ! "et les plis
de sa figure étaient secoués d'une foule de tics douloureux.
Le
délire déconcerte et blesse notre esprit comme le suprême désordre
: celui des choses du jugement. Mais il traduit peut-être une bienveillance
de la nature qui retire à l'homme déchu le contrôle de sa misère.
La vie et la mort ont de ces sombres bontés. C'est ainsi que je vis
un soldat percé de tant de coups que les chirurgiens avaient estimé
son cas au-dessus des ressources de l'art. Il portait, entre autres
blessures, un long éclat d'acier fiché comme une dague à travers le
poignet droit. Ce spectacle offensait si cruellement les yeux qu'on
tenta de retirer l'éclat. Un médecin l'avait pris à pleine main et
l'ébranlait de menues secousses.
- As-tu mal ? disait-il de temps en temps.
Et
le patient répondait :
-Non, mais j'ai soif !
- Comment, demandai-je au médecin, comment peut-il ne pas souffrir
de ce que vous lui faites ?
-
C'est, me répondit le praticien, qu'il est dans l'état de choc.
Et
je compris comment l'excès même des douleurs procure parfois aux victimes
une trêve qui est en quelque sorte un avant goût de l'anéantissement,
le prélude des délices de la mort.
A
l'extrémité de chacune des grandes tentes rectangulaires, on avait
dressé une de ces petites tentes coniques que les troupiers appellent
des marabouts. Elles servaient de chambres d'agonie. C'est là qu'on
enfermait les hommes perdus, dans une solitude préalable à celle du
tombeau. Quelques-uns semblaient s'en rendre compte, tel ce soldat
à l'abdomen perforé qui, en pénétrant sous la tente ronde, demanda
qu'on lui mît du linge propre :
- Ne me laissez pas, répétait-il, mourir avec une chemise sale.
Donnez-m'en seulement une blanche. Si vous êtes pressés, je la mettrai
bien moi-même.
Parfois,
excédé de tant de souffrances, je sollicitais des corvées hors du
camp, pour donner de l'air à mes idées, renouveler le thème de mes
réflexions. C'était toujours avec un soupir de soulagement que je
m'éloignais de la ville des tentes. Je contemplais, de loin, cette
sinistre agglomération qui ne manquait point d'analogie avec une fête
foraine; je cherchais, parmi la blancheur des toiles et les croix
écarlates, la pointe des marabouts, je regardais aussi le cimetière
où des centaines et des centaines de corps étaient enfouis et, supputant
la somme de tristesses, de désespoirs ou de colères accumulés sur
ce point de la terre, je pensais à ces gens qui, dans l'intérieur
du pays, peuplent les cafés-concerts, les salons, les cinémas, les
lupanars, jouissent effrontément d'eux-mêmes, du monde et du temps,
et, à l'abri de ce tremblant rempart de sacrifices, se refusent à
communier dans la détresse universelle. Je pensais à ces gens avec
encore plus de honte que de ressentiment.
Les
courses au dehors me rafraîchissaient le cceur, je trouvais quelque
réconfort dans le spectacle d 'hommes sains ménagés par la bataille.
Quelquefois
j'allais jusque dans le secteur anglais. L'artillerie à longue portée
s'y prodiguait. Les pièces étaient servies par des soldats en manches
de chemise, en pantalons longs, souillés d'huile et de cambouis, qui
ressemblaient beaucoup plus à des ouvriers d'usine qu'à des militaires.
On sentait là combien la guerre est devenue une industrie, une entreprise
mécanique et méthodique de tuerie.
Un
soir, passant sur la route d'Albert, j'entendis parler des hommes
assis au revers d'un fossé. Ils avaient l'accent des paysans du Nord
et devaient appartenir aux régiments qui revenaient alors du feu.
-Après
la guerre, disait l'un deux, ceux-là qui voudront se mêler des affaires
publiques, faudra qu'ils pourront dire qu'ils l'auront faite, c'te
guerre !
Mais cette phrase candide, surprise en passant, la nuit, sur une route
du front, cette phrase sans importance et sans écho se perdit dans
le tumulte de la canonnade.
Je
dus bien des choses à mon nouveau métier de brancardier . Je lui dus
de connaître les hommes mieux que je ne les avais connus jusque-là,
de les connaître baignés dans une lumière plus pure, nus devant la
mort, dépouillés même des instincts qui dénaturent la divine beauté
des âmes simples.
A
travers les plus grandes épreuves, notre race de laboureurs est demeurée
vigoureuse, pure, digne des nobles traditions humaines. Je vous ai
connus, Rebic, Louba, Ratier, Freyssinet, Calmel, Touche et tant d'autres
que je ne dois pas nommer, pour ne pas appeler le pays tout entier.
On ne saurait dire que la blessure choisit ses victimes, et pourtant,
quand je passais entre les lits où se débattait votre destin, quand
je vous regardais un à un, au visage, vous me sembliez tous des hommes
bons, patients, énergiques, et tous vous méritiez d'être aimés.
Ne
le méritais-tu point, toi, Rebic, sergent aux cheveux gris, qu'une
douce famille attendait au foyer ? Un jour, on venait de panser la
grande plaie que tu portais au flanc, et nous nous empressions autour
de toi pour te mettre du linge blanc et te faire un lit convenable.
Tu te pris à pleurer, homme simple et bon, et comme nous t'en demandions
la cause, tu trouvas cette réponse sublime :
-
Je pleure de voir tout le mal que je vous donne.
De
Louba, nous ne pouvions pas attendre des paroles : l'éclat d'obus
lui avait effondré la face. Il ne restait rien de son visage qu'une
immense plaie barbare, un reil dévié, déjeté, et e front, un humble
front de paysan. Un jour, pourtant, comme nous lui disions des choses
fraternelles, Louba voulut nous témoigner son contentement, et il
nous fit un sourire. Ils s'en souviendront, ceux qui ont vu l'âme
de Louba sourire sans visage.
Freyssinet,
enfant de vingt ans, cédait souvent au délire, il s'en rendait
compte dans ses instants de lucidité et en demandait pardon à ceux
que cela pouvait importuner. L 'heure vint où il connut un majestueux
repos. Ce jour-là, un personnage chamarré parcourait les tentes en
imposante compagnie. Il s'arrêtait au pied de chaque lit et prononçait,
d'une voix avantageuse, des paroles établissant quel honneur cette
allocution même représentait pour le blessé. Il fit halte devant le
lit de Freyssinet et entreprit son discours. Comme il était homme
d'importance et méthodique, il dit tout ce qu'il avait à dire sans
remarquer les signes qu'on multipliait à son intention. Ayant parlé,
il demanda toutefois à ses assistants :
- Vous avez quelque chose à me signaler ?
-
Oui, lui répondit-on, c'est que... ce blessé est mort.
Mais Freyssinet était si modeste, si timide, que toute son attitude
de cadavre trahissait le respect et la confusion.
C'est
là aussi que je fis la connaissance de Touche.
Il
nous arriva, le pauvre Touche, avec sa tête cassée, évacué
d'un poste de secours détruit par l'incendie. Je le voyais bouleverser
de ses mains tâtonnantes une vieille musette qui contenait toute sa
fortune.
- Non, non, disait-il, elles sont bien perdues...
-
Que cherches-tu ? lui demandais-je.
Je
cherche les petites photos de mes deux gamins et de ma femme. Malheureusement,
on me les a perdues. Elles vont me manquer...
Je
l'aidai dans ses recherches et, ce faisant, je m'aperçus que Touche
était aveugle !
Pauvre Touche! Il me reconnaissait très bien à la voix et me réservait
toujours un sourire. Il mangeait avec la maladresse d'un homme qui
n'est point encore habitué à son infirmité. Mais il tenait à se débrouiller
tout seul et nous disait d'une voix sereine :
-
Je fais mon possible, voyez-vous : je fouille dans l'assiette jusqu'à
ce que je sente plus rien.
Ai-je
pu oublier le nom de celui qu'on nous apporta, une nuit, les deux
jambes broyées et qui murmura simplement : " C'est dur de mourir !
Allez ! Allez ! Je serai courageux. "
Comment
s'appelait donc aussi ce garçon naïf qui nous recommanda en ces termes
son pied, malmené par une grenade :
-Prenez
bien garde, messieurs, c'est que je ne suis pas encore marié !
Mais Calmel, Calmel, aucun de ceux qui l'ont connu ne voudra l'oublier.
Jamais homme, plus ardemment, ne désira de vivre. Jamais homme ne
s'en rendit plus digne par son endurance et sa résignation. Il souffrait
de blessures mortelles que désavouait à tout instant son regard étincelant
de vie intérieure. C'est lui qui, lors d'un bombardement nocturne,
apostrophait ses camarades de salle et les conviait au calme, avec
sa voix de moribond autoritaire :
- Allons, allons! disait-il. Nous sommes tous des hommes ici, n'est-ce
pas ?
Telle
est la force de l'âme que ces seuls mots, prononcés par une telle
bouche, eurent le pouvoir de restaurer l'ordre et la confiance dans
les creurs.
C'est
à Calmel qu'un civil grassouillet, chargé de je ne sais quelle mission
aux armées, dit un jour avec une conviction jubilante :
-
Tu parais bien touché, mon brave ! Mais si tu savais quelles blessures
nous leur faisons, avec notre 75 ! Des blessures terribles, mon
cher, terribles !
Chaque
jour amenait des visiteurs à la cote 80. Ils arrivaient d'Amiens dans
de somptueuses automobiles; ils traversaient en causant le grand hall
de toile, semblable à une exposition de concours agricole; ils adressaient
aux blessés quelques paroles en rapport avec leurs fonctions personnelles,
leurs opinions, leurs dignités. Ils prenaient des notes sur des calepins
et acceptaient quelquefois de souper à la table des officiers. Il
y avait des étrangers, des philanthropes, des hommes politiques, des
comédiennes, des millionnaires, des romanciers et des folliculaires.
Ceux qui recherchaient les sensations fortes étaient parfois admis
à pénétrer sous une tente conique ou dans une salle d'opérations.
Ils
repartaient, satisfaits de leur journée quand le temps était beau,
et assurés d'avoir vu des choses curieuses, des combattants héroïques,
une installation modèle.
*
Mais silence! J'ai prononcé vos noms, Freyssinet, Touche, Calmel,
et ils ne sauraient laisser à mon creur qu'un souvenir trop noble
pour être mêlé de fiel.
Qu'est
devenue la cote 80 désertée ? La bataille a marché vers l'est.
L'hiver est arrivé, la ville des tentes a plié ses toiles, ainsi qu'une
flotte de voiliers qui doit appareiller pour de nouveaux destins.
En
rêve, souvent, je revois le plateau nu et l'immense cimetière échoué
dans les labours brumeux, comme, au fond des mers, les épaves d'un
naufrage innombrable.