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jeudi 22 Février 2007

 

De retour de Verdun l'an dernier, stimulé par la connaissance que j'en ramenai, je décidai de poursuivre ces visites de lieux de la guerre 1914-18.

Parmi les régions françaises touchées par le conflit, la vallée de la Somme retient l'attention par l'importance des combats qui s'y sont déroulés à des périodes cruciales de la guerre, par la diversité des nations qui s'y trouvèrent représentées et par le souvenir que m'a laissé la lecture des nombreux témoignages des écrivains engagés. Les derniers vestiges de ces batailles, où le sort de la France fut souvent incertain et ne tenait parfois qu'à l'acharnement de quelques uns, se trouvent dans les dizaines et dizaines de cimetières qui jalonnent les lieux des combats. Leur fréquentation, la lecture des noms d'hommes jeunes et moins jeunes, fils, mari, père, grand père, est une façon d'approcher de ces années terribles.

La Somme fut le lieu d'une des plus grandes batailles du XXéme siècle entre juillet et Novembre 1916; c'est là aussi que l'armée allemande tenta en 1918 de rompre le front et de précipiter la victoire espérée. C'est encore sur le front de la Somme qu'un grand nombre de pilotes de chasse se firent un nom, et trouvèrent souvent la mort.

Avant de me rendre sur place, je consacrai un mois à rassembler suffisamment d'informations et de récits pour qu'une fois sur les lieux je ne fus pas complètement enfermé dans les circuits préétablis, pourtant très bien organisés.

Ceci fait, et après avoir traversé Paris du sud au nord à travers les nombreux échangeurs d'autoroutes, épreuve redoutée par le provincial, j'arrive vers 11H30 à proximité de Péronne. La campagne Picarde, inconnue pour moi jusqu'alors ressemble à un océan figé, parcouru par d'immenses vagues. Des villages posés là comme des îles, entre eux le désert agricole.

   

L'historial est un ensemble muséographique créé en 1992 dans une ancienne forteresse au bord de la Somme. Les salles sont très grandes, et ne rassemblent pas des quantités formidables d'objets, mais dans un parfait état. L'accent est mis sur la pédagogie plus que sur la démonstration, le rôle de chaque partie de la population est abordé, de l'avant guerre à la reconstruction. Les explications sont données en français, allemand et anglais, et ne semblent pas donner plus d'importance aux rôles des uns ou des autres, ce n'est pas un musée de la victoire ! La salle consacrée notamment aux uniformes et équipements des belligérants est assez étonnante : chaque partie est présentée par un mannequin en tenue de militaire sans mains ni tête, allongé dans une fosse de 50 cm de profondeur environs, au milieu de son paquetage étalé et d'objets du quotidien. Cette disposition évoque pour moi sans équivoque aucune la mort. De nombreuses photos d'époque montrent ce genre de scène, le fantassin tué lors d'une attaque, dépouillé de son équipement. Une autre salle expose les armes utilisées; une retient l'attention par l'importance qu'elle eut dans l'assaut britannique du 1er juillet 1916 : la Maxim MG 08, 500 coups à la minute, 500 deuils potentiels par minute.Cette valeur symbolique est affichée sans commentaire. C'est un de ces nombres qui donne le vertige, une parfaite illustration de la guerre industrielle aux cadences de travail de ses machines vantées. Des bornes audiovisuelles permettent de voir des documents filmés pendant la guerre. Le regard des soldats anglais assis dans un chemin creux, prenant quelques repos, fumant, avant de gravir le talus est très émouvant.

La visite terminée je passe à la librairie, qui à elle seule justifie le déplacement. La présence de nombreux visiteurs britanniques est soulignée par la quantité de livres écrits dans leur langue, ce qui semble être dans la région une constante.

Sorti de l'historial, je traverse une partie du front sud tenue par l'armée française. Je prend la direction de Vermandovillers, petit village au bord de l'autoroute. Là se trouve le plus important cimetière militaire allemand, 22 632 corps, dont 13 200 dans plusieurs ossuaires. Je suis là << to pay my respects >> comme disent les anglophones, à quatre pilotes de chasse tombés au combat en 1918. Il s'agit de Hans Weiss, de Hans-Joachim Wolff, de Robert Eiserbeck et de Edgar Scholtz. Le registre des noms a été enlevé en raison des conditions climatiques ! Et je n'ai que deux minuscules photos de leurs tombes; mais les points de repère qui y figurent me mettent rapidement dans la bonne direction.

Tous volèrent au sein d'une unité mythique pour ceux que l'histoire de l'aviation militaire intéresse. Il s'agit de la Jasta 11, escadrille de la Jagdgeschwader 1, dont le commandant était Manfred von Richthofen, as des as aux 80 victoires, le Baron Rouge dont j'aurai l'occasion de reparler.

Weiss pilotait un Fokker triplan, le Dr I, de couleur blanche lorsqu'il fut abattu le 2 mai 1918, par un pilote anglais, le Captain Merril Taylor. Son score s'élevait alors à 18 et il était prês de recevoir la décoration allemande suprême : l'ordre << Pour Le Mérite >>. Le même jour Edgar Scholtz se tuait lorsque son avion décrocha au décollage de Cappy. Hans-Joachim Wolff, très apprécié de son commandant, pour ne pas dire favori avait lui 10 victoires confirmées en deux mois, il trouve la mort en combat, recevant deux balles sous le coeur le 16 mai 1918. Robert Eiserbeck tombe le 12 avril 1918, probablement victime du tir du pilote canadien James H Forman, du 201 squadron. Certains de ces pilotes avaient été recrutés par Manfred von Richthfen pour servir dans son unité. Il accueillait ainsi les nouveaux venus : << Hé bien voilà, nous avons fait ce qu'il faut pour que vous puissiez être là. Vous êtes transféré à la Jasta 11. Ici vous allez rejoindre un cercle de camarades, où vous vous sentirez comme à la maison. Vous volerez sur triplans. Il y a assez d'avions, et pas de pénurie de munitions, alors vous avez votre chance. J'élève juste quelques as ! >> Trois d'entre eux décolleront de Cappy avec Manfred von Richthofen le 21 avril 1918, Hans Joachim Wolff sera le dernier à le voir vivant.

Fin mars 1918 Erns Udet prend la tête de la Jasta 11. Il sera le dauphin de Manfred von Richthofen au palmarès des as à la fin de la guerre. Eloigné des combats en avril pour soigner une mauvaise otite, il revient au front en mai, et découvre que les chaises vides sont nombreuses. Voici le récit de son retour à l'escadre. Extrait de << Ma vie et mes vols >> de Ernst Udet :

<< L'escadre est cantonnée à la Ferme de Monthussart. Il est aux environs de midi lorsque j'arrive, juste à temps pour me rendre au mess des officiers. Beaucoup de têtes nouvelles. Claquements de talons, présentations, on bredouille des noms. A table, je retrouve plus d'une vieille connaissance : Gluczewski, Maushacke, Rauter von Prestin et sa crinière blonde, Drekmann. Saluts, signes de tête, toasts.

On en cherche du regard plus d'un qui manque à l'appel et dont on ne parle pas.

Après déjeuner, Reinhard me prend à part. Il porte le bâton de commandement, le bâton du capitaine, que l'on se passe de chef en chef .

" V ous savez déjà, Udet ", dit Reinhard.

Je fais signe que oui.

" Si vous voulez, allons jusque-là.

C'est le plein été, le silence de midi. Les peupliers de la route tremblent dans l'air chaud comme dans du verre en fusion. Le cimetière est à droite, sur une petite hauteur. Nous mettons pied à terre, Reinhard pousse le premier la porte de fer forgé et me précède entre les tombes alignées.

Quatre monticules de terre fraîchement retournée, quatre plaques rectangulaires surmontées d'une'croix faite de débris d'hélices. Sur les plaques, on lit: " Robert Eisenbeck, sergent aviateur ", " sous-lieutenant Hans Weiss ", " sous-lieutenant Edgar Scholtz ", " sous-lieutenant Joachim Wolff ".

Reinhard salue, je l'imite.

" Ils ont eu une belle mort " dit-il. Nous restons longtemps immobiles. Puis nous rejoignons l'escadre. >>

Camarades de combat, camarades dans la mort, aujourd'hui encore leurs quatre tombes sont alignées et surmontées de deux croix sur lesquelles figurent leur nom, leur grade et la date de leur mort.

Non loin du cimetière, à Soyécourt, un bois a conservé son relief de 1918 et se visite. J'y fais un saut, les tranchées sont assez bien visibles, des chercheurs d'objets ( à revendre ? ) semblent avoir promené leur outil de profanateur de tombes et laissé les vestiges de leurs fouilles illégales.

Au sud du secteur français se trouve Chaulnes; Le 10 octobre 1916 les français attaquaient le front allemand. La bataille de la Somme approchait alors de sa fin. Parmi les soldats du 18ème Hussards montant à l'assaut, Jean Marie Le Mer du village de kersaintgilly à Guiclan, frère de mon arrière grand-mère trouve la mort.

 

 

De là je rejoins la Somme en passant par Frise et Cappy où je reviendrai dans deux jours. Direction Bray sur Somme. J'ai rendez vous avec un caporal anglais du 15ème bataillon du Sherwood Forester regiment. Ce caporal repose dans le cimetière militaire de Bray dans la tombe II K 11, contre la partie gauche du mur d'enceinte.

Les cimetières militaires britanniques sont à l'image des parcs et des jardins de la même origine, magnifiquement sobres. Un mur d'enceinte de briques rouges sépare le cimetière de la campagne environnante. Le contraste entre l'intérieur et l'extérieur est saisissant. Entouré d'une terre dont chaque mètre carré donne vie à de fructueuses récoltes d'années en années, une surface recouverte d'un gazon immaculé, sur laquelle s'alignent impeccablement des dizaines de pierres tombales de formes identiques est figée pour l'éternité. La croix du sacrifice ornée d'une épée pointée vers la terre, le registre des sépultures enfermé dans un coffre métallique celé dans le mur d'enceinte, les bancs de pierres , la pierre du souvenir où sont gravés les mots suivants << THEIR NAME LIVETH FOR EVERMORE >> dans les plus grands.

Les autorités britanniques décidèrent en mai 1917 que les soldats morts à l'étranger ne seraient pas enterrés dans leur pays, mais resteraient dans des nécropoles là où ils étaient tombés. Les disparus auraient leur nom gravés sur des mémorials. Les cimetières dépendent de la Commonwealth War Graves Commission, dont le site internet m'a permis de situer les tombes, avec la même précision que celle apportée à l'entretien du gazon.

Je trouve rapidement la tombe du caporal Jesse Wilton, 40 ans, mort le 17 août 1916. Le 15ème bataillon du Sherwood Forester regiment, n'était pas identique aux autres bataillons, hormis le 18ème, de ce régiment dont le nom évoque le shériff de Nottingham, Robin des bois et le roi Richard Coeur de Lion. C'était un bataillon Bantam, formé par des hommes n'ayant pas la taille requise pour être acceptés dans la nouvelle armée de volontaires, et rejetés dans un premier temps. Le nombre de volontaires << under height >> étant important, des régiments les enrôlèrent dans des bataillons distincts. Rattaché à la 35ème division, le 15ème bataillon participa à la bataille de la Somme.

Le 19 juillet le bataillon attaque près de Guillemont, où combattra plus tard le lieutenant Ernst Junger, et est par deux fois repoussé, subissant de lourdes pertes. A 3 heures du matin le caporal Wilton reçoit l'ordre de tenir avec quelques hommes un poste avancé dans le no man's land. Ce poste très exposé doit être tenu pendant 48 heures. A 9 heures du matin, les hommes exténués, soumis à un tir incessant, craignant une attaque allemande quittent leur poste avant d'être relevés et rejoignent leur compagnie. L'abandon du poste avancé ayant été constaté, Wilton et un de ses hommes sont mis aux arrêts. Le 2 août une cour martiale se réunie et les juge. Wilton n'a pour se défendre que sa bonne foi, mais les faits sont contre lui. L'infraction est lourde, les attaques précédentes et le bombardement ne constituent pas des circonstances atténuantes. La jugement tombe, la mort pour les accusés. Des deux seul Wilton sera fusillé. Le 17 août le bataillon défile devant Jesse Wilton, puis se range au garde à vous. Au commandement de l'officier le peloton d'exécution met en joue, puis tire. Tous les soldats ont visé délibérément à côté, mais une balle à néanmoins touché l'épaule du condamné. L'officier commandant le peloton, en larmes, sort son revolver et donne le coup de grâce à Jesse Wilton.

Jesse Wilton, engagé volontaire, 40 ans, marié, mort pour le Roi et l'Angleterre pour avoir quitté son poste. Il est l'un des 306 anglais, << shot at dawn >>, majoritairement accusés de désertion, 10 seulement ont été fusillés << for quitting post >>.

 

 

Deuxième jour : vendredi 23 Février 2007

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