....pguiller@club-internet.fr  
     

Vendredi 29 Février 2008

Journée de retour aux sources aujourd'hui. Retour aux sources de cet intérêt pour la grande guerre. Il y a quelques années, une collègue me confia pendant quelques temps le carnet de route d'un soldat de la grande guerre trouvé dans un grenier familial. J'éprouvai une sorte de fascination pour cette pièce sortie de l'anonymat entre nos mains. Je décidai de transcrire le carnet pour pouvoir en faire profiter d'autres. J'étais présomptueux devant cette tâche très accaparante. Parallèlement je recherchais toutes les informations permettant de situer les événements décrits dans ce carnet.

Jean Marquès, vit à Saint Nazaire lorsqu'il doit rejoindre son régiment avec le grade de sergent, chef d'une demi-section. Il commence à décrire quotidiennement les événements. Le 21 octobre il rejoint le front avec un détachement de renfort du 104ème régiment d'infanterie à Grivillers, près de Roye. Affecté comme sergent, au 3ème bataillon, 10ème compagnie, 1ère demi-section, sous le commandement du lieutenant Pigou, 26 ans ( tué le 6 octobre 1916 à Souhesmes ). Le 30 octobre une attaque française de la 8ème division d'infanterie sur Le Quesnoy en Santerre est signalée, elle se déroule à quelques kilomètres sur la gauche du secteur du 104 RI. Le 4 novembre il décrit l'enterrement du cuisinier de sa section près du cimetière de Popincourt, Louis Compin, premier mort de sa section. Le lendemain il tire le premier coup de feu depuis son arrivée au front. Le 7 un autre homme de sa section trouve la mort, tué par des tirs français. Le 17 décembre, un de ses caporaux, le caporal Jean Fillé est tué lors d'un coup de main contre un bois tenu par les allemands. Le 26 décembre le 104 RI est relevé par le 139 RI et quitte Popincourt pour Coivrel, très en arrière du front. Le 104 RI embarque à Moyennville le 28 décembre pour débarquer en pleine nuit le 31 à la gare de Cuperly en Champagne. De là ils s'en vont cantonner à Courtisol; pendant ce temps se déroule les premières phases de la première bataille de Champagne, la canonnade vers Perthes est remarquée. Le 14 janvier, le repos est terminé et le régiment embarque à Saint Hilaire pour Villers-Cotterêts. Débarqués, direction Dampleux, lieu de cantonnement. Nouveau cantonnement près de la Frère en Tardennois, à Cramaille. Le 27 janvier 1915, cantonnement à Saint Thibaut à l'ouest de Fismes jusqu'au 6 février. Ensuite embarquement à Fismes pour revenir dans le secteur du précédent cantonnement en Champagne, près de Courtisol. Son lieutenant est évacué et remplacé par l'adjudant Blanchet. Le 17 février le régiment monte vers le front et loge à la ferme de Piémont près de Suippes.

Le 22 février 1915, départ du camp, vers Cabanes et Puits, un lieu nommé ainsi car il se distingue par la présence ... d'une cabane et d'un puits, en passant par Sommes Suippes. En chemin Jean Marquès remarque les nombreuses unités des 17ème et 12ème corps d'armée. Au cantonnement il rencontre un camarade d'école de Buzet affecté à son ancien régiment, le 20ème RI de Montauban. Pendant ce temps l'offensive bat son plein, et des prisonniers allemands passent par le campement. Le 25 février, le 103ème RI attaque, le passage des blessés jette un froid parmi ceux qui vont bientôt attaquer. Le 26 février 1915, Jean Marquès consacre plus de place qu'à son habitude pour décrire lés événements. A 1 heure du matin le régiment se groupe pour aller occuper des tranchées au nord de Perthes. Les sacs sont laissés en arrière. Sa compagnie, la 10ème, et la 12ème doivent attaquer. Leur Capitaine leur demande de ne pas regarder ce qu'ils piétinent en montant par les boyaux vers leur ligne de départ. A sa grande horreur il se rend compte qu'ils marchent sur des cadavres. Des morts et des blessés sont croisés. Il trouvent enfin les soldats du 103 RI qu'ils sont venus relever dans une tranchée sur une crête. << Nous débouchons enfin sur la crête dans la tranchée que nous devons occuper >> Ce sont là les derniers mots du carnet.

 

Bien sûr je n'ai pas souhaité en rester là. La curiosité, nous a-t-on fait croire, est un vilain défaut. Je pense au contraire, que le manque de curiosité est une grande calamité. J'ai grâce à M. Pierre Pouty de Flers eut entre les mains des copies de l'historique du 104 RI, qui est d'une extraordinaire précision, comparé à certains historiques d'unités qui sont d'un lapidaire engendrant beaucoup de frustration.

Voici donc le déroulement des événements de cette fin février 1915.

Le champ de bataille dévolu au 104 RI est constitué par un secteur situé au nord de Perthes Les Hurlus, limité à gauche par le bois rectangulaire et à droite par le bois carré. La première ligne est formée de tranchées peu profondes et mal protégées. Elle borde au nord le bois 3 et les lisières sud du bois 4. La ligne allemande n'est éloignée que d'une centaine de mètres en moyenne. En face du bois 3, la tranchée 208, prolongée à droite par des éléments de tranchées numérotées 21 et 22, ainsi qu'un réseau dans le bois des 9 Termes. Ce secteur a été attaqué à plusieurs reprises dans les jours précédents, sans succès importants et avec beaucoup de pertes.

Le 26 février le régiment se rassemble et se dirige vers la côte 181. Le premier bataillon demeurera en réserve dans la ravine. Le troisième bataillon ( auquel appartient la 10ème compagnie de Jean Marques ) sous les ordres du commandant Beringer se porte dans les tranchées de tête au sud du bois 3. Le second bataillon se rend aux lisières sud du bois 4. Le 3ème bataillon doit s'emparer de la tranchée 208. Cette tranchée a déjà été attaquée sans résultats par d'autres régiments, notamment le 124ème qui y a laissé le 19 février 140 hommes environs dont son chef, le lieutenant colonel Dubost. Le 2nd bataillon doit emporter les éléments de tranchée 21 et 22 ainsi que le bois des 9 Termes. A droite se trouve le 117ème RI et à gauche le 103ème. La 10ème compagnie se trouve complètement à gauche en liaison avec le 103ème RI. A 3h40 les compagnies d'assaut sont en place. A 9 heures, l'artillerie française ( le 26ème RAC pour la 7ème DI ) entre en action, mais les canonniers tirent trop long. Les allemands répliquent et le régiment enregistre de nombreuses pertes. Dans la matinée le capitaine Pelletier de la 10ème compagnie est tué. Avant l'attaque fixée pour 13 heures, 70 hommes de cette compagnie sont mis hors de combat. L'attaque est reculée d'une heure et à 14 heures les soldats sortent des tranchées et montent à l'assaut. Les mitrailleurs allemands clouent les vagues sur place, des hommes de la 10ème compagnie arrivent cependant jusqu'aux réseaux allemands, mais devant la résistance acharnée doivent battre en retraite. Les soldats allemands voyant cela contre-attaquent pour être arrêtés dans les mêmes conditions. Pendant trois jours les attaques vont se succéder sans aucun profit pour les français. Ce genre d'opérations s'est déroulé dans plusieurs endroits du front, attaques sans réelle surprise, souvent aux mêmes heures de jour en jour, renouvelées jusqu'à la relève par un autre régiment se lançant dans les mêmes assauts suicidaire, parfois sans préparation d'artillerie. Elles ont coûté des cenatines de milliers morts, face aux mitrailleuses et à l'artillerie allemande retranchées dans des redoutes, des fortins, étalées sur plusieurs lignes de résistance parallèles; si la première est prise, alors la seconde résiste, et si elle flanche à son tour la troisième contre-attaquera les quelques soldats qui auront dépassés la seconde ligne. Ces opérations de la première moitié de 1915 ont été nommées d'un mot de Joffre : le grignotage.

Vers la fin du carnet une page porte les mentions suivantes : Henri Sanjou, Brigadier, Ambulance 16, 17ème corps, secteur N° 5.

D'après la personne qui m'a communiqué ce carnet, Jean Marques ne fut pas tué à la guerre mais seulement blessé. J'en conclus qu'il fut blessé le 26 février 1915, soit pendant le bombardement de la tranchée du bois 3, soit en menant sa demi section à l'attaque de la tranchée 208. Il fut brancardé, ou sa blessure n'étant pas trop handicapante, il se rendit au poste de secours du corps d'armée voisin, le 17ème. Évacué vers un hôpital de l'arrière, il garda le nom et l'adresse d'une connaissance rencontrée là, ou de celui qui lui apporta les premiers soins ou encore l'aida pendant son évacuation, le grade de brigadier est un garde de l'artillerie et de la cavalerie.

C'est en réfléchissant à tout celà que je parcours le chemin qui me mène vers un village lié à ces évènements. Après la première lecture du carnet, j'ajoutais aux lieus à visiter le village de Perthes-les-Hurlus. Ma déception fut grande lorsque je découvris que, premièrement ce village a cessé d'exister en tant que tel lorsque ses habitants le quittèrent à l'approche des troupes allemandes au début de septembre 1914, et que deuxièmement ses vestiges sont aujourd'hui enfermés dans le camp militaire de Suippes, créé à la fin de la guerre. Il est donc à priori inaccessible pour le simple quidam. Son nom n'a cependant pas disparu et la commune de Souain, a été rebatisée Souain-Perthes-les-Hurlus en 1950. Venant du nord je traverse Sommepy-Tahure et découvre cette fameuse plaine champenoise, ou quelques ondulations de terrain de faible altitude ont été pendant toute la guerre le lieu de combats réguliers. Il y a eu quatre offensives françaises importantes en Champagne, la première débute fin 1914 et se termine en mars 1915, il s'agit de celle dont j'ai parlé plus haut; fin septembre 1915, seconde offensive un peu plus fructueuse que la précédente, mais le front allemand recule et ne cède pas. Avril 1917, l'offensive Nivelle au Chemin des Dames trouve ici son développement vers l'Est dans les monts de Champagne; et finalement en septembre 1918 la 4ème armée avec à ses côtés des unités américaines enfonce le front et entame la libération de la France. Toutes ces offensives ont eu ici pour enjeu la possession des ces quelques points élevés qui permettent de dominer l'adversaire. Après la bataille de la Marne et le recul des armées allemandes, celles-ci se fixent sur ces points dont la plupart tiendront jusqu'à la dernière offensive de la guerre, l'art allemand du retranchement s'exprimant ici à plein. Ainsi ce qui n'était jusqu'en 1914, qu'une colline ou un vallon dans la Champagne Pouilleuse, à l'herbe rare, parcourue par quelques troupeaux de moutons venant brouter puis chercher l'ombre d'un boquetau de pins, devenait un lieu stratégique pour lequel des dizaines de milliers de vies seraient perdues. La Butte de Tahure, la Butte du Mesnil, la Butte de Souain, la Main de Massige, la ferme de Beauséjour, la ferme de Navarin, le trou Bricot, etc, devenus le temps de la guerre, et par les graces du communiqué des noms communs à beaucoup de français et d'allemands.

Malgré l'ampleur des combats, le front de Champagne semble rester aux côtés de la Marne, de Verdun et du Chemin des Dames, le front oublié des livres d'histoires. Je réalise l'injustice de cet oubli en quittant ma voiture à l'entrée de la Nécropole Nationale de la Crouée, à l'entrée de Souain- Perthes-les-Hurlus. Face à moi s'étend sur 6 hectares une pente couverte de plus de 10.000 croix et de plusieurs ossuaires. Ici reposent 30795 soldats français et 13 783 soldats allemands. J'en parcours les allées sous un crachin persistant, lisant les noms et reliant les dates de décès à des évènements recensés. A mi-hauteur s'élèvent des obélisques sur lesquels sont gravés les noms des soldats identifiés reposant dans les ossuaires. Je recherche un nom, celui de Guy Abgrall 34 ans, habitant de Saint Thégonnec, porté disparu le 25 septembre 1915 à l'ouverture de la seconde offensive en Champagne. Le nom que je recherche est marqué sur le premier panneau du premier obélisque que je lis. Gravé à la fin d'une liste alphabétique, il fut ajouté à la demande de ses quatre enfants dans les années soixante ou soixante-dix. Sa fiche indique qu'il appartenait au 219 RI, le régiment des réservistes du 19 RI. Guy Abgrall a certainement parcouru les mêmes chemins que Jean Marquès. Son régiment attaque le mamelon 192 de la butte de Tahure, 600 m au nord de la Butte, et les tranchées allemandes à l'est du mamelon. Le 19 RI part des lignes au nord de Mesnil, au sud du chemin de Perthes-les-Hurlus à la Butte du Mesnil, à hauteur de la mamelle sud. Le 118 RI est a sa gauche, la 21 DI est a sa droite. L'objectif du 118 RI et du 19 RI est de prendre les tranchées de la Mamelle nord, puis lebois de la brosse à dents, puis de traverser la route Tahure-Ripont, attaquer les tranchées de la Butte de Tahure ( 6km de progression prévue ). L'artillerie pilonne les tranchée allemande pendant les trois jours précédents. Les régiments sont en place le 25 septembre à 4 heures du matin. L'attaque est déclenchée à 9 h 15, en trois vagues par échelons. La progression au début est rapide, à 13 heures le bois de la brosse à dents est pris, à 14 heures l'artillerie allemande bombarde, à 15 heures une contre-attaque allemande repousse les régiments. Ils s'accrocheront au terrain pendant plusieurs jours, le bois de la brosse à dents ne sera conquis définitivement que le 8 octobre. La progression finale est de 3 km, les pertes sont élevées 300 morts pour le 19 RI et autant pour le 118 RI. Le corps de Guy Abgrall a du rester avec tant d'autres sur les lieux où il est tombé.

 

Après une heure passée entre les tombes, je quitte le cimetière en direction du monument de Navarin. Edifié à l'endroit où la lutte fut particulièrement féroce, il regroupe les restes de 10 000 soldats relevés sur les champs de bataille. L'ossuaire est surmonté d'un ensemble de trois statues représentant trois hommes, deux français et un américain, dont les visages sont ceux du frère du sculpteur, du général Gouraud commandant la 4ème armée et de Quentin Roosevelt, neuveu de Teddy Roosevelt, tué en combat aérien en 1918. Le monument fait face à une route qui sépare la campagne environnante, plate et lisse du camp de Suippes, qui ressemble à une gigantesque savane entrecoupée de bois. Le terrain à l'arriére est bouleversé par les réseaux de tranchées que l'on distingue très nettement. Du fond de certains trous émergent quelques morceaux de barbelés, de ferailles tordues, et des plantes armées de redoutables pointes acérées laissées là, peut-être, par les défenseurs du site. La hauteur de la ferme de Navarin fut longtemps un lieu stratégique, dont on mesure l'importance par le panorama vu du haut du monument. Le 25 septembre 1915 commençait la seconde bataille de Champagne. Plusieurs habitants de Saint-Thégonnec y seront impliqués. Il faut passer au moins une heure sur ce lieu chargé de sens, après avoir parcouru tant de routes pour y être seulement, il y tant à voir autour du monument : les tranchées et les retranchements, les hauteurs convoités au loin, les directions des attaques. C'est ici que se termine la guerre de Blaise Cendrars, grièvement blessé à une main droite , sa main d'écrivain, il rejoint un poste de secours et sera amputé.

Je laisse le monument de Navarin pour me rendre à travers plusieurs village aux noms bien connus, Sommepy-Tahure, Sainte Marie à Py, Saint Souplet, Saint Hilaire Le Grand, vers un cimetière particulier. Il abrite à l'ombre d'une chapelle orthoxe les corps de soldats du Tsar venu en France en 1916 pour combattre aux côtés des français. L'alliance militaire franco-russe se concrétisa par des batailles engagées à l'ouest pour soutenir l'armée du Tsar pressé par les allemands et les autrichiens, mais aussi par des échanges d'unités militaires. Deux brigades d'infanteries après avoir débarqué à Marseille vinrent se former puis combattre en Champagne. A l'arrière du cimetière un monastère orthodoxe construit en rondins de bois, dans un style assez éloigné des monastère locaux semble désert. Tout est fermé à double tour, le portail du monastère et la chapelle. De l'autre côté de la route, à hauteur de la chapelle, un monument évoque les morts du 2nd régiment russe. Je poursuis jusqu'à la Nécropole Nationale de Jonchery sur Suippes. Là repose Jean Bloch. Le 30 octobre 1915, il a bientôt 38 ans lorsqu'il trouve la mort dans le secteur de Tahure. Voici ce que dit pour ce jour et ce secteur le fameux communiqué du GQG :

<< 30 octobre 1915 : le bombardement signalé en Champagne s'est développé avec la plus grande violence sur un front d'environs huit kilomètres jalonnés par l'arbre de la côte 193, la Butte de Tahure, le village et les tranchées au sud jusque et y compris l'ouvrage de la Courtine. Cette préparation a été suivie sur tout le même front d'une attaque à fond menée par d'importante masse d'infanterie formées en majeure partie des troupes ramenées du front russes. Malgré la vigueur de l'attaque et l'acharnement extrème des assaillants l'ennemi a encore subi un sérieux échec. Les vagues d'assaut décimées par nos feux sur tout le front d'attaque n'ont réussi qu'à atteindre le sommet même de la Butte de Tahure >>

Le 328ème régiment d'infanterie d'Abbeville, auquel apparteint Jean Bloch perd lors de ces attaques du 30 et 31 octobre 65 % de son effectif d'environs 3000 hommes, soit près de 2000 hommes tués, blessés et disparus.

Voici des extraits des historiques d'unités qui appartenaient à la 4ème division d'infanterie comme le 328ème RI et qui relatent les évènements de fin octobre 1915 ainsi que les lieux où ils se déroulèrent.

Extrait de l'historique du 42ème régiment d'artillerie.

<< la 4e division était en réserve de la IIe armée; elle se rassemble le 6 octobre, avant le jour, à "Cabane et Puits", pour pouvoir être employée aussitôt au cas où son intervention serait nécessaire; le soir, chaque unité rentre à son bivouac et le 9 au matin le lieutenant-colonel ALTHOFFER emmène en reconnaissance les commandants de groupe et de batterie en vue de relever le 35e d'artillerie. Il s'agit d'aller d'abord à la cote 188, au "Bois de la Pie", entre Perthes-les-Hurlus et Tahure

Le terrain traversé donne l'impression d'une organisation puissante, de nombreuses tranchées reliées par de larges boyaux jalonnent les positions successives, presque tous les bois sont occupés par des camps remplis de troupe, un réseau de voies de Om60 très serré dessert la région et est utilisé en particulier pour apporter l'eau dans des wagons spéciaux; à mesure qu'on avance, on rencontre des batteries parmi lesquelles celles de gros calibre sont plus nombreuses encore qu'on ne l'imaginait. Avant Perthes il faut laisser ]es chevaux, car c'est là que commence la zone dangereuse; même si les obus ne tombaient pas en ce moment, on n'aurait qu'à regarder autour de soi pour s'en rendre compte ; rien n'est intact, tout est haché, le village existe à peine, on pose les pieds sur des débris d'armes, des branches d'arbre en miettes, de la ferraille, des morceaux de fil de fer, des fils téléphoniques; à chaque instant il faut éviter un gros trou d'obus, une voiture brisée ou un cadavre de cheval, et tout cela est recouvert, plus ou moins suivant son ancienneté, de la fine poussière blanche que donne la craie de Champagne; les soldats eux-mêmes qui vivent là en sont saupoudrés et sous cette poudre on devine les visages brûlés par le soleil et en général assez noirs, car l'eau est rare dans la région.

Derrière le lieutenant-colonel tous les officiers s'engagent dans le boyau qui longe la route de Perthes à Tahure et qu'il faut suivre pendant deux kilomètres environ, les obus redoublent, fusants ou percutants, jusqu'à des 210 ; ils tombent à droite et à gauche, c'est évidemment cette ligne de communication qui est visée; le boyau est plein de fantassins accroupis semblant fatigués mais patients, ils sont étonnants de calme, mais leur présence ne facilite pas la circulation, le soleil ardent empêche, lui aussi, d'accélérer l'allure, pourtant il faut arriver au rendez-vous à l'heure fixée. Au fur et à mesure qu'on avance, on rencontre des parties de boyau détruites par les projectiles, aucun fantassin ne s'y tient car elles ne présentent plus d'abri aux coups, mais les fils téléphoniques qui y sont enchevêtrés entravent encore davantage la marche

De temps en temps un blessé passe, il faut même enjamber le cadavre d'un fantassin qui vient d'être tué; enfin, par une chance extraordinaire, tous arrivent sans accident au P. C. de la division installé dans de solides abris allemands à trente ou quarante marches sous terre. Les rôles sont rapidement distribués et chacun va voir les batteries qui l'intéressent, le 1er groupe sera placé à 1500 mètres environ au nord de Perthes, le 2e groupe, 4e et 6e batteries à 100 mètres du village dans un boyau, 5e batterie au Trou Bricot, le 2e groupe du 2ge à 400 mètres au nord du 1er Le retour de la reconnaissance se fait sans encombres, et le lendemain les officiers vont de nouveau a positions pour compléter leurs renseignements, cette fois avec plus de facilité. La mise en batterie se fait dans la nuit du 11 au 12, certains guides qui avaient été prévus manquèrent et rien ne fut plus difficile que de retrouver dans l'obscurité au milieu d'une région absolument nue, sans point de repère, où toutes les pistes se ressemblaient les emplacements qui avaient été reconnus de jour par deux fois Enfin, grâce à ce que l'ennemi était calme, tout se passa bien...

... Les obus spéciaux sont employés assez régulièrement l'ennemi en fait d'ailleurs un usage abondant sur les tranchées et les batteries, notamment les 30 et 31 octobre Ces deux jours, le personnel eut à subir une préparation comme on en vit peu par la suite, et qui était destinée, d'après les ordres saisis sur les prisonniers à amener les Allemands jusqu'à la cote 188. Le 30 le bombardement commence à 9 heures, il durera jusqu'à 18 heures sans une accalmie, il tombe des obus de tous calibres et par moments des lacrymogènes qui finissent par produire en arrière des batteries un nuage infranchissable : ni vivres ni munitions ne peuvent arriver, tous les fils téléphoniques sont coupés. >>

Extrait de l'historique du 147ème régiment d'infanterie

TAHURE Octobre 1915.

Le 1er octobre, le Colonel ROLAND prend le commandement du régiment et, le conduit dans le secteur de TAHURE où il se trouve dans une situation précaire, sur des positions qui ont été le théâtre de furieux combats et que l'ennemi continue à bombarder avec des obus de gros calibre qui bouleversent de fond en comble la première ligne. Quelques jours après, le régiment va tenir les lignes entre TAHURE et la lisière Est de la BROSSE à DENTS. Là encore il faut procéder à l'organisation complète du secteur, l'absence de boyaux ou leur profondeur insuffisante rend les communications extrêmement difficiles la liaison doit être assurée la nuit. Tout le monde travaille avec ardeur Cependant l'ennemi continue le bombardement de nos positions, l'aviation ennemie fait preuve d'une activité anormale, indices qui font prévoir une attaque, qui en effet se déclenche le 30 octobre A la faveur d'un nuage de poussière et de fumée, nos tranchées sont envahies et l'ennemi cherche à progresser Mais le 147e ne se laissera pas enfoncer, et des poignées de braves réussissent à conserver des portions de terrain et à arrêter l'ennemi. Un bataillon ennemi a cependant réussi à s'infiltrer entre les 9e et 11e compagnies et a pu gagner notre seconde ligne. Arrêtè là par des sections de réserve, il ne peut poursuivre son avance. Pendant ce temps la 11eme compagnie qui a résisté sur place reçoit deux sections de renfort et contre-attaque sur les flancs de l'ennemi. Cette opération menée avec un entrain remarquable est un succés complet et le bataillon allemand est complètement encerclé. Il résistera néanmoins pendant toute la nuit mais, au matin, une attaque brillamment menée par les 6e et 7e compagnies (Capitaine Durand-Claye et Lieutenant Guilbert) l'obligera à mettre bas les armes. Ces deux compagnies capturent 350 prisonniers dont plusieurs officiers.

   

A 14 heures, je me trouve devant la mairie de Sommepy-Tahure. J'ai rendez-vous avec M. Thiébault, un des membres du commité du Souvenir, association qui s'occupe de la salle franco-américaine réalisée pour commémorer l'appui d'outre-Atlantique dans la reconstruction de ce village. Cette salle qui occupe l'étage de la mairie rassemble de nombreux objets trouvés sur le champ de bataille, des souvenirs sous forme de papiers, photos, insignes, pièces d'uniformes, décrivent une partie de l'histoire du village. M. Thiébault me permet de comprendre par ses explications certaines observations faites ce matin, par exemple la différence de paysage entre celui d'avant guerre et l'actuel : La région est essentiellement agricole, mais alors qu'avant guerre l'agriculture était surtout représentée par l'élevage du mouton, elle se distingue aujourd'hui par la culture de betteraves et de céréales notament. Cela a été rendu possible par l'usage massif d'engrais pour rendre cette terre pauvre, propre à l'élevage de mouton en 1914 une des plus productive de France aujourd'hui. L'agriculture intensive a transformé ici le paysage en l'adaptant à ses contraintes. Parmi les unités citées sur un des murs figure le 19ème RI de Brest, auquel ont appartenu plusieurs habitants de saint Thégonnec, M. Thiébault me confirme que ce sont souvent des bretons qui viennent visiter. Un des mur est recouvert des noms des soldtas de ce régiments morts pendant la libération de Sommepy en septembre 1918. Le nom de Guy Abgrall ne s'y trouve pas malgré l'indication de l'unité du monument vu ce matin. Il faudrait passer beacoup de temps à consulter tous les documents présents les vitrines, ou revenir, mais le temps passe trop vite et je dois prendre congé pour rejoindre la mairie de Souain-Perthes-les-Hurlus avant qu'elle ne ferme. J'y rencontre son maire, M. Godin, a implanté un petit musée consacré aux combats de ce secteur dans une salle de la mairie. Il est également le créateur du site Champagne1914-1918 qui a beaucoup fait pour la connaissance de ce front oublié des livres d'histoires auprès des internautes. C'est sur ce site, et grace aux documents qu'il propose que j'ai pu démarrer la recherche autou du carnet de Jean Marques. Le petit musée évoque les différentes phases et lieus des batailles de Champagne, en rappelant le rôle de quelques protagonistes, ainsi le Père Doncoeur, aumonier de la 28ème brigade, dont je reparlerai dimanche. Bref, deux petits musées très intéressants, présentés par des personnes qui ne le sont pas moins. Une plaque relevée sur les lieux des combats est dédiée au sous-lieutenant Etiènne Hirsch du 103ème RI, unité appartenant à la 7ème DI comme le 104ème RI. Cet officier trouve la mort le 13 mars 1915 devant Perthes, soit quelques jours après la probable blessure de Jean Marques.

   
Dernier musée de la journée à Suippes. Le Centre d'Interprétation est très récent, et complète parfaitement cette journée autour de la guerre en Champagne. Installé dans la vaste maison des associations, il présente sur 600 m² les différents aspects de la guerre, humain, matériel, tactique par la description des batailles de Champagne , etc. Sa modernité se reflette par l'usage de moyens multimédias interactifs, cartes projetées sur un plan comtemplé par trois soldats d'une couleur uniforme, sons et images de combats dans un espace entouré de sacs à terre et de claies. Deux répliques, l'une d'un char Renault, l'autre d'un avion Henriot sortent des parois. Bref un espace très réussi, à la portée de tous. La visite se termine à la boutique aux rayonnages tant attendus du bibliophile. A visiter : le site Internet MARNE 14-18
La journée se termine devant un monument installé récemment près de l'église de Suippes. Il évoque la mémoire des Caporaux de Souain ( Théophile Maupas, Louis Lefoulon, Louis Girard et Lucien Lechat), , fusillés pour l'exemple après un jugement d'un conseil de guerre spécial. Cet évènement commémoré ici fait échos aux très nombreux soldats fusillés en 1914 et 1915 pour des raisons qui avaient plus de rapport avec la crainte que devait inspirer cette peine pour leur camarade que la faute qui leur était reprochée. Ces quatres soldats ont été fusillés pendant la première offensive de Champagne.

Retour

suite du samedi