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Dimanche 01 Mars 2008

 

Nouvelle journée consacrée au secteur entourant le camp de Suippes. Première visite rendue au monument commémoratif de la bataille engagée au lendemain de l'offensive du Chemuin des Dâmes, le 17 avril 1917, en direction des monts de Champagne. Leur hauteur semble faible, ils furent pourtant très disputés. Plusieurs étaient percés de tunnel permettant aux soldats allemands de les traverser de part en part sans craindre de dommages, et de prendre à revers les vagues d'assaut françaises.

   

Le 30 avril 1917, deux habitants de Saint-Thégonnec trouvent la mort dans ce secteur. Il s'agit de Jean Marie Prigent, 22 ans, soldat au 70ème RI, tombé dans l'offensive sur le Mont Cornillet. Son unité se voit infliger de lourdes pertes, pour à peine 500 m de terrain gagné. Le second se nomme Christophe Roué et appartient au 207ème RI, de la 33ème DI.

Voici quelques extraits de comptes-rendus de l'assaut mené contre les Monts de Champagne ce 30 avril 1917 :

Extrait des actions de la 33ème DI concernat cette période :

<< 17 avril : au centre du 17e CA. Atteint vite la première position allemande où elle progresse, enlève Grand Bois et bois du Chien, puis résistance plus énergique des mitrailleuses à la lisière des bois. Front atteint à 10h : bois 197 (liaison Div. Marocaine) / bois 198, 89, 302, 304 / tranchée d’Oldenburg / boyau du marteau (liaison 45e DI). Avance de 1800m. Reprise de l’assaut des bois en début d’après-midi (65e brigade prend le bois en V et attaque le bois 199 ; 66e attaque les bois 301 et 320) avec nouvelle préparation d’artillerie. Fin de journée : tient lisère des bois 198, 302, 304, 305 et K51 . Fin de journée du 17 : après préparation d’artillerie lourde courte, attaque du Téton, sans succès .

- 18 avril : sa mission est le nettoyage d’îlots de résistances pendant que la 45e s’attaque au Konstanzlager. Conquète d’une partie du bois 50 et le bois 52 mais sa gauche prise sous le feu des mitrailleuses des tranchées Rensburg et Göttingen.

- 19 avril : attaque meurtrière du Téton qui est pris.

Nuit du 19 au 20 : subit bombardements et contre-attaques qui l’obligent à abandonner le sommet du Téton.

- 21 avril : repli de la ligne avancée sur le Casque mais résistance au Téton.

- 24 avril : nouvelle avancée vers la tranchée nord du Téton. Le retrait initialement prévu de la division doit être annulé et la division reste sur la zone pour participer à l’attaque du 30 .

- 29 avril : abandon de poste collectif de 200 hommes qui se cachent dans les bois et les creutes pour refuser d’aller à l’assaut du Téton. Six condamnés à mort, aucun exécuté.

- 30 avril : attaque générale. Ligne tenue le soir : boyau du Mont Sans Nom-boyau de Cernowitz-batterie 36-63-sud de l’extrémité est de la tranchée du Téton-tranchées de l’observatoire et de Göttingen

AU BOIS DE LA GRILLE ET AU CORNILLET La division Hennoque, à l’extrême gauche, doit s’emparer du bois de la Grille et atteindre la tranchée de Leopoldshöhe. C’est une division de Bretagne qui a pris part au mouvement en avant sur Lassigny, Guiscard et Ham. Elle a relevé toutes les traces de pillage et de crimes commis par l’ennemi avant son départ, maisons brûlées, champs dévastés, pommiers coupés, habitants déportés, Ce spectacle l’a exaltée. Elle brûle de venger tant de maux et d’injures. Elle a assisté, frémissante, à la préparation de notre artillerie, exultant à la vue des dégâts causé par nos obus lourds. Le 30, à midi 40, elle sort en ordre, comme à la manoeuvre, des parallèles de départ et s’élance dans le bois d’où elle doit déloger l’adversaire. L’ennemi est muet et ne semble pas s’opposer à cette progression qui gagne la première ligne et la dépasse. Mais tout à coup, presque à bout portant, de vingt endroits différents crépitent les feux nourris des mitrailleuses dissimulées dans des abris bétonnés qui ont résisté. Nos mitrailleuses et nos fusils mitrailleurs prennent position ; chaque homme puise dans sa musette, en sort des grenades et une lutte acharnée s’engage. Aucun mouvement de recul ne s’esquisse, malgré le nombre grandissant des officiers tués ou blessés (le colonel Robert, commandant l’un des régiments, est tué), malgré les pertes. L’ordre est de tenir et l’on tient. Ne pouvant avancer, nos hommes s’accrochent au terrain et organisent à la hâte les trous d’obus. L’ennemi essaie de contre-attaquer, il est promptement ramené ou fauché. Cependant, toute progression est arrêtée par les fortins intacts qui offrent des obstacles infranchissables. Une nouvelle préparation s’impose. On s’installe sur les positions conquises et l’on attend le lendemain.

Extrait de l'historique du 20ème RI de la même division : Dans la nuit du 25 au 26 avril le 20ème relevé par le 207ème va au repos à Mourmelon d'où il remonte en ligne le 29 avril pour remplacer à son tour le 207ème. Au cours de la relève, les unités du régiment sont surprises aux abords de la ferme de Moscou par un bombardement très dense d'obus asphyxiants qu'elles ont la plus grande difficulté à franchir. Le 2nd bataillon va occuper la première ligne, le 3ème la position de soutien et le 1er bataillon va en réserve au Bois 320. L'action de notre artillerie est très vive pendant toute la matinée sur le Téton et, pour permettre le bombardement de la première ligne ennemie le 2nd bataillon est replié dans les tranchées de Rendsburg. Les 9ème et 10ème' compagnies reçoivent l'ordre de s'adjoindre au 2nd bataillon comme première vague et viennent se placer à sa droite. A 12 h 40 ces unités partent d'un bel élan et gravissent le sommet du Téton, mais elles y sont accueillies par des feux de flanc et par le barrage d'artillerie d'obus de tous calibres. Les défenses du Bois L61 sont intactes et l'ennemi s'y est fortement retranché.

Extrait de l'historique du 20ème RI de la même division : Du 18 au 30 avril, tandis qu'il occupe le terrain conquis le 9ème se distingue par une série de fructueux coups de main et d'infrangibles résistances aux tentatives de l'ennemi qui voudrait à tout prix reprendre les observatoires incomparables qu'il a perdus. Le 30 avril malgré son état de fatigue extrème il attaque pour la troisième fois et réalise un gain de plus de 500 mètres

Je traverse le camp militaire de Monrovilliers par la route qui le coupe en deux, et fait une halte après le village disparu de Monrovilliers. Le terrain se trouvait après la guerre dans la zone rouge, il est devenu aujourd'hui un champ de manoeuvre et d'essai appartenant à l'armée. Le fonctionnement simulé de l'arme nucléaire y est mis en oeuvre. Laissé dans l'état après le déminage et le nettoyage du terrain, celui-ci laisse très bien apparaître un relief fait de trous d'obus se chevauchant, de réseaux de tranchées et de boyaux, et de vestiges d'abris bétonnés. De très nombreux éclats d'obus, certains de dimensions plus que respectables, sont disséminés sur le sol.

Je me dirige ensuite vers la nécropole nationale de Sept-Saulx où est inhumé le caporal Christophe Roué, 33 ans.

L'étape suivante me ramène au début de la guerre et la fin de la bataille de la Marne. La Nécropole Nationale de la Ferme de Suippes est située au sud de Suippes. Elle regroupe plus de 11 00 sépultures des deux guerres mondiales. Là se trouve celle de Jean Jacob, 25 ans, caporal du 2nd Régiment d'Infanterie Coloniale. Le 2nd RIC a subi le 22 aout dans le village belge de Rossignol une défaite terrible. Sur un effectif de 3326 militaires, les pertes en une journée de combat sont de 2850 hommes. Parmi les morts il y avait Hervé Le Mer, frère de mon arrière grand-mère. Les survivants dont font partie Jean Jacob, Jean François Kerdilès et Jean Pierre Pouliquen de Saint Thégonnec font retraite vers le département de la Marne et sont réunis à Ville-sur-Tourbe, à l'est de Massiges. Complétés, le régiment participe aux combats du bois de Ville les 14 et 15 septembre. Jean Pierre Pouliquen, 27 ans disparait le premier le 15. Trois jours plus tard Jean Jacob meurt à Hans des blessures reçues pendant ces combats. A partir du 10 octobre le 2nd RIC tient le secteur Virginy-Massiges. Les allemands y lancent plusieurs attaques. C'est probablement pendant l'une d'elle que Jean François Kerdilès, 34 ans disparait au combat. La Nécropole Nationale de la Ferme de Suippes est très grande. Comprendre l'ordre de la numérotation des tombes requiert une petite gymnastique intellectuelle qui évite un trop long parcours pour atteindre le but. Je remarque en chemin des croix qui sont dans un état de délabrement très avancé, qui ne date pas d'hier.

De cette nécropole, je suis le côté Est du camp de Suippes pour rejoindre Massiges. La Main de Massiges, cet ensemble de collines et de ravins ayant la forme d'une main, est un des lieux importants de ce front. Comme tous les sommets de cette régions, leur possession justifia les nombreuses offensives qui s'y déroulèrent. Massiges est un petit village qu'on pourrait traverser sans se douter de son importance ou de l'aspect lunaire qu'avait la campagne battue par l'artillerie pendant quatre ans. Un panneau modeste indique la direction de la Main de Massiges. Je l'emprunte et gravi une route qui se termine en un chemin boueux. Je laisse la voiture près d'un panneau installé là par quelqu'un soucieux de la mèmoire des combattants de ce bout de Champagne et continue sous la pluie vers le sommet le plus proche. Un cratère de mine est parfaitement visible, assez peu recouvert d'une végétation qui semble contenue. J'en fait le tour, et remarque de nombreux vestiges métalliques déposés là. Pendant la promenade un son puissant me fait sursauter. Il s'agit de deux coups de canons tirés dans le camp militaire !

De Massiges, je passe à Fontaine en Dormoy, et remarque à la sortie du village une butte précédée d'un blockhauss. La butte est couverte d'une végétation qui contraste beaucoup avec les champs cultivé. Je soupçonne la présence de fortification sur cette élévation. La butte de Tahure n'est pas très loin d'ici. Je prends mon courage à deux mains, et place toute ma confiance dans mes chaussures de randonnée pour traverser le champ cultivé ( en faisant attention aux cultures ) malgré la pluie incessante qui a détrempé la terre. Après quelques mètres dans cette terre compacte et collante, je comprends mieux les descriptions terribles de progression impossibles sur un sol qui s'agrippe aux pieds quand il ne vous fait pas déraper. Je n'essaye pas de courir pour voir ce que celà donne, mais je n'oublie pas de remercier le ciel de m'avoir fait vivre dans ce pays à une époque ou on peut se promener, même s'il fait froid, si la terre colle aux pattes et s'il pleut sans arrêt, sans avoir à rester des jours dehors dans une tranchée, à attendre un ordre redouté, sans avoir à faire le deuil de soi même pour la conquête d'une petite colline, perdue dans une région qu'on pourra traverser dans 90 ans sans voir une seule personne. Après un long moment j'arrive enfin au sommet et découvre parmi les maigres arbustes de nombreux abris aux parois maçonnés, certains encore pourvus d'une tôle de couverture.

Je termine la boucle autour du camp de Suippes à Souain-Perthes les Hurlus. Il ne me reste que deux sites sur ma liste et je les ai gardés pour la fin. D'abord le monument de la légion étrangère. Il se trouve dans l'enceinte du camp de Suippes. à quelques centaines de mètres de sa bordure. j'y entre ( illégalement ) pour une courte durée, me doutant bien que les artilleurs ne bombardent pas le monument ou ses abords. Je suis tout d'abord frappé par le gigantesque contraste entre le << dedans >> et le << dehors >>. Le camp militaire englobe une grande partie du front de Champagne. Il n'a jamais connu de culture intensive, d'engrais. La nature, en dehors des zones de tir, se développe à loisir. Il s'agit donc d'une des rares partie de la France dont l'aspect est le plus proche de l'état << sauvage >>. Cela est à la fois fascinant, et aussi inquiétant pour le promeneur solitaire. Mais aucun fauve ne risque de sortir de derrière un bosquet, quoique, pressons le pas et avançons à découvert.

Le monument de la légion étrangère fut construit en 1920, alors que ses alentours n'étaient qu'un désert. Il fut créé à la mémoire de Henry Farnsworth, américain de 24 ans, engagé en 1915 et tué lors de la seconde bataille de Champagne le 28 septembre 1915.

 

Le voyage dans le temps se termine presque. Il ne me reste plus qu'un lieu à voir et je retomberai ensuite dans le 21ème siècle au milieu des joies et des tracas quotidiens. L'après-midi s'étire vers sa fin. Je devine dans les maisons les cartables que l'on prépare pour le lendemain, la nostalgie du week-end qui se termine. Il pleut une légère bruine sous un ciel de stratocumulus. A la sortie de Souain, j'aperçois le sommet d'une butte orné d'un monument qui semble être une croix. Un panneau au bord de la route indique : << monument de la 28ème brigade >>. Je laisse la voiture au bord d'un chemin boueux qui se dirige droit vers la croix à plus d'un kilomètre de là. En avançant à une allure normale il faut un certan temps pour avoir l'impression de s'approcher du sommet. Au fur et à mesure de la progression je découvre les sommets qui m'entoure, dont la butte de Navarrin. J'arrive enfin au terme de l'ascension. D'ici sont partis à l'assaut des positions allemandes les soldats de la 28ème brigade au matin du 25 septembre 1915. Les pertes seront terribles, et la percée attendue est presque réalisée. Mais ceux qui dirigent la bataille n'y croient pas et laissent passer l'occasion. Les allemands réagissent et colmatent le front ouvert ce 25 septembre. Sur le champ de bataille des dizaines de soldats sont tombés et ne seront pas relevés avant la fin de la guerre. 1919, la guerre est finie. Paul Doncoeur, aumonier de la 28ème brigade revient voir la Champagne redevenue calme. Il parcourt le terrain et découvre de très nombreux cadavres d'anciens camarades laissés là depuis plus de trois ans. Il entreprend de les relever et de leur donner une sépulture digne. Celle-ci sera élevée en quelques mois avec l'aide de soldats ayant différé leur démobilisation et de prisonniers de guerre. Des moyens sont apportés par les villes d'origine des régiments ( 35ème et 42ème ).

Cette nécropole est originale par sa forme et par les éléments qui la composent. Une monumentale croix entourée d'un cercle de croix plus petites et massives. Sur la pierre sont gravés les noms des hommes tombés lors de l'offensive de septembre 1915.

Près de là un bois abrite encore des vestiges de la guerre.

 

Il se fait tard maintenant. La nuit va bientôt tomber, il est temps de retourner vers le présent et laisser les morts dormir en paix. Un dernier regard en arrière et je retrouve le chemin qui mène à la route. Un nuage d'oiseaux, des étourneaux ? ondule à quelques dizaines de mètres de hauteur. Ils se posent et s'envolent dans un mouvement qu'on dirait coordonné. Ils sont comme les esprits qui hantent tous ces lieux déserts, ils cherchent un peu de chaleur, un abri.

Cet abri, cette chaleur c'est notre mémoire, c'est le souvenir que nous garderons d'eux. Leur visage, leur voix, ont disparu. Ils ne reste d'eux qu'un nom écrit sur quelques documents rangés au fond de cartons poussiéreux, un nom gravé sur un monument, un nom inscrit sur une plaque d'acier accrochée à une croix, cachée parmi des milliers d'autres croix. Il ne reste d'eux qu'un nom. N'oublions pas ces noms.

 

Les soldats suivants sont morts pendant la seconde bataille de Champagne :

- Jacques Lebras, 22 ans, du 19 RI, à la Croix-en-Champagne le 27 septembre 1915

- Alain Fagot, 20 ans, du 402 RI, à la cote 139 au sud de Sainte Marie-à-Py le 29 septembre 1915

- JeanYves Fagot, 25 ans, du 248 RI, au bois Sabot le 1er octobre 1915

- Jean François Nicolas, 28 ans, du 151 RI, à Aubérive le 16 octobre 1915

- Jean Marie Bloch, 38 ans, du 328 RI, à Tahure le 30 octobre 1915

- Hervé Breton, 26 ans, du 19 RI, à Tahure le 5 novembre 1915

 

Les soldats suivants sont morts pendant la bataille du Chemin des Dames et des monts de Champagne

- François-Louis Pouliquen, 27 ans, du 251 RAC, à Cerisy le 18 avril 1917

- Jean Marie Kerdiles, 20 ans, du 154 RI, au nord ouest de Berry au Bac le 18 avril 1917

- Allain Sparfel, 40 ans, du 1er RAL, à Terny-Sorny le 25 avril 1917

- Allain Elies, 26 ans, du 287 RI, à Berry au Bac le 29 avril 1917

- Christophe Roué, 33 ans, du 207 RI, à Prosnes le 30 avril 1917

- Jean Marie Prigent, 22 ans, du 70 RI, au Mont Cornillet le 30 avril 1917

- Raymond Le Rue, 23 ans, du 174 RI, au Godat le 4 mai 1917

- Guillaume Créac'h, 25 ans, du 111 RAL, à Berry au Bac le 5 mai 1917

 

- Jean Pierre Pouliquen, 27 ans, du 2 RIC est mort le 15 septembre 1914 à Ville-sur-Tourbe

- Jean Pierre Jacob, 25 ans, du 2 RIC est mort le 18 septembre 1914 à Hans

- Jean François Kerdiles, 34 ans, du 2 RIC est mort le 18 octobre 1914 à Virginy

- Jean Pierre Peron, 23 ans, du 293 RI, 22ème compagnie, est mort le 13 février 1916 à Tahure

- Jean François Floch, 36 ans, du 12 RIT est mort le 29 juin 1916 à Reims

- Louis Quélénnec, 28 ans, du 283 RI est mort le 23 octobre 1917 à Filain

- Jean Louis Kermarrec, 27 ans, du 355 RI, est mort le 23 aout 1918 au plateau de Nouvron

- Jean François Guillerm, 21 ans, du 410 RI est mort le 9 novembre 1918 à Reims

 

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